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Des banches, des ferrailles, une bétonneuse dont l’ombre biscornue évoque vaguement le célèbre véhicule lunaire.

Le silence n’est troublé que par des froissements de papiers gras agités par un bout de brise qui pantèle à peine qu’amorcé. Et puis par autre chose aussi que j’ai du mal à définir. Cela ressemble à un léger sifflement continu, comme celui d’une cafetière électrique quand le caoua est prêt. Au gré de la brise mentionnée ci-dessus, ce sifflement s’écarte de mes cages à miel ou y revient brusquement. Agaçant. Et troublant, aussi, je te jure.

Je mets mes mains en pavillon devant mes écoutilles et je pars à la recherche de cette source sonore. Je furète de gauche, de droite…

Je trouve.

C’est le walkie-talkie de Magnin qui gît sur le sol glaiseux, complètement défoncé. Cette pomme a dû le laisser quimper du haut de sa plate-forme.

L’appareil, blessé à mort, agonise. Ses piles lâchent un jus faiblard dans la nuit.

Furieux, je l’achève d’un grand coup de talon. Me v’là nettoyeur de tranchées, à c’t’ heure. Malin. Nous sommes maintenant coupés des forces policières qui cernent le quartier. On va avoir bonne mine si ça tourne chtouille. Tireur d’élite, Magnin, mais maladroit dans ses gestes. L’éléphant vise bien avec sa trompe, seulement pour l’exercice, grâce et souplesse, il risque pas de mettre une patte sur le podium. Je récite des choses malveillantes à l’endroit de mon collaborateur. Ça commence par enviandé et on ignore par quoi ça finira.

Et les autres chacals qui n’arrivent toujours pas.

Pour user mon énervement, et chasser la froidure nocturne, je commence à faire les cent pas.

C’est au vingt-troisième que je bute contre le cadavre de Magnin. Il gît à la renverse, les bras en croix. Il a toujours son fusil à lunette en bandoulière, mais la crosse de l’arme est brisée, le canon tordu. J’examine le pauvre garçon et je détermine assez facilement ce qui s’est passé.

On l’a abattu d’une balle pendant qu’il gravissait l’échelle verticale de la grue. Une prune de gros calibre, virgulée par un flingue muni d’un silencieux, je présume. La balle a pénétré par le ventre et elle est ressortie entre les omoplates. Le champion de la serveuse de calandes toutes catégories est tombé comme une pierre et s’est écrasé le bocal à l’arrivée.

« Sois prudent, papa : pense à nous. »

Ma gorge se serre. Je me traite de minable, d’assassin. Si j’avais emballé le comte de Monte-Carlo au lieu de finasser, Magnin serait en train de fourbir la jupaille d’une nana dans son impasse de Boulogne. Quelle chierie de métier, Seigneur !

Heureusement, je n’ai pas le temps de me laisser voguer sur les eaux fangeuses du désespoir.

— Démerde-toi de lever les pognes, si tu n’en veux pas autant !

La porte de la cabane à outils vient de s’ouvrir et des mecs d’en jaillir. Ils sont trois, non, quatre : y en a un qui lambinait. Je vois briller des armes dans la lumière sanglante de la lampe. Alors je me dis, très sincèrement, que mes projets matrimoniaux n’auront probablement pas cours. Parce que, si j’en réchappe, c’est vraiment que mon ange gardien est un garçon zélé. Les gugus portent des bas sur le visage, et puis leurs bitos pardessus le blaud. Je lève les mains, parce que c’est vraiment la chose la plus urgente à faire, compte tenu des données irrévocables du problème.

— T’as voulu nous feinter, avec ton porte-flingue à la manque, hein, vérole ! me lance l’un des éléments du quatuor en s’avançant. Heureusement qu’on est à pied d’œuvre depuis 6 heures de l’après-midi. T’as la camelote, au moins ?

Le faisceau d’une lampe électrique se braque en plein sur ma poire. Aussitôt, une exclamation retentit :

— Merde, un poulet !

— T’es sûr ? demande un autre zig.

— Je le connais : c’est le commissaire San-Antonio !

— Alors c’est un perdreau qu’on a démoli ?

— Faut croire. On s’est laissé piéger comme des tartes !

Bibi, pendant ce bref échange, il se dit qu’en pleine nouvelle lune que nous sommes, c’est la période propice pour jouer son va-tout. Alors, tu comprends, il te trémule un coup de sifflet de trident, comme dit le Gravos. Quèque chose de plus perçant que Farah Diba. A t’en coincer les marteaux dans les louches à caviar !

Une ruse qui ne vaut pas un Sioux, apparemment. Mais qui porte ses fruits cependant.

Brusquement, les malfrats, croyant à un signal, se mettent à cavaler comme des poulains devant un coup de klaxon.

Tous, moins un : celui qui m’a identifié.

— Tu vas me le payer, flic ! grince-t-il.

Il tient une mitraillette dont il relève brusquement le canon. Moi, j’ai une faculté qui vaut celles des lettres et des sciences réunies. Un don précieux qui me permet de démultiplier le temps pour ainsi dire. Je t’explique : dans des cas cuisants comme voilà, pendant que mon vis-à-vis exécute un mouvement, fût-ce avec promptitude, j’ai le temps de penser à une foule de choses, le temps de réfléchir, d’apprécier, le temps de décider.

Conséquemment, j’amorce une sorte de plongeon à gauche qui se continue par une accélération pivotante et c’est sur ma droite que je m’étale.

« Rrrrrahahahahaha. »

Fait la mitraillette malgré son silencieux.

Un vol de frelons passe.

Sans que je trépasse[31].

Je lâche une plainte comme on n’en a jamais exhalé dans les maternités les plus huppées. Ce qui empêche nullement ton Santantonio d’élite de dégager son ami Tu-tues et de se l’assurer bien en main.

On est dans l’ombre, mais à la clarté du fanal de chantier, je vois mon agresseur qui s’approche, la sulfateuse toujours braquée. Il va me filer la giclée suprême. Chez les vrais assassins, on ne part jamais avant d’avoir fignolé le boulot d’une dernière rasade, quand bien même elle semble superflue.

Je le précède, au jugé. Pas le temps de viser. Mes bastos à moi, sans étouffoir, font un foin terrible. Je les lâche rapidement, en balayant très légèrement du poignet.

Sa plainte à lui est moins théâtrale que la mienne, mais plus en situation. Il tombe à genoux. Sa mitraillette se déclenche. Elle fouillasse le sol tel un pic pneumatique. Les pierres volent. La terre gicle. Moi, je suis plaqué contre le cadavre du pauvre Magnin que j’ai rejoint d’un rapide roulé. Je sens l’impact des balles dans le corps de mon collègue. Ce que ça me semble longuet ! Quand enfin le silence et l’inertie s’étalent sur le chantier, j’ai l’impression que la scène a duré des heures…

Je ne bronche plus, redoutant quelque ruse. Mais non. Le mitrailleur semble vraiment out.

Out, et même septembre, octobre… Jusqu’à la Toussaint que tu pourras y porter des chrysanthèmes.

Je l’ai praliné en plein poitrail. Il a une de ces cavernes aux soufflets qui livrerait passage à un autobus londonien.

Son chapeau a roulé sur le sol. J’empoigne la lampe électrique pour la lui braquer sur le faciès. Mais le bas écrase les traits du gars. Malgré tout, j’ai l’intuition de connaître cette bouille de méduse. Léon Napobarte disait, je cite, que « Talleyrand, c’était de la merde dans un bas de soie », tu te souviens ?

Ce que je peux t’assurer, c’est que le mortibus étalé devant moi n’est pas Talleyrand, mais que néanmoins, c’est de la merde dans un bas de nylon. Quelle triste bille, madoué !

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31

Oh que c’est drôle !