"Je te demande cela," dit Albus d'un ton doux, "parce que j'ai effectivement, au début de la guerre, opéré des tests semblables à ceux que tu as suggéré. L'Ordre n'a survécu à ma folie que parce qu'Alastor ne faisait pas confiance aux bras nus qu'il voyait. J'ai ensuite pensé que les porteurs de la Marque pouvaient la cacher ou la montrer à leur convenance. Et pourtant lorsque nous avons présenté Igor Karkaroff au Magenmagot, la Marque était clairement visible sur son bras, en dépit de toutes ses protestations d'innocence. Quelle règle secrète gouverne la Marque des Ténèbres ? Je l'ignore. Même Severus est toujours contraint par sa Marque de ne révéler aucun de ses secrets à qui ne les connaît déjà."
"Oh, eh bien alors c'est évident," dit immédiatement Harry. "Attendez, un instant... vous étiez un Mangemort ?" Harry transféra son regard vers Severus.
Severus lui renvoya un fin sourire. "Je le suis toujours, pour autant qu'ils le savent."
"Harry," dit Albus, les yeux braqués sur le garçon. "Que veux-tu dire par 'c'est évident' ?"
"Théorie de l'information, première leçon," dit le garçon d'un ton professoral. "Observer la variable X apporte une information au sujet de la variable Y si et seulement si les valeurs possibles de X ont des probabilités différentes selon les différents états de Y. À l'instant où vous entendez parler de quoi que ce soit qui varie entre un espion et un non-espion, vous devriez immédiatement penser à l'exploiter afin de distinguer les uns des autres. De même, pour distinguer la réalité d'un mensonge, vous avez besoin d'un processus qui se comporte différemment face à la vérité et face au mensonge – c'est pour cela que la 'foi' ne fonctionne pas comme discriminant alors 'faire des prédictions expérimentales et les vérifier' fonctionne. Vous dites que tout porteur de la Marque ne peut révéler ses secrets à qui ne les connaît pas déjà. Donc pour découvrir le fonctionnement de la Marque des Ténèbres, notez tous les modes d'opération qui vous viennent à l'esprit, et observez le professeur Rogue pendant qu'il essaye de les dire à un témoin test – peut-être à quelqu'un qui ignore l'objet de l'expérience – j'expliquerai la recherche binaire plus tard pour qu'on puisse jouer au portrait afin d'aller plus vite. Ainsi, il sera incapable de lire la vérité à haute voix. Comme vous le comprenez, son silence sera observable en présence d'affirmations vraies, mais pas en présence de mensonges.
Minerva se rendit compte qu'elle avait la bouche grande ouverte et la referma aussi sec. Même Albus semblait surpris.
"Et après ça, comme j'ai dit, toute différence comportementale entre espions et non-espions peut être utilisée pour identifier les espions. Une fois que vous avez identifié au moins un secret magiquement censuré par la Marque des Ténèbres, vous pouvez vérifier si quelqu'un l'a en regardant s'il peut révéler ce secret à quelqu'un qui ne le connaît pas déjà..."
"Merci, M. Potter"
Tout le monde regarda Severus. Le maître des potions se redressait, ses dents se révélaient derrière un sourire de triomphe rageur. "M. le directeur, je puis à présent librement parler de la Marque. Si nous savons avoir été reconnus pour ce que nous sommes, des Mangemorts, face à d'autres n'ayant pas encore vu nos bras nus, nos Marques se révèlent que nous le voulions ou pas. Mais si nos bras ont déjà été vus, elle ne se révèle pas ; pas plus que si l'on ne fait que nous tester en raison d'un soupçon. Ainsi, la Marque des Ténèbres donne l'apparence d'identifier les Mangemorts – mais seulement ceux qui ont déjà été repérés, comme vous le comprenez."
"Ah..." dit Albus. "Merci, Severus." Il ferma brièvement les yeux. "Cela expliquerait donc pourquoi Black a échappé jusqu'à la surveillance de Peter... ah, enfin. Et le test proposé par Harry ?"
Le maître des potions secoua la tête. "Le Seigneur des Ténèbres n'était pas un idiot, en dépit des illusions de Potter. À l'instant où un tel test est suggéré, la Marque cesse de lier nos langues. Mais je ne pouvais guider vers cette possibilité, seulement attendre que quelqu'un la déduise." Un autre fin sourire. "Je vous décernerais bien de nombreux points, M. Potter, si cela n'allait pas compromettre ma couverture. Mais comme vous pouvez le constater, le Seigneur des Ténèbres était assez fourbe." Son regard devint plus distant. "Oh," souffla Severus, "il était particulièrement fourbe..."
Harry Potter resta assis un long moment.
Puis...
"Non," dit Harry. Le garçon secoua la tête. "Non, ça ne peut pas être vraiment vrai. D'abord, il s'agit du genre de puzzle logique qu'on trouverait au premier chapitre d'un livre de Raymond Smullyan, bien loin du niveau auquel les scientifiques moldus travaillent au quotidien. Et ensuite, pour ce que j'en sais, le Seigneur des Ténèbres a pu mettre cinq mois de réflexion à trouver ce puzzle que je viens de résoudre en cinq secondes..."
"Vous est-il si inconcevable que cela, Potter, que quiconque puisse être aussi intelligent que vous ?" la voix du maître des potions contenait plus de curiosité que de dédain.
"C'est ce qu'on appelle une probabilité à priori, professeur Rogue. Les observations sont tout autant compatibles avec un Seigneur des Ténèbres inventant le puzzle sur une période de cinq mois qu'en moins de cinq secondes, mais dans toute population il y aura bien plus de gens capables de le faire en cinq mois qu'en cinq secondes..." Harry se plaqua une main sur le front. "Bon sang, comment j'explique ça ? J'imagine que de votre point de vue, le Seigneur des Ténèbres a inventé un puzzle astucieusement, que je l'ai astucieusement résolu et que ça nous donne l'air d'être égaux."
"Je me souviens de votre premier jour en cours de potions," dit sèchement le maître des potions. "Je pense que vous avez encore du chemin à parcourir."
"Paix, Severus," dit Albus. "Harry a déjà accompli plus que tu ne sais. Pourtant, Harry, dis-moi... pourquoi penses-tu que le Seigneur des Ténèbres t'est inférieur ? Il est certainement une âme brisée de bien des façons. Mais ruse contre ruse... je dirais que tu n'es pas encore prêt à lui faire face ; et je connais tous tes accomplissements."
Ce qui était frustrant, dans cette conversation, c'était que Harry ne pouvait pas dire les véritables raisons pour lesquelles il n'était pas d'accord, ce qui violait plusieurs principes de base du dialogue coopératif.
Il ne pouvait pas expliquer comment Bellatrix Black avait vraiment été tirée d'Azkaban – pas par Vous-Savez-Qui sous quelque déguisement mais par l'intelligence combinée de Harry et du professeur Quirrell.
Harry ne voulait pas dire face au professeur McGonagall que l'existence des dommages cérébraux signifiait que les âmes n'existaient pas. Ce qui rendait la réussite d'un rituel d'immortalité... eh bien, pas impossible, Harry comptait certainement tracer un jour une route vers l'immortalité magique, mais ce serait beaucoup plus difficile et demanderait beaucoup plus d'ingéniosité que de juste lier une âme déjà existante à un phylactère de liche. Ce qu'aucun sorcier intelligent et ayant connaissance de l'immortalité des âmes ne ferait en premier lieu.
Et la véritable, l'honnête raison pour laquelle Harry savait que le Seigneur des Ténèbres ne pouvait avoir été si malin... eh bien... il n'y avait aucune façon polie de le dire mais...