Par trois fois, une main frappa à la porte de chêne.
À présent plus lentement, l'effroyable baguette retourna dans son étui de duel accroché sous la manche du vieux sorcier. Le vieil homme avança de quelques pas, prit une posture plus formelle et ajusta l'expression de son visage. Non loin, sur le bureau, la plume se plaça à côté du parchemin, comme si elle avait précautionneusement été placée là plutôt que jetée avec hâte, et le parchemin lui-même se retourna pour ne plus montrer qu'un fond vierge.
D'un mouvement sec et silencieux de sa volonté, la porte de chêne s'ouvrit grand.
Aussi durs que la pierre, les yeux verts le regardaient avec furie.
"J'admets être impressionné, Harry," dit le vieux sorcier à voix basse. "La Cape d'Invisibilité t'aurait permis d'échapper à mes moyens d'observations les plus faibles ; mais je n'ai pas senti mes golems s'écarter ni les escaliers tourner. Comment es-tu venu ici ?"
Le garçon entra dans le bureau, chaque pas délibéré, étudié, jusqu'à ce que la porte se referme doucement derrière lui. "Je peux aller où bon me semble, avec ou sans votre permission," dit le garçon. Sa voix semblait calme ; trop calme, peut-être. "Je suis dans votre bureau car j'ai décidé de m'y rendre, et au diable les mots de passe. Vous auriez bien tort, M. le directeur, de penser que je ne reste dans cette école que parce que j'y suis prisonnier. Je n'ai simplement pas encore choisi de partir. En gardant cela à l'esprit, pourquoi avez-vous ordonné à votre agent, le professeur Rogue, de briser l'accord que nous avions passé dans ce bureau, à savoir qu'il ne tourmenterait plus d'élèves avant leur cinquième année ?"
Le vieux sorcier regarda le jeune héros en colère pendant un long moment. Puis, assez lentement pour ne pas alarmer le garçon, ses doigts flétris ouvrirent l'un des nombreux tiroirs du bureau, en sortirent une feuille de parchemin et l'étalèrent sur le bureau. "Quatorze," dit le vieux sorcier. "Ce n'est pas le nombre de chouettes envoyées la nuit dernière. Seulement celles envoyées aux familles qui possèdent un siège au Magenmagot, une grande fortune, ou qui sont déjà alliées à tes ennemis. Ou, dans le cas de Robert Jugson, les trois à la fois, car son père Lord Jugson est un Mangemort et son grand-père un Mangemort tombé sous la baguette d'Alastor Maugrey. Ce que les lettres disent, je l'ignore, mais je peux le deviner. Ne comprends-tu toujours pas, Harry ? Chaque fois que Hermione Granger gagnait, comme tu le dis, la menace de Serpentard sur elle augmentait, encore et encore. Mais aujourd'hui ceux de Serpentard ont triomphé d'elle, facilement et sans encombre, sans violence ni dommages durables. Ils ont gagné et ils n'ont plus besoin de se battre..." le vieux sorcier soupira. "C'est du moins ce que j'avais prévu. Ce que j'avais espéré. Et il en aurait été ainsi si le professeur de Défense n'avait pas choisi d'intervenir. La dispute remonte donc maintenant au Conseil des Gouverneurs, ou Severus semblera vaincre le professeur de Défense ; mais ce ne sera pas la même chose pour les Serpentard, ça ne sera pas terminé, achevé en un instant à leur entière satisfaction."
Le garçon avança d'un pas de plus dans la pièce, sa tête se penchant un peu plus en arrière pour faire face aux lunettes en demi-lune, et pourtant il semblait que c'était le garçon qui toisait le directeur plutôt que le contraire. "Donc ce Lord Jugson est un Mangemort ?" dit le garçon d'une voix douce. "Bien. Sa vie nous appartient donc déjà, et je peux en faire ce que je veux sans avoir de problème éthique -"
"Harry !"
La voix du garçon était aussi claire qu'un bloc de glace faite de l'eau la plus pure venue de quelque source reculée. "Vous semblez penser que la Lumière devrait vivre dans la peur des Ténèbres. Je dis que ça devrait être le contraire. Je préférerais ne pas tuer ce Lord Jugson même s'il est un Mangemort. Mais une heure de réflexion avec le professeur de Défense devrait amplement suffire à trouver un moyen imaginatif de le ruiner financièrement ou de le faire exiler d'Angleterre magique. Je pense que cela aiderait à clarifier les choses."
"Je confesse," dit lentement le vieux sorcier, "que l'idée de ruiner une maison vieille de cinq cents ans et de provoquer un Mangemort dans une guerre à outrance à cause d'une bagarre dans les couloirs de Poudlard ne m'était pas venue, Harry." Le vieux sorcier leva un doigt pour remonter ses lunettes en demi-lunes depuis le bout de son nez, où elles avaient glissé lors de son mouvement rapide un peu plus tôt. "J'ose avancer qu'elle ne viendrait pas non plus à Mlle Granger, pas plus qu'au professeur McGonagall ou à Fred et à George."
Le garçon haussa les épaules. "Ce ne serait pas à propos des couloirs," dit le garçon. "Ce ne serait que justice pour ses crimes passés, et je ne le ferais que si Jugson jouait le premier coup. L'idée n'est pas de m'utiliser comme un joker qui inspire la crainte, après tout. C'est d'enseigner aux gens que les neutres sont parfaitement à l'abri de mes coups et qu'il est incroyablement dangereux de tester mes limites." Le garçon eut un sourire qui n'atteignit pas ses yeux. "Peut-être que j'achèterai un encart publicitaire dans la Gazette du Sorcier pour dire que tous ceux qui veulent poursuivre cette querelle avec moi apprendront le véritable sens du mot Chaos mais que tous ceux qui me laissent tranquille n'auront pas de problème."
"Non," dit le vieux sorcier. Sa voix était à présent plus grave et révélait une partie de son âge et de son véritable pouvoir. "Non, Harry, il ne peut en être ainsi. Tu n'as pas encore appris le sens du combat, ce qui se passe réellement lorsque des ennemis se rencontrent sur le champ de bataille. Et ainsi tu rêves, comme tous les jeunes garçons le font, d'apprendre à tes ennemis à te craindre. Cela m'effraie, car tu as peut-être déjà, bien trop jeune, assez de pouvoir pour transformer une partie de ces rêves en réalité. Sur cette route, il n'est pas d'embranchement qui ne mène pas au ténèbres, Harry, aucun. C'est le chemin du Seigneur des Ténèbres, c'est certain."
Le garçon hésita alors et ses yeux passèrent brièvement sur le perchoir vide où Fumseck reposait parfois ses ailes. C'était un mouvement que peu auraient perçu, mais le vieux sorcier le connaissait très bien.
"D'accord, oubliez la partie où je leur apprends à me craindre," dit alors le garçon. Sa voix n'en était pas moins dure, mais une partie du froid l'avait quittée. "Je ne pense toujours pas que vous devriez laisser les enfants se faire brutaliser de peur de ce que Lord Jugson pourrait faire. Les protéger constitue l'essentiel de votre métier. Si Lord Jugson essaie vraiment de vous barrer la route, alors faites tout ce qu'i faire pour l'arrêter. Donnez-moi un accès complet à vos coffres et j'endosserai personnellement toute responsabilité liée aux retombées qu'il pourrait y avoir à bannir les brutes de Poudlard, qu'elles viennent de Lord Jugson ou de qui que ce soit d'autre."
Lentement, le vieux sorcier secoua la tête. "Harry, il semble que tu crois que je n'aie qu'à employer tout mon pouvoir et que tous les ennemis seront alors balayés. Tu as tort. Lucius Malfoy contrôle Fudge, influence toute l'Angleterre par le biais de la Gazette du Sorcier, et ce n'est que par une très faible marge qu'il ne contrôle pas assez le conseil des gouverneurs pour m'exclure de Poudlard. Amelia Bones et Bartemius Crouch sont des alliés, mais même eux s'écarteraient s'ils nous voyaient agir avec inconséquence. Le monde qui nous entoure est plus fragile que ce que tu sembles croire, et il nous faut avancer avec plus de prudence. La vieille guerre des sorciers n'a jamais pris fin, Harry, elle n'a fait que continuer sous une forme différente ; le roi noir dormait et Lucius Malfoy a déplacé ses pièces pendant un moment. Penses-tu que Lucius te permettrait de lui prendre un pion sans réagir ?"