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— Rien, monsieur le directeur, je crois devoir vous dire que je vous tiens pour un vieux con.

Et je raccroche.

Bérurier vient à moi et pose sa grosse pattoune sur mon épaule.

— C’est bien, l’Antoine, me dit-il d’un ton chaviré. C’est très bien. Depuis l’temps qu’ça t’démangeait… Indéfiniment, c’est trop. Le jour vient toujours que ton cœur coupe la parole à ta raison. Et puis y dit c’qu’il a t’à dire. Et puis quoi, la vie, hein ? Elle s’rait quoi t’est-ce si, d’temps à aut’, tu n’pouvais pas traiter les cons d’cons et les salauds d’salauds ?

« Toujours s’croire forcé de sucer la bite des grands, d’leur laver les nougats, tout ça… On leur a donné d’mauvaises habitudes, ensuite, y gueulent au charron quand on veut les en corriger. Y se croivent dépouliés. Y s’prennent pour des martyrs : Sainte Blédine, saint Félix-Potin, toute la séquelle… »

— Il va falloir faire face, soupiré-je en considérant le cadavre du chef inspecteur Aschling. Cézigue ne doit pas être venu tout seul à l’hôtel. Une bagnole pleine de ses archers l’attend en bas.

— Taillons-nous !

— Tu penses qu’on peut espérer aller loin, dans cette île, alors que notre véritable identité est connue ? Fuir, c’est s’avouer coupable.

— Non, rectifie mon ami : fuir, c’est conserver sa liberté.

CHAPITRE IX

Fuir, c’est conserver sa liberté.

L’ascenseur nous sansencombre jusqu’au sous-sol. Je déniche un couloir qui sent la lessive, puisqu’il longe la buanderie de l’hôtel, et trouve une issue débouchant pile en face du garage où l’ancien rouquemoute déguisé en chauve procède au lavage d’une Bentley noire. Le bruit fouetteur de son jet, conjugué aux vociférations de son transistor, l’isole du monde sonore. En plus, il chante en gaélique à pleines cordes vocales, et le gaélique, quand tu le hurles, c’est pire que dix métiers à tisser en action.

Le garage possède deux portes dont les rouleaux de fer rouillés pendouillent tristement. Ces ouvertures sont séparées l’une de l’autre par le box de lavage. Nous empruntons celle qui me paraît la plus propice à une entrée discrète. J’ai retapissé, tout à l’heure, un coin de l’immense local, où les voitures sont blanches de poussière, c’est vers ces bagnoles provisoirement en vacances que je me dirige. J’en visionne quelques-unes avant de faire mon choix, et j’opte pour une Rolls Phantom située au troisième rang du troupeau. La clé de contact est au tableau. Je la tourne à demi, l’antenne de radio monte immédiatement ; donc elle est parée quant aux batteries. La jauge d’essence, sans être franchement optimiste, indique qu’il y a de la coco dans le calumet.

— On prend ce carrosse, soufflé-je au Mastar. Plus nous serons voyants, plus nous passerons inaperçus.

Il n’objecte pas.

M’aide à dégager les deux tires de devant pour pouvoir sortir le tas de ferraille. Après quoi, nous les remettons en place. Selon moi, l’emprunt que nous venons de faire n’est pas près d’être découvert. La Rolls (comme quoi, quand tu t’associes, vaut mieux mettre son blaze en première position. On dit volontiers une Rolls, et plus rarement une Rolls-Royce. Dans ce mariage princier, c’est sir Royce qui l’a eu dans le baba) est immatriculée en Grande-Bretagne. Elle doit appartenir à quelque opulent homme d’affaires angliche qui ne l’utilise qu’épisodiquement, quand il vient en Irlande. Nous arqueboutons (de culotte) pour la pousser à la pogne jusqu’à la street, pas que le bruit du moteur (très ténu d’ailleurs) ne soit réverbéré par l’ampleur du garage.

Le gonzier chante toujours la beauté du soir qui tombe sur la baie de Ballylickey.

Je grimpe à bord du contre-torpilleur et j’actionne le démarreur. Pas besoin de lui gratouiller le bitougnot pendant cent sept ans ! Tout comme ta bonne femme, il démarre au quart de tour. Un vrai beurre. Le Gravos me rejoint sur la passerelle. Paré à virer ! On keep to the left.

* * *

— Note, soupire Béru, que la balle qu’a composté la cervelle du flic a été tirée d’loin, par un fusil à besicle, et que c’est facile à prouver. Qu’ainsi donc on eusse été blanchis.

— Blanchis, nourris et logés, complété-je, car tu oublies le massacre de Pernell Street.

— Aller où ? soupire « l’Obaise ». On s’rait en nuéréssès ou aux zuéssa, qui sont des magasins à grande surface, on pourrait se planquer, mais dans c’t îlot…

— Pas de défaitisme, Gros, je te prie, ce n’est pas dans ton caractère.

On roule peinardos calmos dans une banlieue modeste qui se déguise vite en campagne pauvre. Les routes sont étroites, peu encombrées. Une confuse nostalgie m’empare. Le regret de je ne sais quoi, de je ne sais qui… J’évoque ces meurtres de tout à l’heure, si rapides. Cela s’est passé d’une façon folle. Un peu décousue. Et il me reste à l’âme une espèce de plaie qui s’infecte.

L’emmerde, avec nous autres poètes, c’est que lorsqu’on a de la peine, au lieu de la chasser on lui cherche un titre…

Bérurier, fouille-partout de première classe, est en train d’explorer la boîte à gants de la Royce (je fais une petite compensation).

— V’là les fafs de la tire, annonce-t-il.

Il me présente la carte grise. J’y apprends que « notre » véhicule est la propriété de sir Beston, demeurant à Glenbeigh dans le comté de Kerry. Le Mastar extirpant maintenant une carte d’Irlande, je le prie de me chercher cette localité.

Crois-moi ou vas te faire réciter le speculum vobiscum dans le texte, mais Béru parvient à dénicher cette aimable localité sur la vaste brèmouze déployée, ce qui constitue un exploit de sa part, ou de la part du hasard. Drivant à une allure de sénateur, il m’est aisé de mater la carte et de constater que Glenbeigh est situé dans le sud-ouest de l’Irlande, tandis qu’Ougtherard se trouve dans l’ouest. Une centaine de miles doivent séparer les deux localités. Pour lors il me vient une idée. Et je te la livre in extenso (grenue). Je me dis les trucs ci-dessous, deux points, ouvrez vos portugaises.

Ce sir Glenbeigh possède une propriété en Irlande. Il y vient de temps à autre et débarque à Dublin où il trouve sa Royce-Rolls (toujours mon souci d’équité). Au volant de sa tire, il rallie (de Monte-Carlo) sa demeure de la côte atlantique. Il y a peut-être, pour les deux pauvres hommes traqués que nous allons devenir dans un peu moins de pas longtemps, une partie de culot assez chouettarde à jouer.

Alors, Françaises, Français : jouons-la !

C’est pas un château. C’est plus joli qu’un château. Plus petit. Ravissant, intime, plein de vigne vierge. C’est en pierres grises. En ardoise noire. Cela possède des fenêtres à meneaux, des petits carreaux. C’est posé sur une grande pelouse verte qui descend jusqu’à la rive d’un lac sauvage, aux eaux violettes et noires. Il y a de la forêt alentour. Ça ferait la couverture de Houses and Gardens comme rien.

Une simple chaîne en interdit l’entrée. Te dire… Bérurier va déchaîner et nous avançons jusqu’au petit perron débordé par la mousse. Toute proche, est une maisonnette de gardien. Une gentille vieille dame tricote sur le pas de sa porte, dans un rayon de soleil destiné à la côte française et puis qui s’est paumé en route. Elle se dresse en apercevant la Royce et, comme l’écrivait mes chosefrères du siècle dernier et du seizième arrondissement, la plus vive stupéfaction se peint sur son visage.

A bibi d’interpréter le grand numéro !

Je descends, un sourire comme une tranche de pastèque primée met en évidence l’exceptionnelle denture dont je.

— Hello ! Hello ! je brame.