"J'aurais pu faire qu'il n'attaque pas."
Dans les yeux de Dumbledore apparut un léger scintillement qui fut bientôt perdu dans sa fatigue. "Vraiment, Mlle Granger ? Peut-être devriez-vous être directrice à ma place, car je n'ai moi-même pas un tel pouvoir sur les enfants bornés."
"Harry a promis..." sa voix s'interrompit. L'horrible vérité était très difficile à prononcer. "Harry Potter m'a promis... Qu'il ne m'aiderait jamais... Si je lui demandais de ne pas le faire."
Il y eut une pause. Hermione se rendit compte que les bruits lointains de l'infirmerie qui avaient accompagnés le professeur McGonagall avaient cessé lorsque Dumbledore l'avait réveillée. De là où elle se trouvait, allongée dans son lit, elle ne pouvait voir que le plafond et le haut de l'une des fenêtres, mais rien dans son champ de vision ne bougeait, et s'il y avait des sons, elle ne pouvait pas les entendre.
"Ah," dit Dumbledore. Le vieux sorcier eut un profond soupir. "J'imagine qu'il est possible que le garçon ait alors tenu sa promesse."
""J'aurais... j'aurais dû..."
"Aller à Azkaban de ton plein gré ?" dit Dumbledore. "Mlle Granger, c'est là plus que je n'exigerai jamais d'un autre."
"Mais..." Hermione déglutit. Elle n'avait pas pu s'empêcher de remarquer la faille, car tous ceux qui voulaient franchir le portrait du dortoir Serdaigle apprenaient rapidement à faire attention aux formulations précises. "Mais ce n'est pas plus que ce que vous exigeriez de vous-même."
"Hermione..." commença le vieux sorcier.
"Pourquoi ?" dit la voix de Hermione, et il semblait maintenant que celle-ci continuait, libérée de son esprit. "Pourquoi ne pourrais-je pas être plus courageuse ? J'allais courir devant le Détraqueur – pour Harry – avant, je veux dire, en janvier... Alors pourquoi... Pourquoi... Pourquoi est-ce que je n'ai pas pu..." Pourquoi l'idée d'être envoyée à Azkaban l'avait elle complètement tétanisée, pourquoi avait-elle tout oublié du Bien...
"Ma chère petite fille," dit Dumbledore. Les yeux bleus derrière les lunettes en demi-lune exprimaient un compréhension totale de sa culpabilité. "Je n'aurais pas fait mieux moi-même lors de ma première année à Poudlard. Tout comme tu souhaiterais être plus gentille envers les autres, sois aussi plus gentille envers toi-même."
"Donc j'ai mal agi." Il semblait qu'elle avait besoin de le dire et qu'on le lui dise, même si elle le savait déjà.
Il y eut un silence.
"Écoute, jeune Serdaigle," dit le vieux sorcier, "écoutes-moi bien, car je vais te dire la vérité. La plupart des malfaisants ne se voient pas comme tels ; de fait, la plupart d'entre eux se croient être les héros des histoires qu'ils se racontent. J'ai un jour cru que les pires choses du monde étaient faites au nom du plus grand bien. J'avais tort. Terriblement tort. Il existe un mal dans ce monde qui se sait l'être et qui hait le bien de toute ses forces. Il souhaite détruire tout ce qui est bon."
Hermione frissonna dans son lit ; tout cela semblait très réel lorsque c'était Dumbledore qui le disait.
Le vieux sorcier continua de parler. "Tu es l'une des bonnes choses de ce monde, Hermione Granger, et ce mal te hait donc aussi. Si tu étais demeurée forte pendant ce procès, il t'aurait frappé plus fort, et encore plus fort, jusqu'à ce que tu te brises. Ne penses pas que les héros ne peuvent être brisés ! Nous sommes seulement plus résistants, Hermione." Les yeux du vieux sorcier étaient devenus plus sévères qu'elle ne les avait jamais vus. "Lorsqu'on est épuisé depuis de nombreuses heures, lorsque la douleur et la mort ne sont pas une peur passagère mais une certitude, alors il est plus difficile d'être un héros. Si je devais être honnête – alors aujourd'hui, oui, je n'hésiterais pas face à Azkaban. Mais lorsque j'étais dans ma première année à Poudlard – j'aurais fui devant ce Détraqueur auquel tu as fait face, car mon père était mort à Azkaban et que je les craignais. Saches-le ! Le mal qui t'a frappé aurait pu briser n'importe qui, même moi. Seul Harry Potter aura ce qu'il faut pour faire face à cette horreur, le jour où il sera en pleine possession de ses pouvoirs."
Le cou de Hermione ne pouvait plus rester tendu vers le vieux sorcier ; elle laissa sa tête tomber en arrière, jusqu'à son coussin, où elle regarda le plafond, tentant d'absorber autant de ces mots qu'elle le pouvait.
"Pourquoi ?" dit sa voix à nouveau tremblante. "Pourquoi quelqu'un serait-il aussi méchant ? Je ne comprends pas."
"Je me suis moi-même posé cette question," dit la voix de Dumbledore, chargée d'une profonde tristesse. "Je m'interroge depuis trente ans et je ne comprends toujours pas. Toi et moi ne comprendrons jamais, Hermione Granger. Mais au moins je sais maintenant ce que le véritable mal répondrait, si on pouvait lui parler et lui demander pourquoi il était ainsi. Il dirait : Pourquoi pas ?"
Un bref éclair d'indignation la traversa. "Il doit y avoir au moins un million de raisons de ne pas l'être !"
"Tout à fait," dit la voix de Dumbledore. "Un million de raisons, et encore plus. Nous connaîtrons toujours ces raisons, toi et moi. Si tu insiste pour le formuler ainsi – alors oui, Hermione, le procès d'aujourd'hui t'a brisée. Mais ce que tu fais après avoir été brisée – cela aussi, c'est être une héroïne. Ce que tu es, Hermione Granger, et ce que tu seras toujours."
Elle leva de nouveau la tête et le regarda.
Le vieux sorcier se leva de son lit. Sa barbe d'argent s'abaissa lorsqu'il s'inclina gravement devant elle puis il partit.
Elle continua de regarder la porte par laquelle le vieux sorcier était parti.
Cela aurait dû signifier quelque chose pour elle, cela aurait dû la toucher. Elle aurait dû se sentir mieux maintenant que Dumbledore, qui avait auparavant semblé si réticent, venait de la reconnaître en tant qu'héroïne.
Elle ne ressentait rien.
Hermione laissa sa tête retomber sur le lit, Mme Pomfresh vint et lui fit boire quelque chose qui brûla ses lèvres comme l'aurait fait une nourriture épicée, dont l'odeur était encore plus forte et qui n'avait aucun goût. Cela ne signifia rien pour elle. Elle continua de regarder les lointains blocs de pierre du plafond.
Minerva attendait en faisant de son mieux pour ne pas léviter près de la double porte de l'infirmerie de Poudlard ; enfant, elle avait toujours songé à ces portes comme à un "sinistre portail" et elle ne pouvait à présent s'empêcher de s'en souvenir. Trop de mauvaises nouvelles avaient été annoncées ici...
Albus sortit de l'infirmerie. Le vieux sorcier n'arrêta pas, continua seulement de marcher vers le bureau du professeur Flitwick, et Minerva le suivit.
Le professeur McGonagall s'éclaircit la gorge. "Est-ce fait, Albus ?"
Le vieux sorcier acquiesça d'un hochement de tête. "Si une magie hostile l'atteint ou si le moindre esprit la touche, je le saurai et j'accourrai."
"J'ai parlé à M. Potter après le cours de Métamorphose," dit le professeur McGonagall. "Il était d'avis qu'à partir de maintenant, Mlle Granger devrait aller à Beauxbâtons plutôt qu'à Poudlard."
Le vieux sorcier secoua la tête. "Non. Si Voldemort désire vraiment porter atteinte à Mlle Granger – il est tenace au-delà de toute mesure. Ses serviteurs le rejoignent, il n'aurait pas pu récupérer Bellatrix seul. Azkaban elle-même n'est pas à l'abri de sa malveillance, et quant à Beauxbâtons – non, Minerva. Je ne pense pas que Voldemort puisse s'essayer à de telles possessions souvent ou contre des cibles plus fortes, sans quoi cette année se serait déroulée bien différemment. Et Harry Potter est ici, que Voldemort doit craindre, qu'il l'admette ou non. Maintenant que je l'ai mise sous protection, Mlle Granger sera plus en sécurité au cœur de Poudlard qu'éloignée."