– Les ingrédients et la méthode de préparation (Rogue agita sa baguette magique) figurent au tableau (ils s’y inscrivirent à cet instant). Vous trouverez tout ce dont vous aurez besoin (il agita à nouveau sa baguette) dans l’armoire (dont la porte s’ouvrit aussitôt). Vous avez environ une heure et demie… Allez-y.
Ainsi que Harry, Ron et Hermione l’avaient prévu, Rogue n’aurait pas pu choisir pour un début d’année une potion plus difficile et délicate à préparer. Les ingrédients devaient être versés dans le chaudron exactement dans l’ordre et les quantités indiqués. Il fallait tourner le mélange un nombre précis de fois, d’abord dans le sens des aiguilles d’une montre, puis dans le sens contraire. Enfin, on devait diminuer la chaleur des flammes jusqu’à une température bien précise pendant une durée déterminée, avant d’ajouter l’ingrédient final.
– Une légère vapeur argentée devrait maintenant s’élever de vos potions, annonça Rogue dix minutes avant la fin du cours.
Harry, qui transpirait abondamment, regarda autour de lui d’un air désespéré. Son propre chaudron produisait d’énormes panaches de vapeur gris foncé. Celui de Ron crachait des étincelles vertes. Du bout de sa baguette, Seamus essayait fébrilement de ranimer son feu qui paraissait sur le point de s’éteindre. La potion d’Hermione, en revanche, frémissait d’une brume de vapeur argentée. Lorsque Rogue passa devant elle, ses yeux se baissèrent sur son nez crochu et il regarda le chaudron sans faire de commentaire, ce qui signifiait qu’il n’avait rien trouvé à critiquer. Mais quand il arriva devant le chaudron de Harry, il s’arrêta et regarda la mixture avec un horrible sourire.
– Potter, qu’est-ce que c’est que ça, exactement ?
Aux premiers rangs de la classe, les Serpentard relevèrent avidement la tête. Ils étaient toujours ravis d’entendre Rogue infliger ses sarcasmes à Harry.
– Un philtre de Paix, répondit Harry d’un air tendu.
– Dites-moi, Potter, reprit Rogue de sa voix doucereuse, savez-vous lire ?
Drago Malefoy éclata de rire.
– Oui, dit Harry, la main serrée sur sa baguette magique.
– Dans ce cas, voudriez-vous me lire à haute voix la troisième ligne des instructions, Potter ?
Harry regarda le tableau en plissant les yeux. Il n’était pas facile de lire à travers la brume multicolore qui s’était à présent répandue dans la salle.
– Ajouter la poudre de pierre de lune, tourner trois fois dans le sens contraire des aiguilles d’une montre, laisser frémir pendant sept minutes, puis ajouter deux gouttes de sirop d’ellébore.
Il sentit son cœur chavirer. Il avait oublié d’ajouter le sirop d’ellébore et était passé directement à la quatrième étape après avoir laissé sa potion frémir pendant sept minutes.
– Avez-vous fait tout ce qui est écrit à la troisième ligne, Potter ?
– Non, répondit Harry à voix basse.
– Je vous demande pardon ?
– Non, répéta Harry plus fort. J’ai oublié l’ellébore.
– Je le sais bien, Potter, ce qui signifie que cette lamentable mixture ne sert strictement à rien. Evanesco.
La potion se volatilisa et Harry se retrouva comme un idiot devant un chaudron vide.
– Ceux d’entre vous qui ont réussi à lire les instructions verseront à présent un échantillon de leur potion dans un flacon en inscrivant clairement leur nom sur l’étiquette et me l’apporteront pour que je puisse l’analyser, dit Rogue. Veuillez noter le sujet du prochain devoir : vous me ferez trente centimètres de parchemin sur les propriétés de la pierre de lune et son utilisation dans les potions magiques, à rendre jeudi prochain.
Pendant que tout le monde autour de lui remplissait son flacon, Harry, bouillonnant de rage, ramassa ses affaires. Sa potion n’était pas pire que celle de Ron dont le chaudron exhalait une épouvantable odeur d’œuf pourri. Celle de Neville avait la consistance du ciment frais et il dut y creuser un trou pour en retirer un échantillon. Pourtant, c’était lui, Harry, qui aurait un zéro. Il fourra sa baguette magique dans son sac et se laissa tomber sur sa chaise en regardant les autres apporter leurs flacons au bureau de Rogue. Au son de la cloche, Harry fut le premier à sortir du cachot et il avait déjà entamé son déjeuner lorsque Ron et Hermione le rejoignirent dans la Grande Salle. Pendant la matinée, le plafond était devenu d’un gris encore plus sombre et la pluie martelait les hautes fenêtres.
– C’était vraiment injuste, dit Hermione pour le consoler.
Elle s’était assise à côté de Harry et remplissait son assiette de hachis parmentier.
– Ta potion était beaucoup moins ratée que celle de Goyle. Quand il en a versé dans son flacon, le verre a explosé et sa robe a pris feu.
– De toute façon, dit Harry en contemplant son assiette d’un regard noir, tu peux me citer une seule fois où Rogue n’ait pas été injuste avec moi ?
Personne ne répondit. Ils savaient tous les trois qu’une hostilité absolue et réciproque était née entre Rogue et Harry dès que celui-ci avait mis les pieds à Poudlard pour la première fois.
– Je pensais que ça se passerait peut-être un peu mieux cette année, dit Hermione d’un air déçu. Je veux dire…
Elle regarda prudemment autour d’elle. Il y avait une demi-douzaine de places vides de chaque côté et personne ne passait à proximité de la table.
– … maintenant qu’il est dans l’Ordre du Phénix et tout ça, acheva-t-elle.
– Les champignons vénéneux ne deviennent jamais comestibles, dit Ron avec sagesse. En tout cas, moi, j’ai toujours trouvé que Dumbledore était fou de faire confiance à Rogue. Où est la preuve qu’il ait véritablement cessé d’être au service de Tu-Sais-Qui ?
– Des preuves, je suis sûre que Dumbledore n’en manque pas mais il n’a sans doute pas jugé utile de t’en parler, Ron, répliqua sèchement Hermione.
– Oh, taisez-vous, tous les deux, dit Harry d’une voix accablée, alors que Ron s’apprêtait à répondre sur le même ton.
Hermione et Ron restèrent figés face à face, l’air furieux et offensé.
– Vous ne pourriez pas vous reposer un peu, tous les deux ? poursuivit Harry. Vous êtes tout le temps en train de vous chamailler, c’est à devenir dingue.
Abandonnant son hachis, il mit son sac en bandoulière et partit sans ajouter un mot.
Harry monta quatre à quatre l’escalier de marbre, croisant une foule d’élèves qui se hâtaient d’aller déjeuner. Sa colère, qui avait explosé d’une manière si inattendue, continuait de bouillonner en lui et il éprouva une intense satisfaction en repensant à l’expression choquée de Ron et d’Hermione. « Bien fait pour eux, pensa-t-il. Ils ne peuvent donc jamais arrêter de se disputer… N’importe qui deviendrait fou à les entendre… »
Il passa devant le grand tableau qui représentait le chevalier du Catogan. Celui-ci tira aussitôt son épée et la brandit d’un air féroce en menaçant Harry qui ne lui accorda aucune attention.
– Reviens donc, chien galeux ! Reviens te battre ! s’écria le chevalier d’une voix étouffée par le heaume de son armure.
Harry poursuivit son chemin tandis que le chevalier essayait de le suivre en se précipitant dans un tableau voisin, dont il fut chassé par son occupant, un gros chien-loup aux yeux flamboyants de colère.
Harry passa la fin de l’heure du déjeuner assis seul sous la trappe située au sommet de la tour nord. Lorsque la cloche sonna, il fut ainsi le premier à monter l’échelle d’argent par laquelle on accédait à la classe de Sibylle Trelawney.
Après les potions, la divination était la matière que Harry aimait le moins, en raison principalement de la manie qu’avait le professeur Trelawney de lui prédire presque à chaque cours une mort prématurée. C’était une femme mince, enveloppée de grands châles et chargée de perles qui étincelaient de toutes parts. Harry trouvait qu’elle avait l’air d’un insecte avec ses épaisses lunettes qui lui grossissaient extraordinairement les yeux. Lorsqu’il entra, elle était occupée à déposer des volumes de cuir usé sur les petites tables aux pieds effilés qui remplissaient la pièce. Mais la lumière que diffusaient les lampes recouvertes de châles et le feu de bois aux senteurs écœurantes était si faible qu’elle ne sembla pas remarquer sa présence lorsqu’il alla s’asseoir dans la pénombre. Le reste de la classe arriva dans les cinq minutes qui suivirent. Ron émergea de la trappe, regarda lentement tout autour de la pièce puis, lorsqu’il eut repéré Harry, s’avança directement vers lui, ou en tout cas aussi directement que le permettaient les tables, les fauteuils et les énormes poufs qu’il fallait contourner et enjamber.