Le garçon sourit, et une partie de la froideur revint. "D'accord, je trouverai un moyen d'arranger les choses pour que Lord Jugson ait l'air d'avoir trahi son propre camp."
"Harry -"
"Les obstacles ne sont qu'un appel à la créativité, M. le directeur. Ils n'exigent pas que vous abandonniez les enfants que vous étiez censé protéger. Faisons gagner le côté clair, et si cela provoque des problèmes..." le garçon haussa les épaules. "Faisons-le gagner à nouveau."
"Ainsi parleraient les phénix s'ils en étaient capables," dit le vieux sorcier. "Mais tu ne comprends pas le prix du phénix."
Les deux derniers mots furent prononcés d'une voix particulièrement distincte qui sembla résonner dans le bureau, et un immense grondement apparut alors tout autour d'eux.
Entre l'ancien bouclier accroché au mur et le porte-Choixpeau, la pierre des murs commença à couler, à bouger, à se verser dans deux colonnes et à révéler une ouverture entre elles, un passage, qui laissait voir un escalier de pierre qui menait vers le haut, vers les ténèbres.
Le vieux sorcier se détourna et monta ces escaliers, puis il se retourna vers l'endroit où Harry Potter se tenait. "Viens !" dit le vieux sorcier. Ses yeux ne pétillaient plus. "Puisque tu es déjà allé jusqu'à forcer ton entrée sans être invité, autant que tu ailles un peu plus loin."
Il n'y avait pas de rambarde sur ces escaliers de pierre, et au bout de quelques pas, Harry sortit sa baguette et lança un Lumos. Le directeur ne regarda pas en arrière et ne semblait pas regarder ses pieds, comme s'il avait monté ses escaliers assez souvent pour ne pas avoir besoin de les voir.
Le garçon savait qu'il aurait dû être curieux ou effrayé, mais il n'avait plus assez de capacité mentale disponible. Il lui fallait tout son contrôle de lui-même pour ne pas laisser la furie qui frémissait en lui déborder plus qu'elle ne l'avait déjà fait.
Les escaliers continuèrent de monter sur une courte distance, une volée droite sans courbe ni angle.
Au sommet se trouvait une épaisse porte de métal, noire sous la lumière bleue de la baguette de Harry, ce qui signifiait que le métal lui-même était soit noir soit peut-être rouge.
Albus Dumbledore leva sa longue baguette comme on aurait brandi un symbole et parla de nouveau de cette étrange voix qui sembla résonner dans les oreilles de Harry, comme si elle se gravait au fer rouge dans sa mémoire : "Destin du phénix".
La dernière porte s'ouvrit et Harry entra derrière Dumbledore.
La pièce semblait être faite d'un métal noir similaire à celui de la porte qui y menait. Les murs étaient noirs, le sol était noir. Le plafond au-dessus était noir à l'exception d'un unique globe de cristal qui pendait de celui-ci, accroché à une chaîne blanche qui brillait d'une lueur argentée qu'on aurait dit destinée à imiter la lumière d'un Patronus, même si on pouvait voir que ce n'était pas tout à fait ça.
Dans la pièce se trouvaient des piédestaux de métal noir et chacun portait soit une image mouvante, soit un cylindre à moitié empli d'un liquide argenté légèrement brillant, soit un petit objet isolé : un collier d'argent brûlé, un chapeau écrasé, une bague de mariage en or, neuve. De nombreux piédestaux portaient les trois à la fois, l'image mouvante, le liquide argenté et l'objet. Il semblait y avoir de nombreuses baguettes de sorciers sur ces piédestaux, et nombre de ces baguettes étaient brisées, brûlées, ou semblait avoir fondu.
Il fallut tout ce temps pour que Harry comprenne ce qu'il regardait et sa gorge se noua soudain. C'était comme si la rage qui l'habitait avait reçu un coup de marteau, peut-être le plus fort qu'il ait jamais reçu de sa vie.
"Tous ceux qui sont tombés à cause de toutes mes guerres ne sont pas là," dit Albus Dumbledore, dont Harry ne pouvait voir que les boucles grises et les robes jaunes. "Loin de là. Seuls mes amis les plus proches et ceux qui sont morts à cause de mes pires décisions. Une partie de ceux-là se trouve ici. Ceux que je regrette le plus résident ici."
Harry n'arrivait pas à compter combien de piédestaux se trouvaient là. Peut-être une centaine. La pièce de métal noire n'était pas petite et il restait clairement de l'espace destiné à accueillir des piédestaux supplémentaires.
Albus Dumbledore se retourna et regarda Harry de ses profonds yeux bleus sertis sur son visage tels des bijoux d'acier, mais sa voix fut calme : "J'ai l'impression que tu ignores tout du prix du phénix," dit Albus Dumbledore à voix basse. "J'ai l'impression que tu n'es pas quelqu'un de mauvais mais des plus terriblement ignorant, confiant dans son ignorance, comme je l'ai été un jour, il y a longtemps. Et pourtant je n'ai jamais entendu Fumseck aussi clairement que tu sembles l'avoir entendu, ce jour-là. Peut-être étais-je déjà trop vieux et endeuillé lorsque mon phénix est venu me voir. S'il est quelque chose que je ne comprends pas quant à l'empressement que je devrais avoir à me battre, fais-moi part de ta sagesse." La voix du vieux sorcier ne contenait nulle colère ; l'impact qui coupait le souffle comme si on venait de tomber d'un balais volant provenait entièrement des baguettes brûlées et fracassées qui luisaient doucement dans la mort, sous la lumière argentée. "Sinon, détourne-toi et pars de ce lieu, mais alors je ne voudrais plus jamais en entendre parler."
Harry ne savait pas quoi dire. Il n'avait jamais rien vécu de tel et tous les mots semblaient s'écrouler. Il aurait trouvé quelque chose à dire s'il avait cherché, mais il n'arrivait pas à croire, en cet instant, que des mots pourraient avoir un sens. On n'aurait pas dû pouvoir gagner n'importe quel débat uniquement parce que des gens étaient morts à cause de ses décisions, et pourtant, même en sachant cela, Harry avait l'impression qu'il n'avait rien qu'il puisse dire. Rien qu'il ait le droit de dire.
Et il se serait détourné, il aurait quitté ce lieu sans l'éclair de compréhension qui le traversa alors : qu'une partie d'Albus Dumbledore se tenait probablement ici en permanence, toujours, peu importe ou il était. Et que si vous étiez dans un endroit pareil, vous pouviez faire n'importe quoi, perdre n'importe quoi tant que cela vous permettait de ne pas avoir à vous battre une fois de plus.
L'un des piédestaux attira le regard de Harry ; la photographie qui s'y trouvait ne bougeait pas, ne souriait pas, n'agitait pas la main ; c'était la photographie d'une femme qui regardait l'objectif avec sérieux, ses cheveux châtains tressés en nattes d'un style moldu ordinaire que Harry n'avait vu porté par aucun sorcière. Un cylindre empli d'un liquide argenté se trouvait à côté de la photo, mais il n'y avait aucun objet, pas d'anneau fondu ni de baguette brisée.
Harry avança lentement jusqu'à se tenir devant le piédestal. "Qui était-elle ?" dit Harry d'une voix qui sembla étrange à ses propres oreilles.
"Elle s'appelait Tricia Glasswell," dit Dumbledore. "La mère d'un fille née-Moldue que les Mangemort ont tué. Elle était détective pour le gouvernement moldu, et elle a ensuite fourni des informations venues des autorités moldues à l'Ordre du Phénix jusqu'à être... trahie... et mise entre les mains de Voldemort." Il y eut comme un accroc dans la voix de Dumbledore. "Elle n'est pas morte en paix, Harry;"
"A-t-elle sauvé des vies ?" dit Harry.
"Oui," dit doucement le sorcier. "En effet."
Harry éleva son regard au-dessus du piédestal pour regarder Dumbledore. "Le monde serait-il un endroit meilleur si elle ne s'était pas battue ?"
"Non," dit le vieux sorcier. Sa voix était fatiguée et endeuillée. Il semblait plus penché, comme s'il était en train de se replier sur lui-même. "Je vois que tu ne comprends toujours pas. Je pense que tu ne comprendras pas avant le jour où tu... oh, Harry. Il y a si longtemps, quand je n'étais pas beaucoup plus âgé que tu ne l'es maintenant, j'ai découvert le véritable visage de la violence, et son prix. Emplir un lieu sortilèges mortels - qu'elle qu'en soit la raison - quelle qu'en soit la raison, Harry - est une chose laide qui corrompt sa nature, aussi terrible que le plus noir des rituels. La violence, une fois commencée, devient comme un Moremplis et attaque toute vie qui l'entoure. Je... voudrais pouvoir t'épargner la façon dont j'ai appris cette leçon."