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– Peut-être, Monsieur Lacase sera-t-il assez aimable pour m’accorder un petit entretien? – Entretien qu’elle ne voulait pas, apparemment, qu’on entendit, car elle commença par m’entraîner du côté du jardin potager, en disant très haut qu’elle voulait me montrer les espaliers.

– C’est au sujet de mon petit-neveu, commença-t-elle dès qu’elle fut assurée que l’on ne pouvait nous entendre… Je ne voudrais pas vous paraître critiquer l’enseignement de l’abbé Santal… mais, vous qui plongez aux sources même de l’instruction (ce fut sa phrase) vous pourrez peut-être nous être de bon conseil.

– Parlez, Madame; mon dévouement vous est acquis.

– Voici: je crains que le sujet de sa thèse, pour un enfant si jeune encore, ne soit un peu spécial.

– Quelle thèse? fis-je, légèrement inquiet.

– La thèse pour son baccalauréat.

– Ah! parfaitement, – résolu désormais à ne m’étonner plus de rien. – Sur quel sujet? repris-je.

– Voici: Monsieur l’abbé craint que les sujets littéraires ou proprement philosophiques ne flattent le vague d’un jeune esprit déjà trop enclin à la rêverie… (c’est du moins ce que trouve Monsieur l’abbé). Il a donc poussé Casimir à choisir un sujet d’histoire.

– Mais Madame, voici qui peut très bien se défendre. Et le sujet choisi c’est?

– Excusez-moi; j’ai peur d’estropier le nom…: Averrhoès.

– Monsieur l’abbé a sans doute eu ses raisons pour choisir ce sujet, qui, à première vue, peut en effet paraître un peu particulier.

– Ils l’ont choisi tous deux ensemble. Quant aux raisons que l’abbé fait valoir, je suis prête à m’y ranger: Ce sujet présente, m’a-t-il dit, un intérêt anecdotique particulièrement propre à fixer l’attention de Casimir, qui est souvent un peu flottante: puis (et il paraît que ces Messieurs les examinateurs attachent à cela la plus grande importance) le sujet n’a jamais été traité.

– Il ne me souvient pas en effet…

– Et naturellement, pour trouver un sujet qui n’ait encore jamais été traité, on est forcé de chercher un peu en dehors des chemins battus.

– Évidemment!

– Seulement, je vais vous avouer ma crainte… mais j’abuse peut-être?

– Madame, je vous en supplie de croire que ma bonne volonté et mon désir de vous servir sont inépuisables.

– Eh bien! voici: je ne mets pas en doute que Casimir ne soit à même bientôt de passer sa thèse assez brillamment, mais je crains que, par désir de spécialiser… par désir un peu prématuré… l’abbé ne néglige un peu l’instruction générale, le calcul par exemple, ou l’astronomie…

– Que pense Monsieur Floche de tout cela? demandai-je éperdu.

– Oh! Monsieur Floche approuve tout ce que fait et ce que dit l’abbé.

– Les parents?

– Ils nous ont confié l’enfant, dit-elle après une hésitation légère; puis, s’arrêtant de marcher:

– Par effet de votre complaisance, cher Monsieur Lacase, j’aurais aimé que vous causiez avec Casimir, pour vous rendre compte; sans avoir l’air de l’interroger directement… et surtout pas devant Monsieur l’abbé, qui pourrait en prendre quelque ombrage. Je suis sûre qu’ainsi vous pourriez…

– Le plus volontiers du monde, Madame. Il ne me sera sans doute pas difficile de trouver un prétexte pour sortir avec votre petit neveu. Il me fera visiter quelque endroit du parc…

– Il se montre d’abord un peu timide avec ceux qu’il ne connaît pas encore, mais sa nature est confiante.

– Je ne mets pas en doute que nous ne devenions promptement bons amis.

Un peu plus tard, le goûter nous ayant de nouveau rassemblés:

– Casimir, tu devrais montrer la carrière à Monsieur Lacase; je suis sûre que cela l’intéressera. – Puis s’approchant de moi:

– Partez vite avant que l’abbé ne descende; il voudrait vous accompagner.

Je ressortis aussitôt dans le parc; l’enfant clopin-clopant me guidait.

– C’est l’heure de la récréation, commençai-je.

Il ne répondit rien. Je repris:

– Vous ne travaillez jamais après goûter?

– Oh! si; mais aujourd’hui je n’avais plus rien à copier.

– Qu’est-ce que vous copiez ainsi?

– La thèse.

– Ah!… Après quelques tâtonnements je parvins à comprendre que cette thèse était un travail de l’abbé, que l’abbé faisait remettre au net et copier par l’enfant dont l’écriture était correcte. Il en tirait quatre grosses, dans quatre cahiers cartonnés dont chaque jour il noircissait quelques pages. Casimir m’affirma du reste qu’il se plaisait beaucoup à «copier».

– Mais pourquoi quatre fois?

– Parce que je retiens difficilement.

– Vous comprenez ce que vous écrivez?

– Quelquefois. D’autres fois l’abbé m’explique; ou bien il dit que je comprendrai quand je serai plus grand.

L’abbé avait tout bonnement fait de son élève une manière de sécrétaire-copiste. Est-ce ainsi qu’il entendait ses devoirs? Je sentais mon cœur se gonfler et me proposai d’avoir incessamment avec lui une conversation tragique. L’indignation m’avait fait presser le pas inconsciemment; Casimir prenait peine à me suivre; je m’aperçus qu’il était en nage. Je lui tendis une main qu’il garda dans la sienne, clopinant à côté de moi tandis que je ralentissais mon allure.

– C’est votre travail, cette thèse?

– Oh! non, fit-il aussitôt; mais, en poussant plus loin mes questions, je compris que le reste se réduisait à peu de chose; et sans doute fut-il sensible à mon étonnement:

– Je lis beaucoup, ajouta-t-il, comme un pauvre dirait: j’ai d’autres habits!

– Et qu’est-ce que vous aimez lire?

– Les grands voyages; puis tournant vers moi un regard où déjà l’interrogation faisait place à la confiance:

– L’abbé, lui, a été en Chine; vous saviez?… et le ton de sa voix exprimait pour son maître une admiration, une vénération sans limites.

Nous étions parvenus à cet endroit du parc que Madame Floche appelait «la carrière»; abandonnée depuis longtemps, elle formait à flanc de coteau une sorte de grotte dissimulée derrière les broussailles. Nous nous assîmes sur un quartier de roche que tiédissait le soleil déjà bas. Le parc s’achevait là sans clôture; nous avions laissé à notre gauche un chemin qui descendait obliquement et que coupait une petite barrière; le dévalement, partout ailleurs assez abrupt, servait de protection naturelle.

– Vous, Casimir, avez-vous déjà voyagé? demandai-je.

Il ne répondit pas; baissa le front… À nos pieds le vallon s’emplissait d’ombre; déjà le soleil touchait la colline qui fermait le paysage devant nous. Un bosquet de châtaigniers et de chênes y couronnait un tertre crayeux criblé des trous d’une garenne; le site un peu romantique tranchait la mollesse uniforme de la contrée.

– Regardez les lapins, s’écria tout à coup Casimir; puis, au bout d’un instant, il ajouta, indiquant du doigt le bosquet:

– Un jour, avec Monsieur l’abbé, j’ai monté là.