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En bas, ils enfoncent la porte des vouatères à coups de pompes. Je me dis que ça va leur prendre dix secondes. Plus trois secondes de stupeur en ne découvrant rien. Et puis un laps de temps non chiffrable, car il est fonction de l’intelligence de ces messieurs, avant qu’ils ne pigent la manière dont je me suis enfui.

La radio continue de viorner, toujours à plein chapeau.

Tout grenier, tout galetas, toute soupente comporte un escalier y livrant accès. Généralement, ledit se trouve dans un angle. Comme nous sommes dans un pays où la conduite se fait à gauche, celui-ci est situé au centre. L’important est qu’il me permette de descendre. Ce que j’empresse. J’atterris sur un palier où prennent les portes des chambres, d’après mon estimation. Là, j’écoute : outre la radio jubilesque qui sévit de plus rechef, je perçois des gloussades dans la pièce qui me fait face. Je joue les valets de chambre de comédie et aligne mon meilleur œil au trou de serrure.

Et c’est ici, là, pile en plein, que la stupeur annoncée à l’étage au-dessus me foudroie. Ce que j’aperçois par ce mince orifice, c’est une espèce de harem, m’entends-tu bien ? Je répète : un harem. Et comment appeler la chose d’un autre nom, puisqu’elle se compose de dames nues et lascives en train de s’activer sur un énorme monsieur, comme des chacales (je mets un « e » puisque je parle de chacals féminins) sur la carcasse d’un éléphant. Certes, la scène est déroutante, en pleine Irlande brumeuse, du fait que ces dames sont toutes d’admirables Noires. Mais le fin des fins, là où l’esprit se plie comme une roue de bicyclette entre les rails d’un tramway, c’est quand tu reconnais le bénéficiaire des faveurs collectives, le pacha du boxif, j’ai nommé le maréchal Amin Dada.

Sur l’instant, je me dis : tu rêves. It is impossible. Berlue. Hallucination. Confusion. Sosie. T’as le cerveau qui trépigne. Du flasque dans les cellules grises. Le nerf optique qui fait la colle. C’est pas vrai, c’est pas admissible. Dada, ici ! Dada qui fait tourner le monde en bourrique ! Ce Dada sans cesse au galop ! Ce Dada qui en a tant de sanglants ! Ce Dada qui fait cavalier seul ! Ce cheval de retour ! Ce Dada qui tire à hue et à dia ! Qui monte sur ses grands chevaux ! Ce guignol sanguinolent ! Ce porc hippique ! Cet inhumaniste obscurci ! Cette majesté marécageuse ! Cet analphacon ! Cette excroissance ! Ce gros truc ! Ce monumental machin ! Ça ! Amin Dada ! Ici, à Oughterard, comté de Galway ! Suis-je le jouet du whiskey absorbé chez le père Greeve ? Puis-je me fier à ma vue quand elle s’infiltre dans un trou minuscule ?

Mais j’ai beau regarder, la suite de mon examen est hautement confirmative. Lui, c’est bien lui ! En chair, en noce, en tas, en plein pied, de plein pied. A poil !

Un léger bruit.

J’avise la fille qui préparait le caoua dans la cuisine. Elle arrive, portant un grand plateau. En m’apercevant, elle pousse un hurlement, lâche son chargement de tasses et de pots et se carapate.

Coincé, qu’il est, le bel Antonio. Surtout que le cri de la gonzesse a tout de suite rameuté la garde et ça baïonnette-au-canon vilain dans la taule. Le poste de garde en effervescence. Et cette putain de radio qui raconte la reine et son Philipp-Dédain-Bourre dans les ovations de London.

Vive la reine ! Tu parles. J’en suis une autre.

J’ouvre une porte, c’est pour tomber sur deux gus qui jouaient banani-banana et qui, en entendant hurler miss Noirpiote, ont sauté sur leurs tromblons.

Oh ! pardon…

Putain de moi, si j’avais seulement un bout de flingue à ma disposition ! Trois fois rien, une babiole, le moindre. 22 long rifle… Pas à tortiller, faut que je déménage. J’entre sans frapper dans l’harem d’Amin.

— Hello, mister président, je lui lance courtoisement : it’s a long pipe to Tiperrarry, n’est-ce pas ?

* * *

Et alors, ma chère princesse, il s’ensuivit des choses bien cruelles qui me font peine à relater. L’incroyable personnage était là, nu et érectant, me regardant de ses yeux de buffle venant de traverser un mur dont le papier qui le couvrait représentait un champ de luzerne. Le regard du maréchal Amin Dada ressemble aux deux phares éteints d’une Dedion-Bouton ; ce qui est frappant, c’est leur proéminence qui les transforme en hauts-reliefs. Lorsqu’il cille, l’on croirait qu’on pose un béret sur une boule d’escalier. Il a, comme vous l’aurez remarqué, ma princesse, un nez d’hippopotame dont il se sert, non seulement pour respirer, mais aussi comme d’un moteur hors-bord quand il batifole dans sa piscine. Vous le savez, les dents du maréchal Amin Dada sont très recherchées pour la qualité de leur ivoire, bien supérieure à celle de la défense d’éléphant, son homologue chez les herbivores. Il est notoire que la denture, quand elle est exceptionnelle, révèle des destins d’exception. Napoléon Ier naquit avec une dent, Adolph Hitler ne possédait que des canines et des incisives. Amin Dada, lui, offre une particularité unique dans l’histoire humaine : ses dents repoussent. Il n’eut jamais de dents de lait, s’étant montré carnivore dès sa naissance, puisqu’il mangea au lieu de le téter le sein de sa nourrice. Cet être d’élite eut immédiatement les dents longues. Second phénomène à propos de sa denture : ses dents sont entièrement en ivoire : ni pulpe, ni émail. Uniquement de l’ivoire. Troisième phénomène enfin pour en terminer avec cette partie capitale de son individu : ses dents ne s’arrêtent de pousser que pour tomber. Lorsqu’il en perd une, celle-ci est reformée dans la semaine qui suit. Bien que la chose ne soit pas rendue officielle, l’on sait que le président-maréchal est sous contrat avec Cartier auquel il assure la totalité de sa production d’ivoire pur.

Il est toujours impressionnant, ma princesse, de voir de près un homme fameux, surtout quand la gloire de ce dernier repose sur la tyrannie. Aussi fus-je troublé par la proximité promiscuitante de cet homme remarquable, par son imminence, si vous me passez l’expression, vous qui me passez tant de choses, y compris la langue sur le filet.

Il était là, magistral. Beau comme King-Kong à la fin du film. Triquant toujours, mais pas aussi phénoménalement qu’on serait en droit d’espérer d’un gaillard pesant ses trois cent quatre-vingts livres comme une vache. Amin Dada n’est pas supermonté, ma princesse, et je puis vous assurer qu’il ne me vient pas à la cheville, tant au plan du diamètre que de la longueur hors tout. Mais là n’est pas le problème et vous n’êtes pas sans savoir, salope comme je vous connais, que la modestie d’un sexe n’ôte rien à sa fougue.

En me voyant intruser, à l’instant héroïque où il s’abandonnait aux délires de son cheptel, il poussa un grognement de gorille dont la branche vient de casser. D’une bourrade gauche, il expédia trois de ses partenaires à l’autre bout de la pièce, d’une droite, il brisa la colonne vertébrale d’une quatrième ; se défit du reste par une ruade (on est Dada ou on ne l’est pas), puis, l’esprit en vigile, examina mes mains. Les constatant nues et humbles, il sut qu’il était le plus fort.

— Qui êtes-vous ? me demanda-t-il rudement, de cette voix qui n’est pas sans évoquer celle d’Armstrong quand le disque est gondolé.

Je mis un maximum de candeur dans mes prunelles, un autre d’innocence dans mes inflexions et je lui répondis, ma princesse, que j’étais le garde-champêtre du pays en tournée d’inspection. Une police étrangère impressionne toujours, même quand il s’agit d’un simple garde-champêtre, même si l’on est Amin Dada le Grand, dit le bienfaiteur des crocodiles…

Le fier personnage eut un léger flottement. Là-dessus, mes poursuivants survinrent, affairés, effarés, soumis, anxieux, déjà repentants de ce qu’ils n’avaient pas commis, comme le sont les courtisans d’un monsieur qui a droit de vie et de mort sur eux. Ils étaient nombreux, armés, méchants. Ils parlaient un dialecte africain que j’ignorais et n’eus pas le temps d’apprendre car ils me massacrèrent littéralement de la crosse de leurs armes qu’ils tenaient à l’envers, comme au restaurant, leur couvert à poisson.