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Puis il m’entraîne dans une voie secondaire. Au bout de cette rue brille une lumière caractéristique, la lumière qui, aux quatre coins du monde, annonce que les bourdilles ont là une succursale.

Le gars entre courageusement le premier et je le suis comme vous suivez le guide lorsque vous allez vous faire conter Versailles sur place.

Nous pénétrons dans une grande pièce grise et triste qui ressemble à un poste de police français comme une sœur jumelle ressemble à son frère jumeau.

Un flic tête nue est laga, avachi sur un illustré qui parle du cent quatorzième fiancé de la princesse Margaret.

Il dresse la tête en nous voyant entrer.

Mon vieux lui dit ce qu’il sait de moi, c’est-à-dire relativement peu de chose. Je crois le moment venu d’intervenir.

— I am French, fais-je.

Et je demande d’une voix sans espoir :

— Do you speak french ?

— Un petit peu, répond l’autre.

C’est un grand rouquin aussi facile à amadouer qu’une meute de loups, mais il me devient presque sympathique.

— Quoi existe ? me demande ce digne représentant de la loi britannique, lequel me paraît s’être un peu avancé en prétendant parler le français.

Je réfléchis.

— Murder, dis-je. Téléphonez à Scotland Yard, inspecteur-chef Rowland.

Il hoche la tête.

— No Scotland quand un murder to ! explique-t-il.

J’insiste avec beaucoup d’autorité.

— Chef inspecteur Rowland ! prononcé-je d’une voix ferme.

Il décroche le biniou et se met à jacter.

Un assez long temps s’écoule. Le père Lajoie attend docilement.

— Thank you very much, lui dis-je. You can go your bed !

Faut croire que c’est audible tout de même car il nous salue d’un air mortifié et se prend par la main pour s’emmener au plume.

Sur ce, le flicard jacte dans l’appareil, je décèle le nom de Rowland et, à sa mimique, je pige que le chef inspecteur est dans les bras de Morphée.

— Son adresse personnelle ! ordonné-je.

Le bourdille comprend et prend le tuyau. Ensuite il sonne le domicile de Rowland. Par chance, le correspondant du boss est chez lui.

Je chope l’appareil.

— Chef inspecteur Rowland ?

— Yes

— Ici commissaire San-Antonio, vous êtes au courant ?

— Oh ! parfaitement.

— Excusez-moi si je parle français, mais avec l’argot c’est la seule langue vivante que je possède.

— Aucune importance.

Il s’exprime avec beaucoup d’aisance. Son accent ne fait pas trop revue.

Je l’affranchis rapidos sur les récents événements.

— Je préfère m’adresser immédiatement à vous, dis-je, je crois que le cas vaut le déplacement, non ?

— En effet, j’arrive. Retournez m’attendre au cottage.

— O.K.

Le policier m’exprime sa déférence par quelques paroles qui n’ont aucun rapport, même sexuel, avec le français. Je lui revaux ça par un sourire qui ferait grincer des dents à la mère Monroe et je retourne au cottage perdu.

La mer continue de hurler vilain. Le sac, le ressac forment un fracas qui emplit toute ma théière… Des nuages gris, épais comme des cerveaux de policemen, continuent de jouer à « un-coup-je-te-vois, un-coup-je-te-vois-pas » avec la lune.

Elia Filesco est toujours étendue sur le gravier de l’allée ; le pic au travers du corps.

Comme ambiance, je vous la recommande… Ça et le chalet désert, hostile comme un gardien de la paix qui vient d’entendre crier « mort aux vaches ! » ; plus la falaise abrupte au sommet de laquelle flotte un pavi…

Ma pensée stoppe. Mes châsses qui l’agrémentaient d’images en direct se sont portés sur le mât surplombant la maison. Or, le pavillon noir qui claquait au vent du large il y a moins d’une heure n’est plus là… S’il n’y est plus c’est donc que quelqu’un l’a enlevé. Ce quelqu’un ne peut être que l’assassin. Il se tenait tapi dans les parages et, lorsqu’il m’a vu filer, il a descendu le drapeau noir.

Non, ça ne colle pas. Il avait le temps de le descendre avant que je revienne du pays des pommes ! Lorsque j’ai découvert le corps d’Elia celui-ci était presque froid. Entre son assassinat et mon réveil, beaucoup de temps s’est écoulé…

Et cependant ce pavillon noir ne s’est pas envolé d’autant que le vent est très modéré.

J’ai la tête farcie de questions. C’est fou ce que je me distribue comme formulaires à remplir depuis que j’ai mis le pied sur le sol britannique !

Pourquoi Filesco m’a-t-elle amené ici ? Pourquoi a-t-elle hissé un pavillon ? Pourquoi m’a-t-elle drogué ? Pourquoi l’a-t-on butée ? Pourquoi ne m’a-t-on pas buté ? Pourquoi a-t-on descendu le pavillon entre le moment où je suis allé prévenir la rousse et celui où je suis revenu ?

Vous voyez que la fabrication des « pourquoi » continue à faire tourner mon usine. J’entreprends ça sur une grande échelle, au risque de me casser la gueule. Le système San-Antonio ! Vous prenez un sujet épineux, vous l’enrobez de questions, vous le laissez mijoter au bain-marie ou au bain turc et vous saupoudrez de réponses valables avant de servir.

C’est simple en théorie, mais, dans la pratique, assez duraille à réussir.

Je me traite de vieille glande surmenée et je me mets à la recherche d’une torche électrique. Justement, il y en a une dans un tiroir de la cuisine.

Je m’en sers pour reluquer un brin les alentours. Tout de suite je ne remarque rien d’insolite, la propriété, nonobstant le cadavre, est nette. Je vais jusqu’à la route. Alors je fais une constatation qui offre certainement un grand intérêt : à partir de l’endroit où la route décrit une courbe pour longer la mer, des empreintes de pas sont visibles dans le sable. Elles vont de la route à la mer… Ou, plus exactement, de la mer à la route, car elles sont à sens unique. J’explore ces traces depuis la route car je ne veux pas les brouiller. Autant que le faisceau de la lampe me permette d’en juger, il y a là les traces de deux hommes.

Ces deux hommes sont venus de la mer… Et ils n’y sont pas retournés. Alors, étant donné qu’il n’y avait qu’une voiture dans la propriété et que cette voiture était là à mon réveil, comment sont-ils partis ?

Là je fais carburer mes méninges, les gars. Entre le cerveau de San-Antonio et un mixer de marque, il n’y a pas plus de différence qu’entre un percepteur et un troupeau de vaches.

Des gars sont venus de la mer. Bath titre pour personne pâle !

Je présenterais ça à Gallimard, il sauterait dessus à pieds joints. Et ces gars se sont évaporés… Il est impensable qu’ils se soient fait la valoche à pince après avoir dessoudé la mignonne.

Il y a un bout de ruban d’ici le next patelin, et puis à la noïe, deux mecs à pied ça se remarque comme une tache de vin sur la frimousse d’une pin-up.

Autre chose. Comment se fait-il qu’ils aient liquidé la Filesco avec un pic ? Ce genre de cure-dent ne se balade pas sur soi.

Je doute que ce pic ait traîné dans l’allée du cottage. En tout cas je ne l’avais pas remarqué. Donc, si l’un des gars avait cet outil à la pogne, c’est qu’il s’en servait. Et à quoi sert un pic, sinon à défoncer le sol ?

Le mieux c’est d’attendre Rowland d’une part, et le jour de l’autre. À deux et à la lumière, comme aurait dit Ponson du Térail, on fait du meilleur job.

Je vais cramponner mon litron de rhum et, pour tuer le temps et mes microbes, comme aurait redit le Ponton du Sérail — je me fais une expédition en port payé.