Harry se tourna à nouveau.
"Vous m'avez dit de le surveiller et de voir s'il changeait," dit le professeur McGonagall avec une note d'urgence. "Pourquoi avez-vous dit ça, M. Potter ?"
Harry mit alors un moment à se souvenir, à se remémorer la raison pour laquelle il avait dit cela. Harry et Neville avaient secouru Lesath Lestrange de brutes, puis Harry s'était alors confronté à Severus dans le couloir et, du moins selon le maître des potions lui-même, avait 'failli mourir'...
"J'ai appris quelque chose qui m'a inquiété," dit Harry au bout d'un moment. "De la part de quelqu'un qui m'a fait promettre de ne le révéler à personne d'autre." Severus avait fait promettre à Harry que leur conversation n'atteindrait les oreilles de personne et Harry était toujours engagé par cette promesse.
"Monsieur Potter..." commença le professeur McGonagall, puis elle expira et le sursaut de sévérité disparut aussi vite qu'il était venu. "Non, rien. Si vous ne pouvez pas le dire, vous ne pouvez pas le dire."
"Pourquoi me posez-vous la question ?" dit Harry.
Le professeur McGonagall sembla hésiter...
"Très bien, laissez moi être plus clair," dit Harry. Maintenant que le professeur Quirrell le lui avait fait à lui plusieurs fois, Harry commençait à prendre le coup de main. "Quels sont les changements que vous avez déjà observé chez le professeur Rogue et que vous hésitez à mentionner ?"
"Harry..." dit le professeur de métamorphose avant de fermer la bouche.
"Il est clair que je sais une chose que vous ignorez," dit gentiment Harry. "Vous voyez, c'est pour ça qu'on ne peut pas toujours repousser les décisions face à d'horribles dilemmes moraux."
Le professeur McGonagall ferma les yeux, prit une profonde inspiration, pinça l'arête de son nez et serra plusieurs fois. "Très bien," dit-elle. "C'est subtil... mais inquiétant. Comment dire ça... M. Potter, avez-vous lu de nombreux livres que les jeunes enfants ne sont pas censés lire ?"
"Je les ai tous lus."
"Évidemment. Eh bien... je ne le comprends pas tout à fait moi-même, mais depuis que Severus a commencé à travailler pour cette école, à déambuler dans cette cape horriblement tachée, il y a eu un certain genre de fille qui l'a observé avec des yeux pleins de convoitise..."
"Vous dites ça comme si ça n'était pas bien !" dit Harry. "Enfin, s'il y a une chose que j'ai comprise en lisant ces livres, c'est qu'on n'est pas censé remettre en question les préférences des gens."
Le professeur McGonagall eut un regard très étrange en direction de Harry.
"Je veux dire," continua Harry, "d'après ce que j'ai lu, il y a environ 10% de chances que je trouve le professeur Rogue attrayant quand je serai un peu plus vieux, et ce qui compte c'est juste que je m'accepte quel que soit..."
"Quoi qu'il en soit, M. Potter, Severus a toujours été totalement indifférent aux regards de ces jeunes filles. Mais à présent.." le professeur McGonagall sembla se rendre compte de quelque chose et ses mains s'élevèrent comme en signe d'avertissement, "ne vous méprenez pas, je vous en prie, le professeur Rogue n'a certainement abusé d'aucune jeune sorcière ! Absolument pas ! Il n'a même jamais ne serait-ce que souri à l'une d'elles, du moins je n'ai jamais entendu dire une chose pareille. Il a ordonné aux jeunes filles de cesser de le fixer avec des yeux ronds. Et si elles le regardent quand même, il détourne le regard. Cela, je l'ai vu de mes propres yeux."
"Euh..." dit Harry. "Désolé mais ce n'est pas juste parce que j'ai lu ces livres que je les ai compris. Qu'est-ce que tout ça veut dire ?"
"Qu'il le remarque," dit le professeur McGonagall d'un ton bas. "C'est subtil, mais maintenant que je l'ai vu, j'en suis certaine. Et cela signifie... j'ai bien peur... que le lien qui rapprochait Severus de la cause d'Albus... peut s'être affaibli, ou s'être même brisé."
2 + 2 = ...
"Rogue et Dumbledore ?" Puis Harry entendit les mots qui venaient de sortir de sa bouche et ajouta avec hâte : "Non pas que ça soit mal..."
"Non !" dit le professeur McGonagall. "Oh, par pitié... je ne peux pas vous expliquer, M. Potter !"
L'inévitable conclusion lui apparut enfin.
Il était encore amoureux de ma mère ?
Cela lui sembla se situer quelque part entre le magnifiquement triste et le pathétique pendant cinq secondes avant que l'autre inévitable conclusion ne lui apparaisse enfin.
Bien sûr, c'était avant que je lui donne mes bons conseils en matière de relations amoureuses.
"Je vois," dit Harry avec précaution quelques instants plus tard. Parfois, dire 'Oups' était loin de faire justice à la situation. "Vous avez raison, ce n'est pas bon signe."
Le professeur McGonagall mit ses deux mains sur son visage. "Quoi que vous pensiez maintenant," dit-elle d'une voix légèrement étouffée, "je vous assure que c'est aussi faux et je ne veux jamais l'entendre."
"Donc..." dit Harry. "Si, comme vous dites, le lien qui unissait le professeur Rogue au directeur s'est brisé... alors que fera-t-il ?"
Il y eut un long silence
Alors que fera-t-il ?
Minerva abaissa ses mains et fixa le visa du Survivant. Une simple question n'aurait pas dû lui causer tant de désarroi. Elle connaissait Severus depuis des années ; ils s'étaient rapprochés, d'une étrange façon, à travers la prophétie qu'ils avaient tous deux entendue. Bien que Minerva soupçonnait, d'après sa connaissances des règles prophétiques, qu'elle n'avait fait que la surprendre. Ça avaient été les actes de Severus qui avaient accompli la prophétie. Et la culpabilité, le chagrin qui avait découlé de ce choix avaient tourmenté le maître des potions pendant des années. Elle ne pouvait imaginer Severus sans ces sentiments. Son esprit se vida lorsqu'elle essaya de le faire ; ses pensées devinrent un parchemin vierge.
Severus n'était certainement plus l'homme qu'il avait jadis été, ce jeune homme en colère et terriblement idiot qui avait porté la prophétie à Voldemort en échange de son admission au sein des Mangemorts. Elle l'avait connu pendant des années, et Severus n'était certainement plus cet homme...
Le connaissait-elle vraiment ?
Est-ce que quelqu'un avait déjà vu le véritable Severus Rogue ?
"Je ne sais pas," dit enfin le professeur McGonagall. "Je ne sais vraiment pas. Je ne peux même pas l'imaginer. Savez-vous quoi que ce soit à ce sujet, M. Potter ?"
"Euh..." dit Harry. "Je pense pouvoir dire que les indices dont je dispose pointent dans la même direction que les vôtres. Je veux dire qu'ils augmentent la probabilité que le professeur Rogue n'est plus amoureux de ma mère."
Le professeur McGonagall ferma les yeux. "J'abandonne".
"Je ne sais pas s'il a fait quoi que ce soit d'autre de mal, cela dit," ajouta Harry. "Je suppose que le directeur vous a donné l'autorisation de me parler de ça ?"
Le professeur McGonagall détourna les yeux de Harry et regarda le mur. "S'il te plaît Harry, non."
"Très bien," dit Harry, et il pivota et s'éloigna rapidement dans les couloir, tout en entendant le pas plus lent du professeur McGonagall derrière lui et le grondement des gargouilles qui se remettaient en place.
C'est le surlendemain, pendant le cours de potions, que la potion de résistance froide de Harry entra en ébullition et déborda de son chaudron avec une mousse verdâtre et une odeur nauséabonde, et que le professeur Rogue, d'un air plus résigné que dégoûté, dit à Harry de rester après le cours. Harry avait ses propres soupçons concernant cette affaire et dès que la classe fut libérée - Hermione, comme d'habitude depuis quelques jours, première à fuir la salle - la porte se referma d'un coup et se verrouilla derrière les élèves qui s'éloignaient.