Il y eut quelques applaudissements polis, dépourvus du moindre enthousiasme, pendant lesquels Harry, Ron et Hermione se regardèrent d’un air alarmé. Dumbledore n’avait pas précisé combien de temps le professeur Gobe-Planche occuperait son poste.
Le directeur reprit la parole :
– Les essais pour la constitution des équipes de Quidditch de chacune des quatre maisons auront lieu le…
Il s’interrompit en lançant un regard interrogateur au professeur Ombrage. Comme celle-ci n’était pas beaucoup plus grande debout qu’assise, il y eut un moment d’incertitude au cours duquel personne ne comprit pourquoi Dumbledore s’était tu. Le professeur Ombrage s’éclaircit alors la gorge – Hum, hum – et il devint manifeste qu’elle s’était levée avec l’intention de faire un discours.
Pendant un bref instant, Dumbledore parut pris au dépourvu, puis il se rassit avec élégance et regarda le professeur Ombrage d’un air intéressé comme si rien ne pouvait lui procurer plus grand plaisir que de l’écouter parler. D’autres membres du corps enseignant ne se montrèrent pas aussi habiles à cacher leur surprise. Les sourcils du professeur Chourave se levèrent si haut qu’ils disparurent derrière ses mèches rebelles et Harry n’avait jamais vu les lèvres du professeur McGonagall aussi pincées. Jusqu’à présent, aucun nouvel enseignant ne s’était jamais permis d’interrompre Dumbledore. De nombreux élèves affichaient un sourire narquois ; de toute évidence, cette femme ignorait les traditions de Poudlard.
– Merci, cher directeur, pour ces aimables paroles de bienvenue, minauda le professeur Ombrage.
Elle avait une voix de petite fille, haut perchée et un peu voilée. Cette fois encore, Harry éprouva à son égard un puissant élan d’antipathie qu’il ne parvenait pas à s’expliquer. La seule chose certaine, c’était que tout en elle lui inspirait un profond dégoût, depuis sa petite voix stupide jusqu’à son cardigan rose et pelucheux. Elle s’éclaircit une nouvelle fois la gorge (hum, hum) et reprit :
– Je dois dire que c’est un grand plaisir de revenir à Poudlard – elle sourit en découvrant des dents pointues –, et de voir tous ces joyeux petits visages levés vers moi !
Harry jeta un regard autour de lui. Aucun visage ne lui parut joyeux. Les élèves semblaient plutôt surpris de s’entendre traiter comme des enfants de cinq ans.
– J’ai hâte de vous connaître tous et je suis sûre que nous deviendrons vite de très bons amis !
Autour des tables, il y eut des échanges de coups d’œil. Certains cachaient à peine leurs sourires ironiques.
– Moi, je veux bien être amie avec elle du moment qu’elle ne m’oblige pas à porter son cardigan, murmura Parvati à Lavande et toutes deux pouffèrent d’un rire silencieux.
Le professeur Ombrage s’éclaircit à nouveau la gorge (hum, hum) mais lorsqu’elle reprit son discours, sa voix était beaucoup moins voilée. Elle parlait plutôt comme une femme d’affaires et les mots qu’elle prononçait avaient le rythme morne d’un discours appris par cœur.
– Le ministère de la Magie a toujours accordé une importance primordiale à l’éducation des jeunes sorcières et des jeunes sorciers. Les quelques dons que vous avez pu recevoir à votre naissance ne se révéleraient pas d’une très grande utilité si une instruction attentive ne se chargeait de les cultiver et de les affiner. L’ancien savoir dont la communauté des sorciers est l’unique dépositaire doit être transmis aux nouvelles générations, si nous ne voulons pas qu’il se perde à jamais. Le trésor de la connaissance magique amassé par nos ancêtres doit être conservé, enrichi, bonifié, par ceux qui sont appelés à la noble mission de l’enseignement.
Le professeur Ombrage marqua une pause et inclina légèrement la tête en direction de ses collègues mais aucun ne lui rendit son salut. Les sourcils noirs du professeur McGonagall s’étaient froncés à tel point qu’elle avait l’air d’un faucon et Harry la vit échanger un regard éloquent avec le professeur Chourave tandis qu’Ombrage, après un nouveau « hum, hum », poursuivait son discours :
– Chaque directeur, chaque directrice de Poudlard a apporté quelque chose de nouveau en accomplissant la lourde tâche de gouverner cette école historique et c’est ainsi qu’il doit en être car l’absence de progrès signifie la stagnation puis le déclin. Mais le progrès pour le progrès ne doit pas être encouragé pour autant, car nos traditions éprouvées par le temps n’ont souvent nul besoin d’être modifiées. Un équilibre entre l’ancien et le nouveau, entre la pérennité et le changement, entre la tradition et l’innovation…
Harry s’aperçut que son attention avait tendance à faiblir comme si son cerveau s’éteignait par instants. Le silence qui accompagnait habituellement les discours de Dumbledore était à présent rompu par les chuchotements et les rires étouffés des élèves penchés les uns vers les autres. À la table de Serdaigle, Cho Chang était en grande conversation avec ses amis. Un peu plus loin, Luna Lovegood avait ressorti Le Chicaneur. À la table de Poufsouffle, cependant, Ernie Macmillan était l’un des rares à garder les yeux fixés sur le professeur Ombrage mais il avait le regard vitreux et Harry fut convaincu qu’il faisait semblant d’écouter pour se montrer digne de l’insigne de préfet qui brillait sur sa poitrine.
Le professeur Ombrage ne semblait pas remarquer l’agitation de la salle. Harry avait l’impression qu’une émeute aurait pu éclater sous son nez sans qu’elle renonce pour autant à ânonner son discours jusqu’à la fin. Les autres professeurs, en revanche, l’écoutaient très attentivement et Hermione avait l’air de boire chacune de ses paroles même si, à en juger par son expression, elles n’étaient pas du tout de son goût.
– … car certains changements seront pour le mieux alors que d’autres, à l’épreuve du temps, apparaîtront comme des erreurs de jugement. De même, certaines coutumes anciennes seront conservées à juste titre tandis que d’autres, usées et démodées, devront être abandonnées. Aussi, n’hésitons pas à entrer dans une ère nouvelle d’ouverture, d’efficacité, de responsabilité, avec la volonté de préserver ce qui doit être préservé, d’améliorer ce qui doit être amélioré, et de tailler dans le vif chaque fois que nous serons confrontés à des pratiques dont l’interdiction s’impose.
Elle se rassit et Dumbledore applaudit. Les autres professeurs l’imitèrent mais Harry remarqua que plusieurs d’entre eux se contentèrent de claquer des mains une ou deux fois seulement. Quelques élèves suivirent mais la plupart avaient été surpris par la fin du discours dont ils n’avaient écouté que quelques mots et, avant qu’ils aient eu le temps d’applaudir vraiment, Dumbledore s’était à nouveau levé.
– Merci beaucoup, professeur Ombrage, pour ce discours très éclairant, dit-il en s’inclinant vers elle. À présent, comme je vous l’annonçais, les essais pour la constitution des équipes de Quidditch auront lieu le…
– Ça, pour être éclairant, c’était éclairant, dit Hermione à voix basse.
– Tu ne vas pas me dire que ça t’a captivée, non ? murmura Ron en tournant vers Hermione un visage éteint. C’est le discours le plus ennuyeux que j’aie jamais entendu et pourtant, moi, j’ai grandi avec Percy.
– J’ai dit éclairant, pas captivant, répondit-elle. C’était très révélateur.
– Vraiment ? s’étonna Harry. Moi, ça m’a donné l’impression d’une sauce insipide.
– Il y avait beaucoup d’ingrédients cachés dans la sauce, répliqua Hermione, le visage sombre.
– Ah bon ? dit Ron, interdit.
– Par exemple : « le progrès pour le progrès ne doit pas être encouragé ». Ou encore : « tailler dans le vif chaque fois que nous serons confrontés à des pratiques dont l’interdiction s’impose ».