Rusard, le concierge, entra dans la pièce, la respiration sifflante. Ses joues creuses, aux veines apparentes, étaient parsemées de plaques violettes, ses bajoues frémissaient et ses cheveux gris voletaient autour de sa tête. De toute évidence il avait couru jusqu’ici. Miss Teigne, qui trottait sur ses talons, leva les yeux vers les hiboux en miaulant d’un air affamé. Il y eut une grande agitation d’ailes et une grosse chouette claqua du bec d’un air menaçant.
– Aha ! s’exclama Rusard.
Il s’avança vers Harry, ses gros pieds plats claquant sur le sol, ses joues flasques frémissantes de colère.
– On m’a dit que vous vous apprêtiez à passer une grosse commande de Bombabouses.
Harry croisa les bras et fixa le concierge.
– Qui vous a dit que je commandais des Bombabouses ?
Les sourcils froncés, Cho regarda successivement Harry et Rusard. La chouette posée sur son bras, fatiguée de se tenir sur une patte, émit un hululement de protestation mais Cho n’y prit pas garde.
– J’ai mes sources, dit Rusard d’une voix sifflante qui exprimait toute sa satisfaction. Donnez-moi donc ce que vous aviez l’intention d’envoyer.
Se félicitant de n’avoir pas traîné dans l’expédition de sa lettre, Harry répondit :
– Impossible, c’est déjà parti.
– Parti ? dit Rusard, le visage crispé de rage.
– Parti, répéta calmement Harry.
Rusard ouvrit la bouche d’un air furieux, prononça quelques mots inaudibles puis promena son regard inquisiteur sur la robe de Harry.
– Comment puis-je être sûr que vous ne cachez rien dans votre poche ?
– Oh, pour une raison simple…
– Je l’ai vu l’envoyer, dit Cho avec colère.
Rusard se tourna vers elle.
– Vous l’avez vu ?
– Oui, je l’ai vu, répéta-t-elle d’un ton féroce.
Il y eut un silence pendant lequel Rusard jeta un regard noir à Cho qui le lui rendit, puis le concierge retourna vers la porte d’un pas traînant. La main sur la poignée, il s’arrêta et lança un coup d’œil menaçant à Harry.
– Si jamais je sens la moindre Bombabouse…
Il descendit alors l’escalier d’un pas pesant. Miss Teigne contempla une dernière fois les hiboux avec convoitise puis se décida à le suivre.
Harry et Cho échangèrent un regard.
– Merci, dit Harry.
– Pas de quoi, répondit Cho.
Le teint légèrement rosé, elle acheva d’attacher son colis à la patte de la chouette.
– Tu n’as pas commandé de Bombabouses, n’est-ce pas ?
– Non, dit Harry.
– Je me demande pourquoi il a cru ça, dit-elle, en portant la chouette jusqu’à la fenêtre.
Harry haussa les épaules. Il était tout aussi étonné qu’elle, même si, étrangement, il ne s’en souciait guère pour le moment.
Ils sortirent ensemble de la volière. À l’entrée du couloir qui menait vers l’aile ouest du château, Cho lui dit :
– Je vais par là. Je… à un de ces jours, Harry.
– Oui… à bientôt.
Elle lui sourit et s’éloigna. Harry poursuivit son chemin dans un état de ravissement silencieux. Il avait réussi à avoir toute une conversation avec elle sans se sentir gêné une seule fois… « C’était vraiment courageux de ta part de lui tenir tête comme ça… » Cho lui avait dit qu’il était courageux… Elle ne lui en voulait pas d’avoir survécu à Cedric…
Bien sûr, c’était Cedric qu’elle lui avait préféré, il le savait… Pourtant, s’il avait réussi à l’inviter au bal avant lui, tout aurait peut-être été différent… Elle avait paru sincèrement désolée d’avoir à refuser sa proposition…
– Bonjour, dit Harry d’un ton claironnant à Ron et à Hermione lorsqu’il les rejoignit à la table de Gryffondor.
– Qu’est-ce qui te met de si bonne humeur ? demanda Ron en le dévisageant d’un air surpris.
– Heu… de jouer au Quidditch tout à l’heure, répondit Harry d’un ton joyeux en se servant une grande assiettée d’œufs au lard.
– Ah oui…, dit Ron.
Il reposa le toast qu’il était en train de manger et but une longue gorgée de jus de citrouille avant de poursuivre :
– Écoute… Est-ce que ça te dirait d’y aller un peu plus tôt avec moi pour… heu… que je m’habitue un peu avant la séance ? Que je puisse me mettre au niveau, tu comprends ?
– Oui, d’accord, assura Harry.
– Eh bien, moi, je crois que tu ne devrais pas, intervint Hermione. Vous avez tous les deux beaucoup de retard dans vos devoirs et je pense que…
Elle fut interrompue par l’arrivée du courrier. Comme d’habitude, un hibou moyen duc fonça vers elle, La Gazette du sorcier dans le bec, et atterrit dangereusement près du sucrier, la patte tendue. Hermione glissa une Noise dans sa bourse et parcourut la première page du journal d’un œil critique tandis que l’oiseau reprenait son vol.
– Rien d’intéressant ? demanda Ron.
Harry eut un sourire. Il savait que Ron cherchait surtout à détourner la conversation sur un autre sujet que les devoirs.
– Non, soupira Hermione, juste des idioties sur la bassiste des Bizarr’ Sisters qui va se marier.
Elle ouvrit le journal et disparut derrière. Harry se servit une autre assiettée d’œufs au lard pendant que Ron contemplait les fenêtres de la Grande Salle, l’air un peu préoccupé.
– Oh, mais attends…, dit soudain Hermione. Oh non… Sirius !
– Qu’est-ce qui s’est passé ? s’exclama Harry en lui arrachant le journal d’un geste si violent qu’il le déchira par le milieu, chacun gardant une moitié dans les mains.
– « Le ministère de la Magie a reçu d’une source digne de foi une information selon laquelle Sirius Black, l’assassin de sinistre réputation… bla, bla, bla… se cacherait actuellement à Londres ! » lut Hermione dans un murmure angoissé.
– Ça, je suis prêt à parier n’importe quoi que c’est un coup de Lucius Malefoy, dit Harry à voix basse, le regard furieux. Il a dû reconnaître Sirius sur le quai de la gare…
– Quoi ? s’écria Ron, affolé. Tu ne m’as pas dit…
– Chut ! ordonnèrent les deux autres d’une même voix.
– … « Le ministère a le devoir d’avertir l’ensemble de la communauté des sorciers que Black est un homme très dangereux… a tué treize personnes… s’est évadé d’Azkaban… », les imbécillités habituelles, conclut Hermione qui posa sur la table sa moitié de journal en regardant Harry et Ron d’un air effaré. Il ne pourra certainement plus quitter la maison, murmura-t-elle. Dumbledore lui avait pourtant dit de ne pas sortir.
Harry, la mine sombre, jeta un coup d’œil au morceau de La Gazette qu’il avait déchiré. La plus grande partie de la page était consacrée à une publicité en faveur de « Madame Guipure prêt-à-porter pour mages et sorciers ». La boutique proposait des articles en solde.
– Hé ! dit soudain Harry en étalant la page sur la table. Regardez !
– Je n’ai pas besoin de robes, j’ai tout ce qu’il me faut, dit Ron.
– Non, pas ça. Regardez, là, cet entrefilet…