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La dame m’arrive tout contre, l’air très vraiment sidéré.

Mais, sir Hugh n’est pas avec vous ? elle s’étonne.

— Non, il viendra d’ici une quinzaine, dis-je, je suis son neveu de France.

— Oh ! le fils de cette pauvre lady Smoule ?

Tu te rends compte si j’ai du bol, Méphisto ? V’là que le Rosbif a vraiment un neveu français.

— Je vous ai connu tout petit, m’assure la vieille. J’entends encore votre accent lorsque vous m’appeliez « Madame Mary ».

Et cette brave bique imite l’accent français qu’a de quoi se l’extraire et se la mordre sans recracher les pépins ! Elle cause cul-de-poule, en essayant de faire chanter les finales, comme si un coq voudrait entonner la Marseillaise sur son tas de fumier.

— C’est Ann qui va être contente, elle enchaîne. Vous aurez du mal à la reconnaître. Ann ! Ann ! Viens voir qui est là !

Une nana se pointe de l’arrière of the house. Une fille plutôt pas mal que pas belle, sans histoire, irlandaise : peau blanche, tifs châtinoches-rouquemoutés comme toutes ; elles sont tirées au papier carbone, ici, les gerces ! Duplicata, photocopie ! Tous droits de reproduction réservés à la verte Erin.

Elle s’avance, l’air un brin sauvage, le regard en phare d’ambulance.

— Ann ! C’est M. Roger (elle prononce Rodgeur, la mère Mary, tu penses bien !). Tu te remember les belles parties que vous faisiez l’année où sa pauvre chère maman est décédée dans ce naufrage ridicule ?

Parties de quoi, j’ me demande : touche-zizi, ou colin-maillard ?

Ann me murmure un « Hello » intimidé.

Ici, la louche serrée, ça ne se fait pas chouillet. Je me réprime la pogne, pas sembler trop familier.

— Bonjour, Ann, je gazouille, je suis très heureux de vous revoir. Etes-vous mariée ?

La maman intervient comme un joueur de rugby plonge sur la balle pour la bloquer :

— Sir Hugh ne vous a pas dit ?

— Nous nous sommes vus très brièvement, plaidé-je.

— Ann a eu des malheurs, je vous raconterai cela.

Elle se tourne vers Sa Majesté.

— Monsieur est un parent à vous ?

— C’est mon valet de chambre, dis-je.

— Ell’ cause de moi ? s’inquiète le Mastar.

— Je lui expliquais que tu étais mon cousin germain.

Il sourit et cligne de l’œil à Ann, laquelle est suffisamment potelée pour l’émoustiller.

— Alors, nice môme, il la chambre, vouate dou you raconte tou mi de good ?

Ann recule, effrayée. Si tu veux mon avis, doit y avoir des cases noires dans la grille de son cervelet. Elle fait sauvageonne attardée, la mimiss. Le genre de greluse issue du croisement d’un bœuf avec une motte de beurre.

* * *

La crèche au sir Hugh, tu peux pas t’imaginer le confortabilisme dont elle témoigne, comme disent les revues spécialisées. C’est ancien, pimpant, délicat. On me donne l’appartement des invités : un deux pièces mansardé, chouilla tout plein, salle de bains à carreaux de Delft et robinetterie mérovingienne. D’un goût raffiné. C’est pas unique, dis, Nez-creux, de venir jouer les aristos commak, chez un sir que je ne connais ni d’Eve, nid d’abeille, et souhaite au grand surtout ne jamais rencontrer. Car, une supposition qu’il se pointe à l’improviste, le gars Hugh, c’est pour le coup que notre situation deviendrait inconfortable ! Là, y a délit, non ? On est passibles d’un tas de ceci-cela, et sans sursis moi je crois. Enfin, l’essentiel est de vivre l’instant comme l’a écrit ce con d’Horace dans les pages rosses du Larousse. Il s’agit de vivre la situation et de s’adapter aux nouvelles qui surgissent. Et ainsi la vie passe. Tu verras comme « jadis » vient vite, sans t’en apercevoir, par-derrière…

Alors, inutile d’en installer. Remise tes épates, mec. Dis-toi qu’on est tous une bande d’incultes qui cherchons à nous éblouir. L’Univers est plein de tordus qui se prennent pour Beethoven sans être capables de différencier une note de musique d’une note de restaurant.

Bérurier toque à ma lourde.

Il est radieux.

— Tu sais qu’j’ai un ticket av’c la fille d’la hutte, me dit-il. Tandis qu’é me grimpait à ma piaule, j’lui ai envoyé la paluche et elle a pas sourcillé du prose. Elle s’est farci les marches avec mes cinq vagabonds dans la raie, même qu’j’lu ai faite la pince d’crabe : un pouce dans l’ogne, l’indesque dans le frifri. Et une fois qu’on est été arrivé dans ma carrée, laquelle, soite dit en passant, est beaucoup moins ronflante que la tienne, je l’ai bisouillée sauvage en lui déballant une portion de menteuse sauce gribiche pas piquée des s’hannetons. Tu croyes que mad’ m’selle miss aurait rebuffé ? Malgache bonnot ! Elle s’est laissé accomplir textuellement qu’on aurait eu un peu d’temps d’vant moi, j’l’embroquais superbe sur le coin du pucier, c’te splendeur. La seule chose, c’est qu’elle est pas très compatissante. C’t’une péquenote, et irlandaise, c’qu’arrange pas. Toute une éducance à faire, quoi.

Le Mastar hoche la tâte.

— J’la lui ferai, promet-il, pour peu qu’on reste quéqu’temps ici. Selon tézigue, on prolonge le séjour ou on n’fait qu’un coucher ?

— Je crois qu’on pourrait se servir de cette propriété en guise de P.C. Ici, nous passerons inaperçus : je suis le neveu de sir Hugh dont l’implantation dans ce comté remonte à la guerre des Deux-Roses.

— Alors, va falloir se trouver du linge, on a tout laissé à l’hôtel.

— Nous irons nous acheter des falbalas à Cork, demain, aux aurores.

— La vioque doit ét’surprise qu’on s’pointe les mains vides ?

— Je lui ai dit que nos bagages n’étaient pas à l’aéroport et que Aer Lingus nous les parachuterait dès qu’ils seraient retrouvés.

Tandis que l’aimable mistress Mary nous prépare une dégueulasserie de bouffement, j’explore la maison. J’espère en tirer un maximum de tuyaux relatifs à sir Hugh, car il faut que je rassemble quelque documentation sur le personnage si je ne veux pas que la mère Mary découvre notre imposture.

La chambre du lord est éloquente : cet homme vit seul, probablement est-il veuf ou divorcé. Son cabinet de travail-bibliothèque ne l’est pas moins : il est cultivé et écrit des ouvrages sur les émaux (ce qui ne signifie pas automatiquement qu’il soit camé). Des photographies de lui le montrent, au temps des cherries (et des chéries), jouant au tennis ou naviguant à bord d’un voilier, bel homme au visage étroit et haut comme un autobus londonien, chevelure brune coupée d’une raie médiane, sourire sceptique, posture blasée, œil qui ne s’arrête que sur l’arrière-boutique des choses.

Le salon, tu l’as deviné sans pelle, est un musée consacré à l’émail, depuis les maille-à-partir, jusqu’aux mailles à l’envers, en passant par l’émaux croisés. Moi, je ne suis pas fana de collections. Question de tempérament. Collectionner est prétentieux, c’est se donner l’illuse de l’immortalité. Je suis toujours apitoyé lorsqu’un pote prend son foot avec une collection de timbres, de bagues de cigare, de jetons provinciaux, de préservatifs royaux, de porte-clés ou de Bugatti. Grouper des choses de même nature, c’est préparer leur dispersion future. C’est mettre dans un récipient le grain à semer. Toute acquisition d’objets précieux est le prélude à leur vente. Personne n’a jamais rien conservé au-delà de quelques générations.

T’es content ? Moi aussi ! On hérite jamais qu’une chose : la vie !

Et on la lègue avant de mourir, c’est le plus joyeux des héritages.

Tu veux que je te dise ? Youpi !

Béru fait semblant de lire un journal. Du moins en regarde-t-il les images.