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Je rabats le couvercle. Mes yeux glissent sur le morceau de musique étalé sur le pupitre. Rhapsody in Blue.

Un zig qui aime furieusement ce morcif, car je n’aperçois aucune autre partition sur le meuble. Tiens, au fait, voilà qui est assez étrange. Lorsqu’on achète un piano pareil c’est qu’on est artiste et qu’on le fait fonctionner. Je fouille tout le living-room sans découvrir une autre partition.

Décidément, c’est plus que déconcertant. L’acheteur du piano ne jouait qu’un seul morceau !

Je considère l’instrument. C’est vraiment quelque chose d’important. Je soulève le couvercle et je réprime une exclamation de stupeur. Au lieu de trouver les entrailles d’un piano, j’ai devant mon pif le vide. Le piano est creux, le fond est oblique comme un toboggan et plonge vers une cavité située dans le pied, très large comme un socle. Ce pied ne se remarque pas lorsqu’on considère l’instrument en tant que piano innocent, mais, dès l’instant où l’on s’aperçoit qu’il est truqué, on ne voit plus que lui. Le piano est en deux parties : la première qui est un véritable petit piano sur lequel on peut tapoter des airs aimés, et la seconde, en additif qui n’est autre que la fameuse issue que je cherchais…

Je m’engage à l’intérieur de l’instrument, je glisse dans le pied.

Celui-ci a cinquante centimètres de diamètre. Il est terminé par une petite trappe à bascule, semblable à celle d’un piège à rat. Je me laisse glisser. J’ai l’impression d’être engagé dans un circuit pour pneumatiques. Je glisse à tout berzingue, sur plusieurs mètres, et à la verticale, mais sans me faire le moindre mal car les parois du conduit sont recouvertes de feutrine.

En souplesse j’atterris sur un épais tapis de caoutchouc. Je bigle autour de ma pomme. Je me trouve dans une cave. Hormis ce tapis de caoutchouc, elle est absolument nue.

Je me relève et je bats le briquet comme dans la chanson.

Je découvre une porte basse, au fond du sombre local. Je m’y dirige : la lourde est bouclée à clé. Mais vous savez bien que ces détails-là me laissent indifférent. À la ville comme à la maison poulets, je conserve précieusement sur moi mon petit Cézame ; l’ouvre-boîte universel.

En moins de temps qu’il n’en faut à la dame de l’inter pour vous donner une fausse communication, je suis hors de la maison, dans une ruelle où pousse une herbe atrophiée. Le jour est complètement levé.

Je vais au bout de la ruelle et je tombe dans la strass où est remisé mon bahut.

Je m’installe au volant et, concentrant toutes mes facultés mnémoniques, je retourne à la maison de Bloomsbury.

* * *

La petite Gloria est déjà levée. Elle ne porte pas ses fringues de soubrette de comédie, mais une blouse grise et ses cheveux sont serrés dans un foulard.

Elle vient m’ouvrir la lourde et regarde par-dessus mon épaule. Constatant que sa maîtresse n’est pas là elle s’efface pour me laisser entrer.

Je lui masse les roberts au passage.

— Mrs. Filesco ? fais-je…

Elle ne comprend pas et me sourit niaisement, en rougissant derrière ses taches de rousseur.

Écœuré par cette incompréhension, je me dirige vers la cuisine. La mère Trois-Pommes est là, plus gélatineuse et plus revêche que jamais. Elle confectionne un café qui parfume tout le sous-sol. Les passants doivent s’arrêter devant le vasistas pour en bicher plein les trous de naze.

— Écoutez, la gravosse, fais-je, j’ai deux mots à vous dire…

Elle fronce les sourcils pour mettre en english cette petite phrase. Je lui laisse le temps d’allumer sa comprenette, puis j’attaque sec :

— La patronne est ici ?

— Je ne sais pas, énonce-t-elle laborieusement…

— Eh bien ! rancardez-vous, ma biche !

— Quoi ?

— Demandez à Gloria…

Elle appelle Gloria et lui pose la question. Je vois la soubrette secouer la calbombe.

— Non, traduit inutilement la cuisinière…

— Elle a l’habitude de plaquer ses chauffeurs en cours d’excursion ?

Je la mets au parfum de mon aventure, mais sans préciser que j’ai opéré une petite perqui dans l’immeuble en question. Du reste, je lui dis ne pas me rappeler l’endroit où j’ai déposé Filesco.

— J’ai attendu toute la nuit à mon volant ; si c’est pour jouer les sentinelles qu’elle me fait venir en France, je mets les voiles…

Elle ne semble pas trop troublée, la cuistode.

Elle m’apprend qu’elle s’appelle Katty. Je lui dis que c’est un nom ravissant, mais que là n’est pas la question. Alors, en quelques mots bien sentis, bien choisis dans son vocabulaire français, elle me conseille de ne pas m’occuper des affaires de Madame. Madame mène une vie particulière peut-être, mais elle paie bien ses gens et n’aime pas les curieux…

— O.K., fais-je, alors servez-moi un jus !

Je m’envoie un bol de coffee et deux eggs and bacon. Ensuite je grimpe à ma turne histoire de me laver les chailles. Je n’ai pas sommeil malgré cette nuit à peu près blanche. Au contraire, je me sens terriblement dopé par le café de la mère Katty.

J’hésite un instant, puis je décide de rancarder le chef sur cette salade, parce que tout de même, une aventure pareille vaut le coup d’être racontée… Et puis j’ai envie d’entendre parler français. Que voulez-vous, je suis comme ça : pas patriotard à tout crin, oh non ! et même contre les frontières, nettement, mais j’aime bien mon bled parce que c’est le seul endroit du monde où on peut traiter le président du Conseil de peigne-cul sans risquer de se faire passer les noisettes au concasseur.

Je bouquine mon petit dico franco-english afin de préparer ma trajectoire et je quitte la baraque sans plus m’occuper des deux bonnes.

Un facteur qui distribue le courrier, un grand sac de toile à la main, tandis qu’un pote l’attend au volant d’une voiture rouge m’indique le post office.

Tant bien que mal je parviens à me faire comprendre par le préposé au biniou. Au bout de quelques minutes, j’ai le Vieux à l’appareil.

Sa voix tranquille me fait du bien.

— Tiens, déjà ! fait-il comme prise de contact.

Je lui bonnis mon historiette. Sans rien omettre.

— C’est rocambolesque, conclut-il.

— En effet. Que dois-je faire ?

— Attendez…

— Quoi, qui ?

Je n’ai pas pu retenir ce croassement.

— La suite des événements, fait-il. S’il est arrivé quelque chose à la Filesco, ça se saura tôt ou tard, s’il ne lui est rien arrivé, elle finira bien par rentrer chez elle. Jouez le jeu, identifiez-vous au reste du personnel et comportez-vous exactement comme lui. Moi, je vais prévenir le Yard de l’existence de cette maison, vous avez l’adresse ?

Heureusement, j’ai pris la précaution de la noter avant de mettre les adjas.

Je la communique au boss.

— Très bien, fait-il satisfait. Je ne pensais pas que vous auriez si vite du nouveau. Décidément, avec vous, ça ne traîne pas !

Sur ce mot gentil il raccroche et je me retrouve au milieu de London, avec un bourdon qui foutrait la grosse pagaïe dans une ruche !

Je musarde un instant avant de rentrer at home. Ce qui manque à Londres, ce sont les troquets avec terrasse. Les public bars sont discrets comme des bordels…

Les bus rouges à impériale circulent à toute pompe. Des gars à chapeaux antédiluviens passent d’une allure raide et rapide, un pépin roulé à la main.

Parvenu à l’angle de Bloomsbury et de Shaftesbury Avenue, je m’arrête sur une petite place triangulaire où s’alignent des cabines téléphoniques rouges. Juste en face des cabines, il y a un petit établissement : The Crown Hotel, avec un bar au rez-de-chaussée.