La plate-forme circulaire située au-dessus de la tour Serdaigle n'était pas le point le plus haut de Poudlard, mais comme cette dernière saillait à l'écart du corps principal du château, on ne pouvait l'observer depuis la tour d'Astronomie. C'était donc un endroit tranquille où réfléchir pour qui en avait un terrible besoin. Un endroit où peu d'autres élèves s'aventuraient – il y avait d'autres recoins intimes, si vous ne recherchiez que l'intimité.
Les torches de Poudlard, loin en-dessous, illuminaient la nuit. La plate-forme elle-même offrait peu d'obstacles : le escaliers donnaient sur un trou nu dans le sol plutôt que sur une porte dressée. D'ici, les étoiles étaient en cet instant aussi visibles qu'elles pouvaient l'être depuis la Terre.
Le garçon s'assit au centre de la plate-forme, insouciant de ses robes qui auraient pu être tâchées, et laissa reposer sa tête sur le sol dallé de pierre afin que, exception faite de quelques créneaux rocheux à moitié visibles à la lisière de sa perception et d'un éclat de croissant de Lune, la réalité devienne cette lumière stellaire.
Les points de lumière sur sombre velours scintillèrent, tremblèrent puis revinrent ; une beauté différente de leur solide éclat lors de la Nuit Silencieuse.
Harry fixait le vide, son esprit occupé par d'autres choses.
Aujourd'hui commence ta guerre contre Voldemort...
Dumbledore avait dit cela après l'Incident lors du Sauvetage de Bellatrix d'Azkaban. Cela avait été une fausse alarme, mais la phrase exprimait bien le sentiment.
Sa guerre avait commencé deux nuits plus tôt, et Harry ne savait même pas contre qui.
Dumbledore pensait que c'était Voldemort, revenu des morts, qui jouait son premier coup contre le garçon qui l'avait auparavant vaincu.
Le professeur Quirrell avait mis en place des barrières de détection autour de Draco car il craignait que le directeur fou de Poudlard essaie de faire tomber Harry pour la mort du fils de Lucius.
Ou le professeur Quirrell avait tout orchestré et c'était pour ça qu'il avait su où trouver Draco. Severus Rogue pensait que le professeur de Défense de Poudlard était un suspect évident, et même le suspect évident.
Et Severus Rogue lui-même pouvait aussi bien être fiable qu'être tout le contraire.
Quelqu'un avait fait une déclaration de guerre à Harry, son premier coup avait été de prendre à la fois Draco et Hermione, et ce n'était que d'un cheveu que Harry avait sauvé Hermione.
On ne pouvait pas appeler cela une victoire. Draco avait été soustrait à Poudlard, et sans être fatal, il n'était pas dit que ce fut réversible ou que Draco serait le même à son retour. L'Angleterre magique pensait maintenant que Hermione avait commis une tentative de meurtre, ce qui pouvait la conduire à choisir d'agir de façon sensée et de partir. Harry avait sacrifié toute sa fortune pour éviter cette perte et une telle carte ne pouvait être jouée qu'une seule fois.
Quelque pouvoir inconnu s'était abattu sur lui, et même si le coup avait été partiellement dévié, il avait quand même fait très mal.
Au moins son côté obscur ne lui avait rien demandé en échange du sauvetage de Hermione. Peut-être parce que son côté obscur n'était pas une voix imaginaire comme celle de Poufsouffle ; Harry imaginait peut-être que sa partie Poufsouffle était dotée de ses propres désirs, différents des siens, mais son côté obscur n'était pas comme ça. Son " côté obscur ", du mieux que Harry puisse en juger, constituait un autre état d'être que Harry était parfois. Pour l'instant Harry n'était pas en colère et tenter de demander ce que désirait le " Harry obscur " revenait à laisser sonner un téléphone dans le vide. L'idée elle-même semblait un peu étrange : pouvait-on devoir quelque chose à quelqu'un qu'on était parfois ?
Harry regarda les étoiles placées par le hasard, ces lumières scintillantes et éparses que les cerveaux humains ne pouvaient s'empêcher de regrouper en constellations.
Et puis il y avait cette promesse que Harry avait faite.
Draco aiderait Harry à réformer Serpentard. Et Harry se ferait ennemi de celui ou celle qui, selon le jugement de Harry en sa capacité de rationaliste, avait tué Narcissa Malfoy. Si jamais elle s'était salie les mains, si elle avait vraiment été brûlée vive, si le tueur n'avait pas été dupé – c'étaient là toutes les conditions que Harry se souvenait avoir posées. Il aurait probablement dû les écrire, ou encore mieux, ne jamais faire une promesse qui nécessite autant d'exceptions.
Il existait des échappatoires plausibles, pour le genre de personne qui se laisserait rationaliser que des échappatoires existaient. Dumbledore n'avait pas vraiment avoué. Il n'avait pas juste déclaré que c'était lui. Il y avait des raisons plausibles à un tel comportement de la part d'un Dumbledore coupable. Mais c'était aussi ce qu'on se serait attendu à voir si quelqu'un d'autre avait brûlé Narcissa et que Dumbledore s'en était attribué le mérite.
Harry secoua la tête et plaqua un côté de ses cheveux puis l'autre contre le sol de pierre. Il avait toujours une dernière échappatoire, Draco pouvait à tout moment le libérer de sa promesse. Il pourrait au moins décrire la situation et discuter des options possibles avec lui lorsqu'il le verrait à nouveau. Cela ne semblait pas très probable – mais l'idée d'en parler honnêtement satisfaisait la partie de Harry qui exigeait que les promesses soient tenues. Même si cela ne faisait que repousser les choses à plus tard, c'était mieux que de prendre un homme bon pour ennemi.
Mais Dumbledore est-il bon ? demanda la voix de Poufsouffle. Si Dumbledore a brûlé vif quelqu'un – l'idée n'était-elle pas que les bons peuvent tuer mais jamais en faisant souffrir ?
Peut-être qu'il l'a tuée instantanément dit Serpentard, et qu'il a mentit à Lucius sur le fait qu'elle était en encore vie. Mais...s'il y avait la moindre possibilité que les Mangemorts aient pu magiquement vérifier la façon dont Narcissa était morte... et si se faire prendre à mentir aurait mis en danger les familles du côté gentil...
Attention à ce que l'on rationalise habilement, le prévint Gryffondor.
Tu devrais t'attendre à ce que cela ait des effets sur ta réputation, sur la façon dont les gens te traitent, dit Poufsouffle. Si tu décides qu'il y a de bonnes raisons de brûler vive une femme, l'un des effets collatéraux prévisibles est que les gentils décideront que tu as franchi une limite et que l'on doit t'arrêter. Dumbledore aurait dû s'y attendre. Il n'a pas le droit de s'en plaindre.
Ou peut-être qu'il attend de nous qu'on soit plus intelligents, dit Serpentard. Maintenant que nous connaissons ce pan de la vérité – peu importe les détails exacts du reste de l'histoire – pouvons-nous vraiment croire que Dumbledore est une personne horrible qui devrait être notre ennemi ? Au milieu d'une horrible guerre sanglante, Dumbledore a immolé un civil ? Ce n'est répréhensible qu'en suivant les critères des bandes dessinées, pas en suivant n'importe quel critère historique réaliste.
Harry regarda le ciel nocturne et pensa à l'Histoire.
Dans la vraie vie, dans les vraies guerres...
Pendant la seconde guerre mondiale, il y avait eu un projet de saboter le programme d'armement nucléaires Nazi. Des années plus tôt, Leo Szilard, la première personne à comprendre la possibilité d'une réaction de fission en chaîne, avait convaincu Fermi de ne pas publier la découverte de ce dernier : le graphite purifié était un modérateur de neutrons peu cher et efficace. Fermi avait voulu publier pour le bien du grand projet international de la Science, qui dépassait le nationalisme. Mais Szilard avait persuadé Rabi et Fermi s'était incliné face à la majorité de leur petite conspiration à trois. Et ainsi, des années plus tard, le seul modérateur de neutrons connu des Nazis avait été le deutérium.