Dès qu’ils entrèrent dans la Grande Salle, il fut évident que l’annonce d’Ombrage n’était pas réservée aux seuls Gryffondor. Une intensité particulière animait les conversations et l’on remarquait davantage de mouvement que d’habitude, les élèves passant d’une table à l’autre pour discuter de ce qu’ils venaient de lire. Harry, Ron et Hermione s’étaient à peine assis que Neville, Fred, George et Ginny fondirent sur eux.
– Vous avez vu ça ?
– Vous croyez qu’elle est au courant ?
– Qu’est-ce qu’on va faire ?
Tous les regards étaient tournés vers Harry qui jeta un coup d’œil autour de lui pour s’assurer qu’aucun professeur ne pouvait les entendre.
– On va le faire quand même, bien sûr, dit-il à voix basse.
– Je savais que tu dirais ça, se réjouit George, le visage rayonnant en donnant à Harry une tape sur le bras.
– Les préfets sont d’accord ? demanda Fred, avec un regard interrogateur en direction de Ron et d’Hermione.
– Bien entendu, répondit froidement Hermione.
– Voilà Ernie et Hannah Abbot, dit Ron en regardant par-dessus son épaule. Et aussi les types de Serdaigle et Smith… Aucun d’eux n’a l’air d’avoir de boutons.
Hermione sembla inquiète.
– Peu importe les boutons, il ne faut surtout pas que ces idiots viennent nous voir maintenant, ce serait vraiment suspect… Asseyez-vous ! dit-elle à Ernie et à Hannah en remuant simplement les lèvres, avec des gestes frénétiques pour leur faire signe de rejoindre la table de Poufsouffle. Plus tard ! Nous-parlerons-plus-tard, ajouta-t-elle, toujours silencieusement.
– Je vais aller prévenir Michael, dit Ginny d’un ton agacé en pivotant sur son banc pour se lever. Quel imbécile, vraiment !
Elle se précipita vers la table des Serdaigle et Harry la suivit des yeux. Cho, assise un peu plus loin, bavardait avec l’amie aux cheveux bouclés qu’elle avait amenée à La Tête de Sanglier. L’avis placardé par Ombrage allait-il la dissuader de revenir aux réunions ?
Mais l’ampleur des conséquences qu’entraînait la nouvelle réglementation ne leur apparut pleinement qu’au moment où ils quittèrent la Grande Salle pour se rendre au cours d’histoire de la magie.
– Harry ! Ron !
Angelina se hâtait vers eux. Elle semblait au désespoir.
– Ça ne fait rien, dit Harry à voix basse lorsqu’elle fut suffisamment près pour l’entendre. On va quand même continuer à…
– Est-ce que vous vous rendez compte que ça concerne aussi le Quidditch ? l’interrompit Angelina. Il faut qu’on aille demander la permission de reconstituer l’équipe !
– Quoi ? s’exclama Harry.
– Impossible ! dit Ron, effaré.
– Tu as lu l’avis, il parle également des équipes ! Alors, écoute, Harry, je te dis ça pour la dernière fois… S’il te plaît, s’il te plaît, ne recommence pas à t’énerver avec Ombrage sinon, elle peut nous interdire définitivement de jouer !
– D’accord, d’accord, répondit Harry en voyant Angelina au bord des larmes. Ne t’inquiète pas, je ferai attention…
– Je parie qu’on va retrouver Ombrage au cours d’histoire de la magie, dit sombrement Ron tandis qu’ils prenaient le chemin de la classe de Binns. Elle ne l’a pas encore inspecté… Je te parie ce que tu veux qu’elle est là-bas…
Mais il se trompait. À leur entrée dans la classe, Binns était seul, flottant comme d’habitude à quelques centimètres au-dessus de sa chaise, prêt à poursuivre son exposé soporifique sur les guerres des géants. Ce jour-là, Harry n’essaya pas de suivre ce qu’il disait. Il dessinait négligemment sur son parchemin, indifférent aux regards noirs d’Hermione et à ses coups de coude répétés, jusqu’à ce qu’un coup dans les côtes plus douloureux que les autres lui fasse relever la tête d’un air furieux.
– Quoi ?
Elle montra la fenêtre du doigt et Harry vit Hedwige, perchée sur l’étroit rebord. Une lettre attachée à la patte, elle le fixait des yeux à travers les épais carreaux. Harry ne comprenait pas. Ils venaient de prendre leur petit déjeuner, pourquoi donc n’avait-elle pas apporté la lettre à ce moment-là, comme d’habitude ? Plusieurs élèves, à présent, se montraient Hedwige du doigt.
– J’ai toujours adoré cette chouette, elle est tellement belle, chuchota Lavande à Parvati.
Harry jeta un coup d’œil au professeur Binns qui continuait de lire sereinement ses notes, sans s’apercevoir le moins du monde que l’attention de la classe était encore moins centrée sur lui qu’à l’ordinaire. Harry glissa en silence de sa chaise, se pencha en avant et se faufila très vite entre les rangées de tables en direction de la fenêtre qu’il ouvrit lentement.
Il s’attendait à ce qu’Hedwige lui tende la patte pour qu’il puisse prendre la lettre avant qu’elle ne rejoigne la volière mais, lorsque la fenêtre fut suffisamment ouverte, elle sauta à l’intérieur de la classe en poussant un hululement plaintif. Harry referma la fenêtre, jeta un regard inquiet à Binns puis, toujours penché en avant, se dépêcha de regagner sa place, Hedwige sur son épaule. Lorsqu’il se fut rassis, il posa Hedwige sur ses genoux et détacha la lettre de sa patte.
Ce fut à ce moment-là seulement qu’il se rendit compte que les plumes d’Hedwige étaient étrangement ébouriffées, certaines courbées dans le mauvais sens, et qu’une de ses ailes formait un angle bizarre avec le reste de son corps.
– Elle est blessée ! murmura Harry en penchant la tête pour l’examiner de plus près.
Ron et Hermione regardèrent à leur tour. Hermione posa même sa plume.
– Vous voyez, elle a l’aile de travers…
Hedwige tremblait. Lorsque Harry voulut lui toucher l’aile, elle sursauta légèrement, les plumes hérissées, comme si elle se gonflait à la manière d’un ballon, et lui jeta un regard de reproche.
– Professeur Binns, dit Harry à haute voix.
Toute la classe se tourna vers lui.
– Je ne me sens pas très bien.
Le professeur Binns leva les yeux de ses notes, stupéfait, comme à son habitude, de voir devant lui une classe remplie d’élèves.
– Vous ne vous sentez pas bien ? répéta-t-il d’un air absent.
– Non, pas bien du tout, déclara fermement Harry.
Il se leva, Hedwige cachée derrière son dos.
– Il faut que j’aille à l’infirmerie.
– Oui, dit le professeur Binns, pris au dépourvu. Oui… Oui, à l’infirmerie… Eh bien, allez-y, Perkins…
Une fois sorti, Harry remit Hedwige sur son épaule et se hâta le long du couloir. Lorsqu’il fut certain qu’on ne pouvait plus le voir depuis la porte de la classe, il s’arrêta pour réfléchir. Bien entendu, la première personne à laquelle il aurait pensé pour soigner Hedwige était Hagrid mais comme il n’avait aucune idée de l’endroit où il se trouvait, la solution qui restait consistait à chercher le professeur Gobe-Planche en espérant qu’elle pourrait l’aider.
Il s’arrêta devant une fenêtre et jeta un coup d’œil au parc plongé dans la grisaille et battu par les vents. Il n’y avait aucune trace d’elle près de la cabane de Hagrid. Si elle ne donnait pas de cours, elle devait être dans la salle des professeurs. Il descendit les escaliers, Hedwige vacillant sur son épaule et poussant de faibles hululements.
Deux gargouilles de pierre encadraient la porte de la salle des professeurs. Lorsque Harry s’approcha, l’une d’elles croassa :