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— Numéro de la bagnole ?

— 2438 FA 75. C’est une 403 noire avec des roues fil.

— Et Béru ?

— Il a pris un taxi, un coup de veine. Il suit, Pinaud aussi, avec un léger retard, mais il est parvenu à recoller et nous nous suivons à la queue leu leu.

Je ne puis m’empêcher de sourire. Je vois le tableau. La 403 suivie d’un taxi, suivi de la camionnette, suivie d’un autre taxi !

— O.K. ; j’attends, rappelle-moi dans cinq minutes pour me communiquer votre position.

Je raccroche pour couper la communication, mais je ne lâche pas l’appareil.

— Passez-moi le service des Cartes Grises et que ça saute !

On me donne satisfaction en un temps record. Je balance à l’intéressé le numéro minéralogique de la fameuse 403 et je dis au gars de se manier la rondelle. Il me faut illico le nom et l’adresse du propriétaire de ce véhicule.

Le préposé dit « banco » et me demande de ne pas quitter.

Pendant qu’il farfouille dans ses fichiers je me mets à l’index, à savoir que je bouffe l’ongle de ce doigt de première importance, lequel joue dans la vie quotidienne un rôle si prépondérant.

— Allô !

— Je suis là.

— Je n’y comprends rien, m’sieur le commissaire. Le numéro en question affecte une 2 chevaux et non une 403.

Voilà bien ma veine ! je suis tombé sur un gnace qui s’est collé une plaque bidon pour berlurer le populo.

Pourtant j’insiste, dépité :

— Vous en êtes sûr ?

— Tout ce qu’il y a de plus certain. Et cette 2 chevaux appartient à un charcutier de la rue de Charonne, un certain Prébois… Victor Prébois.

— Ça va, merci.

Si j’avais un chapeau, je le mangerais, sans sucre, tant est intense ma désillusion.

Je descends au standard pour y attendre le prochain coup de grelot de Mathias. Les deux fonctionnaires qui y végètent, dans un univers de fiches et de voyants lumineux, fument comme des pompelards dans leur aquarium vitré au point qu’on ne se voit plus et qu’on ne se dirige qu’à l’oreille.

Comme j’entre dans la cage, l’un d’eux, l’agent Nfépalboneur me cligne de l’œil, ce qui n’est pas difficile lorsqu’on a sous la paupière autant de fumée que peut en produire l’usine de Lacq.

— Pour vous !

Il me tend son appareil.

— Mathias ?

— Oui, patron. Ça se corse. Nous voici sur la route de Fontainebleau, nous allons arriver au carrefour de la Belle-Épine.

— Il va peut-être à Orly ? suggéré-je.

— J’en ai l’impression. Qu’est-ce que je fais s’il prend l’avion ?

— Tu sautes le gars !

Je pousse un immense soupir de détresse. Si nous sommes obligés d’appréhender l’homme à l’enveloppe et que celui-ci ne parle pas, c’en est fait de Félicie. Cette pensée me flanque la nausée.

— Entendu, je rappelle encore dans cinq minutes…

Je rends à Nfépalboneur son morceau d’ébonite et je participe au nuage de fumée en grillant coup sur coup deux Gitanes.

Les téléphonistes parlent du dernier match de foot et essaient de m’intéresser au débat, mais je leur oppose une tronche hermétique comme un sous-marin et ils renoncent.

Je me dis que je ferais peut-être mieux d’attendre chez moi un appel possible des zigs qui ont kidnappé Félicie, car s’ils ont envie de me parler, ils ne sauront pas où me joindre. Pourtant, je ne me vois guère faire le pied de grue devant l’appareil, dans cette maison sans âme.

Nouvelle mimique de l’agent-téléphoniste qui me redit :

— À vous !

— Il ne s’est pas arrêté devant Orly, patron, annonce Mathias, presque triomphant.

La nouvelle me réconforte. Sans doute le gars se rend-il dans un patelin de la banlieue Sud ?

— O.K. ; et les copains ?

— Toujours la caravane, j’ai peur que ce soit un peu voyant sur la route. Deux taxis, vous pensez.

— J’en ai peur aussi. Continue de suivre, je vais vous rejoindre avec une autre bagnole-radio. C’est moi qui entrerai en communication avec toi.

— Entendu !

— Appelez-moi le garage ! enjoins-je au standardiste.

Le chef des bagnoles me dit que, de toutes ses voitures-radio, la plus rapide est une 15 Citroën au moteur gonflé. Je lui réponds de me l’amener dare-dare avec un chauffeur d’élite. Et quatre minutes dix secondes trois dixièmes plus tard nous nous élançons.

CHAPITRE VI

Pour un as du volant, c’est un as du volant ! À peine avons-nous atteint les boulevards extérieurs que l’aiguille du compteur se place sur le 140 et n’en bouge plus. J’ai vu bien des fortiches de la conduite, et je me pique moi-même d’en être un ; mais des comme Bravissimo jamais. Ancien pilote d’essai chez Spaghetti-Bolognaise il a disputé de nombreuses compétitions avant que d’entrer dans la poule. C’est lui qui a remporté les Quarante-huit heures de la Varenne-Sainte-Hilaire ; qui a fait deuxième aux Cent cent (derrière Sinusite et sur Alfa Numérotée) et qui aurait gagné le Grand Prix de Tassin-la-Demi-Lune si son percolateur à tambour n’était pas passé dans la boîte de vitesse à cinquante centimètres de la ligne d’arrivée. Il essaya, paraît-il, de pousser son véhicule mais ce lui fut impossible car dans son émotion il avait oublié de desserrer le frein à main. Bref, un superman.

Il offre la particularité de ne conduire que d’une main. De l’autre il se cure les oreilles au moyen d’un tournevis qui lui sert aussi à régler l’avance à l’allumage.

Du beau boulot !

On débouche place d’Italie. On oblique vers Fontainebleau. On traverse la banlieue. On dépasse la Belle-Épine, Orly, puis tous les petits bleds populeux qui jalonnent la route jusqu’à Corbeil.

Je me mets en communication avec Mathias.

— Où en sommes-nous, fiston ?

— Nous venons de passer le Rond-point de la forêt, nous sommes maintenant sur la Nationale 5. Je vous signale que Pinaud n’est plus en vue…

— Merci.

La course à la mort continue, folle. Bravissimo prend des risques énormes. Il double au sommet des côtes, se fout des limitations de vitesse et ne prend pas plus garde aux feux rouges que s’il était daltonien. Bien entendu l’inévitable se produit. Nous avons bientôt deux motards au fignedé. Je conseille à Bravissimo de s’arrêter. Les hussards de la mort ne sont pas joyeux.

— Vous êtes fous ou quoi ! éructent-ils avec un ensemble parfait…

Je leur montre ma carte et leur conseille d’écraser. Ils saluent militairement et s’apprêtent à poursuivre leur vaillante besogne lorsqu’il me vient une idée.

— À trente kilomètres en avant, leur dis-je, roule une 403 noire, immatriculée 2438 FA 75. Prévenez vos collègues qui draguent sur la N.5 de stopper cette bagnole mais sous un prétexte plausible ! Vous m’entendez ? Qu’ils examinent les papiers du conducteur et ceux de l’auto. Si celui-ci est en règle, qu’ils se contentent de lui dresser procès-verbal. Du doigté, surtout. Quand ils auront fait le boulot, qu’ils m’attendent en bordure de la route.

— Parfaitement, monsieur le commissaire.

— Continuons, fais-je à Bravissimo.

Un peu plus loin, à l’entrée de la forêt, j’avise un taxi qui vient à notre rencontre. Je demande à mon virtuose de stopper et je me place en travers de la route. C’est bien le bahut de Pinuche : une Ariane noire conduite par un Russe dit blanc, mais en réalité gris comme les mains d’un marchand de journaux.

Le Grand Duc est dans tous ses états, si je puis me permettre. Il peste contre Pinaud qui l’a entraîné dans une équipée idiote. Il essaie de m’expliquer, après qu’il a vu ma carte, qu’il achevait son service quand il a chargé mon pote, qu’il appartient au dépôt de la porte Champerret et qu’il n’a rien à foutre à Fontainebleau. Il ajoute qu’il a horreur des flics, ce qui est son droit ; et qu’il les méprise, ce qui est son devoir.