Выбрать главу

Le niveau a considérablement baissé dans le biberon lorsque je perçois un ronron de moteur.

C’est le chef inspecteur qui annonce sa viande.

Ce gnace, vous avez l’impression qu’il est dégringolé d’une gravure anglaise.

Imaginez un homme de taille moyenne, au visage couperosé, aux tifs d’un blond terne. Il a les lèvres minces, le regard aussi pétillant que celui d’un hareng saur et il porte un costard beige neutre qui lui colle au corps comme une peau de banane colle à la banane. Mais ce qu’il y a de plus fendant chez ce mec, c’est son bitos. Il a un bada gris, en feutre, avec un bord ridiculement étroit.

Il se pointe dans une bagnole noire à la ligne archaïque. Au volant se tient un gros type pas complexé qui a dû tomber de la lune une nuit et qui n’a jamais été foutu de trouver une échelle assez longue pour y regrimper.

Je m’avance.

— Commissaire San-Antonio, fais-je.

Il a une inclinaison du buste. Il ôte trois secondes son chapeau.

— Rowland !

On se serre la paluche avec précaution.

Puis il s’avance vers la masse sombre qui gît dans l’allée.

Il bigle le pic, soulève les tifs d’Elia pour voir son visage.

Il se redresse.

— Faisons le point, décide-t-il…

Comme quoi les English ont tous du sang de mataf dans les canalisations !

CHAPITRE VIII

Les petits chemins qui mènent à Rome

Faire le point, évidemment, consiste à dresser un topo des événements dans l’ordre chronologique.

On démarre par l’annonce de France-Soir, on continue par mon arrivée chez la Filesco, on enchaîne sur la maison de Whitechapel et la disparition d’Elia, on mentionne la filature dont j’ai été l’objet, par le petit mec en beige (lui aussi) ; on en arrive au brusque départ de Londres après le retour de la Filesco et le congé donné à Gloria, la soubrette. On se penche sur le coup du pavillon noir, puis sur celui du bourgogne farci de somnifères. On en arrive au meurtre, au pavillon noir descendu, aux traces de pas à sens unique… Et on en reste là parce que justement le jour qui avait mis son réveil sur cinq plombes commence à se tirer des toiles.

Le rhum, bien que de first quality, m’a filé une gueule de bois mémorable. La drogue absorbée la veille n’est pas étrangère à cet état de chose. J’ai encore des rumeurs dans le kiosque et je titube légèrement en marchant.

Rowland m’observe du coin de l’œil.

— Vous vous sentez mal ? interroge-t-il.

— Assez, merci, dis-je. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que j’ai dû absorber pour rester sur le tas pendant des heures ! Une anesthésie pareille, ça secoue un bipède ! Et encore, ajouté-je, je n’ai bu qu’une gorgée…

Rowland acquiesce.

— Il serait intéressant de faire analyser ce qui reste de vin dans votre verre, l’avez-vous jeté ?

— Non…

Je vais à la table de la salle à manger et je trouve mon premier glass que j’avais remisé à l’extrémité de la nappe.

— Le voici.

L’inspecteur donne des instructions à son pierrot gourmand. La bonne enflure se met à la recherche d’une petite bouteille. Il trouve un huilier vide, va le rincer, et y verse mon restant de picrate à la noix.

— Bien, dit Rowland, allons jeter un coup d’œil à ces fameuses empreintes.

L’horizon s’éclaircit. De vagues rougeurs commencent à chanter l’hymne à la vie. Tout ça pour vous montrer en passant ma force poétique. Je suis un mec dans le genre de Baudelaire, moi, sauf que je ne suis pas capable de traduire Edgar Poe…

Et sauf aussi que je ne suis pas désespéré, même dans les cas graves. Mon œuvre, ça serait plutôt Les Fleurs du mâle ! Ces fleurs-là, j’en fais à toutes les souris qui veulent bien se faire inscrire sur mon livre d’or.

Qu’on se le dise !

Nous arrivons sur la plage. Les empreintes sont visibles comme si elles avaient été faites dans la neige.

Il y en a une série d’assez larges, laissées par des tatanes d’homme, et une autre, de beaucoup plus petites, produites par des chaussures de grognace. Cela se voit non seulement à la pointure, mais aussi au talon.

Bon Dieu, qu’est-ce qu’une poule est venue maquiller dans cette historiette ?

Les deux pas viennent de la mer. En bordure de la baille nous trouvons les traces produites par une embarcation. Un canot est venu laga, a déposé le couple, et s’est refait la paire…

Rowland dit à son bibendum de prendre un moulage des empreintes. C’est un mec méthodique, vous ne trouvez pas ? Et vachement organisé pour avoir du plâtre à moulage avec soi dans sa tire…

Nous aurions du feu à prendre sur le Yard, nous autres de la maison poulaga… Pour le turf c’est presque de la prestidigitation que nous faisons : rien dans les pognes, rien dans les vagues. Tout se tient derrière le cigare !

— Bien, dit Rowland, maintenant revenons à la maison et fouillons-la très sérieusement.

Je souris, because ce turbin-là je l’ai exécuté d’autor depuis un brin de temps. Néanmoins, comme je n’avais pas bien les châsses en face des orifices, je me dis qu’il ne coûte rien de recommencer.

Nous passons donc la cambuse au peigne fin, depuis la cave jusqu’au grenier, allant jusqu’à cogner contre les murs histoire de se rendre compte s’ils sonnent creux. Mais tout est O.K. Ce cottage, excepté son isolement, paraît honnête…

— Tout cela est bien mystérieux, n’est-ce pas ? fais-je à Rowland.

— Trop, dit-il…

C’est le père laconique, ce mec !

— C’est aussi mon impression, fais-je.

Il enlève son chapeau à petit bord et le tient à la main avec l’aisance d’Anthony Eden.

— Voyez-vous, reprend-il, d’ordinaire, une affaire est mystérieuse du fait qu’elle comporte des éléments a priori inexplicables. Là, non seulement il existe des éléments inexplicables, mais encore ces éléments se sont produits dans une atmosphère de mystère, je ne sais pas si je me fais bien comprendre.

— Admirablement !

— Au demeurant, poursuit-il, brusquement déclenché, la maison de Whitechapel est mystérieuse, ce cottage est mystérieux, le pavillon noir aussi…

— Les empreintes, ajouté-je.

Il secoue la tête.

— Non, là je ne partage pas votre point de vue. Les empreintes sont très explicables : elles ont été produites par un couple débarqué d’un canot. Ce qui est inexplicable c’est qu’elles disparaissent… Comment ce couple a-t-il quitté la maison ?

Je secoue la tête.

— Ah ! ça…

— Vous êtes bien certain qu’aucune voiture ne se trouvait ici ?

— Aucune !

— Alors ils seront partis à pied… C’est la seule explication valable… du moins pour l’instant !

Je sursaute…

— Même pas !

— Pourquoi ? demande Rowland d’un ton ennuyé.

— Voyons, le pavillon noir flottait avant que j’aille vous prévenir. Il ne flottait plus à mon retour, soit trois quarts d’heure plus tard, c’est donc que quelqu’un l’a ôté, nous sommes déjà d’accord sur ce point. Si ce quelqu’un était reparti à pied, je l’aurais forcément rencontré sur la route longeant la grève, or je n’ai croisé âme qui vive… Vous l’avez remarqué, la route serpente sur la lande, elle s’étale à perte de vue et n’offre aucun buisson, aucun rocher susceptible de servir de cachette…

— Exact…

— À moins que l’individu n’ait fui à travers la campagne…

— C’est envisageable…