Puis vint le bruit de pas le plus discret qui soit, presque inaudible même sur le sol forestier ; la démarche d'un homme habitué à passer inaperçu. Aucune brindille ne se brisa, aucune feuille ne bruissa...
"Bon après-midi," dit le professeur Quirrell. Il ne prit la peine de déplacer ni ses yeux, ni ses mains nonchalamment laissées le long de ses flancs.
Un silhouette couverte d'une cape noire apparut dans une vibration visuelle tandis que sa tête se tournait pour regarder à gauche et à droite. Dans la main droite de la silhouette, tenue basse, se trouvait une baguette d'un bois si gris qu'elle était presque argentée.
"Je ne sais pas pourquoi vous désiriez que nous nous rencontrions ici en particulier," dit Severus Rogue d'un voix fraîche.
"Oh," dit le professeur Quirrell comme pour passer le temps, comme si toute l'affaire n'avait pas la moindre importance, "j'ai pensé que vous préféreriez avoir de l'intimité. Les murs de Poudlard ont des oreilles, et vous ne voudriez pas que le directeur apprenne votre rôle dans l'affaire d'hier, n'est-ce pas ?"
La fraîcheur de mars sembla devenir plus profonde, la température sembla chuter. "Je ne sais pas de quoi vous parlez," dit le maître des potions d'un ton glacial.
"Vous savez parfaitement de quoi je parle," dit le professeur Quirrell d'un ton amusé. "Vraiment, mon bon professeur, vous ne devriez pas vous mêler des affaires d'idiots à moins d'être à chaque instant prêt à vous défendre contre toute la violence dont ils sont capables." (Les mains du professeur Quirrell étaient toujours détendues, le long de ses flancs). "Et pourtant aucun de ces idiots ne semble se souvenir vous avoir vu tomber, pas plus que ces jeunes demoiselles ne se remémorent votre présence. Ce qui soulève une question fascinante : pourquoi feriez-vous l'effort extraordinaire, j'oserais dire l'effort désespéré, de lancer cinquante-deux sortilèges d'Oubliettes ?" Le professeur Quirrell inclina la tête. "Auriez-vous tant peur de l'opinion de simples élèves ? Je ne pense pas. Redouteriez-vous que l'affaire devienne connue de votre bon ami, Lord Malfoy ? Mais ces idiots avaient immédiatement inventé une excuse assez satisfaisante quant à votre présence. Non, il n'y a qu'une personne qui a assez de pouvoir sur vous et qui serait des plus perturbées d'apprendre que vous exécutez le moindre plan sans qu'il en aie connaissance. Votre véritable et secret maître, Albus Dumbledore."
"Quoi ?" siffla le maître de potions, la colère visible sur ses traits.
"Mais il semble maintenant que vous jouiez seul, et je me retrouve donc des plus intrigués par ce que vous pourriez bien être en train de faire, et pourquoi." Le professeur de Défense regardait la silhouette vêtue de noir du maître des potions avec l'attention qu'un homme aurait pu apporter à un insecte exceptionnellement intéressant mais qui n'en serait pas moins demeuré, au fond, qu'un insecte.
"Je ne suis pas un serviteur de Dumbledore," dit le maître des potions d'une voix froide.
"Vraiment ? Quelle incroyable nouvelle." Le professeur de Défense souriait avec légèreté. "Dites-m'en plus."
Il y eut un long silence. Depuis un arbre, une chouette hulula, un son qui sembla immense ; aucun des deux hommes ne fut surpris ni ne tressaillit.
"Vous n'avez aucune envie d'être mon ennemi," dit Severus Rogue d'une voix très douce.
"Ah bon ?" dit le professeur Quirrell. "Et comment le sauriez-vous ?"
"En revanche," continua le maître des potions, sa voix toujours très douce, "mes amis bénéficient de nombreux avantages."
L'homme appuyé contre l'écorce grise leva les sourcils. "Tels que ?"
"Je sais nombre de choses sur cette école," dit le maître des potions. "Des choses que vous ne me soupçonnez peut-être pas de connaître."
Il y eut un silence, comme l'attente de quelque chose.
"Que c'est fascinant," dit le professeur Quirrell. L'homme examinait ses ongles avec l'air de s'ennuyer. "Continuez, je vous en prie."
"Je sais que vous avez... enquêté... sur le couloir du troisième étage -"
"Vous ne savez rien de tel." Le dos de l'homme se raidit. "N'essayez pas de me bluffer, Severus Rogue, je trouve cela agaçant et vous n'êtes en position de m'agacer. Un simple coup d'œil permettrait à n'importe quel sorcier compétent de savoir que le directeur a tissé des quantités astronomiques de toiles, de barrières, de pièges et d'alertes. De plus, il y a là des charmes venus d'un pouvoir ancien, des constructions magiques au sujet desquelles je n'ai même pas entendu de rumeurs, des techniques qui doivent avoir directement été dégorgées des connaissances accumulées de Flamel lui-même. Même Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom aurait eu du mal à les franchir sans être repéré." Le professeur Quirrell tapota sa joue d'un air pensif. "Quant à un loquet, un simple Collaporta placé sur une poignée ordinaire de façon si faible qu'il n'aurait pas pu bloquer Mlle Granger le jour où elle est arrivée à Poudlard. Jamais auparavant je n'ai eu connaissance d'un piège aussi flagrant." Le professeur de Défense plissa alors les yeux. "Je n'ai connaissance d'aucun individu encore de ce monde pour lequel de tels prouesses de détection accompliraient quoi que ce soit. S'il existe un sorcier possesseur de savoirs anciens contre qui ce piège a été tendu - vous pouvez échanger cette information contre autant de silence que vous voudrez, mon cher professeur, ainsi qu'une bonne dose de faveurs en prime."
On aurait pu jurer que le professeur Quirrell regardait Severus Rogue avec le plus grand intérêt. Pas une trace de sourire ne déplaça ses lèvres.
Il y eut un autre long silence dans la clairière.
"Je ne sais pas qui Dumbledore craint," dit Rogue. "Mais je sais quel appât a été mis en place, et j'ai une idée quant à ce qui le protège vraiment -"
"Quant à ça," dit le professeur comme s'il s'ennuyait de nouveau, "je l'ai volé il y a des mois et j'ai laissé un faux à sa place. Mais merci d'avoir demandé."
"Vous mentez," dit Severus Rogue au bout d'un moment.
"Oui, en effet." Le professeur Quirrell s'appuya de nouveau contre le bois gris, ses yeux s'élevant vers le dense maillage des branches, la nuit qui tombait à peine visible entre les complexes tresses. "Je souhaitais simplement voir si vous me reprendriez sur ce point puisque vous prétendez en savoir si peu." Le professeur de Défense se sourit à lui-même.
Le maître des potions avait l'air d'être sur le point de s'étrangler de rage. "Que voulez-vous ?"
"À vrai dire, rien," dit le professeur de Défense en continuant de regarder le toit forestier. "J'étais seulement curieux. J'imagine que je vais juste continuer d'observer et voir où vont vos plans, et pendant ce temps je ne dirai rien au directeur - tant que vous acceptez de m'octroyer une faveur de temps à autre, bien sûr." Un sourire sec passa sur son visage. "Vous êtes congédié pour le moment, Severus Rogue. Même si j'apprécierai une autre petite conversation sous peu si vous acceptez de me parler avec honnêteté de vos allégeances. Et je dis bien honnêtement, pas sous les masques que vous m'avez montré aujourd'hui. Peut-être découvrirez-vous que vous avez plus d'alliés que vous ne le pensiez. Prenez un peu de temps pour y réfléchir, mon ami."