Выбрать главу

— Très, très intéressant, déclare ma Mouillette.

— P’t’être bien sans doute, admet Béru, mais n’empêche que je crève de soif. Ces cliniques, si tu voudrais mon avis, sont trop chauffées et j’ai déjà sué ma part de beaujolais. Je descends aux munitions, les mecs. M’a semblé voir une succursale Nicolas à l’abord des environs promiscuiteux.

Il remet son bada et sort sans refermer la porte dont il conserve toujours le loquet par-devers lui.

— C’est une chaîne, cette affaire, somme toute ? résume Pinaud. Bon, on en est au brocanteur qui a acheté ces choses…

— C’était un type mystique, et aussi braque que le copain « cardinal » dont il allait d’ailleurs devenir le « client ». Sans savoir exactement ce qu’étaient ces choses, leur caractère religieux ne lui échappait pas. Quand il fit la connaissance de Tonin, peu de temps après, il les lui montra et, devant l’intérêt manifesté par celui-ci, les lui offrit.

Baderne-Baderne lève le doigt.

— Oui, vas-y, dépêche-toi, lui fais-je d’un ton d’instituteur.

— Qu’imagines-tu, bêle le Grippoteux, je n’ai pas besoin des vécés, au reste je m’y rends le moins possible, ils sont dans un état de délabrement…

— Je sais, fais-je, les Français qui sont tellement occupés de leur cuisine négligent leurs ouatères qui, cependant, en sont le complément on ne peut plus direct. Je me propose de contacter les charmants Gault et Millau pour leur suggérer d’établir un guide scatologique des chiottes de France. On les classerait selon des critères de propreté et de confort. Le sigle pourrait en être une balayette de chiche stylisée. Pas de balayette, cela signifierait « A n’utiliser qu’en cas d’urgence ». Une balayette : « Vaut une purge ». Deux balayettes : « Mérite une dysenterie ». Trois balayettes : « Paradis des constipés ».

Le Fripé hausse ses épaules en bouteille d’Evian.

— Au lieu de faire de l’humour, mon garçon, explique-moi un peu en quoi consistent ces fameuses plaques…

— Bête et compliqué, Pépé. Un petit côté Contes de ma mère Dinde. La chose s’est passée au cours du premier millénaire de l’Eglise, à une époque où la papauté branlait à la crosse. Un pape transfuge qui ne régna que sur une maigre portion de territoire sous le nom de Tubulure Ier pendant le pontificat de Gnafron VI, après bien des coupes empoisonnées échangées avec ce dernier, finit par se ranger sous sa houlette et lui légua (du pape !) ses biens car il n’avait qu’un héritier et celui-ci était parti pour des contrées lointaines.

Pinaud bâille.

— Si c’est pour mieux t’endormir, je peux te lire le dernier compte rendu de l’Assemblée Nationale, ça ira plus vite ? grommelé-je avec humeur.

Il se défarcit les coquilles énergiquement.

— Quelle idée, continue, je suis passionné.

— Les deux plaques constituent le testament. Celui-ci a été dressé en deux exemplaires. Il y est précisé qu’en cas de retour du neveu, le trésor de Tubulure Ier devait lui être restitué. Une bague ornée d’une améthyste prouvait l’identité de ce dernier, car il la portait au pouce, et, à la suite d’un accident, ne pouvait la retirer. Un vrai conte pour petite fille modèle Ségur amélioré Mademoiselle Age Tendre, je te dis.

— Et l’améthyste, ce serait la fameuse bague de Duplessis ?

— Dix sur dix, l’Amoindri. Que s’est-il passé par la suite ? Comment les deux plaques et la bague se sont-elles trouvées rassemblées dans un coffre de fer déterré en une chapelle romane ? Mystère. Entier. Que seul probablement le Vatican pourrait éclaircir par ses archives. Sans doute le neveu est-il revenu pour réclamer son dû en brandissant sa plaque d’or et son doigt bagué, et re-sans-doute s’est-il fait recevoir compagnon, mais pas compagnon de Jéhu. On n’a aucune trace de lui. Les siècles suivants restent muets quand aux rebondissements de cette affaire qui ne fut qu’une péripétie parmi tant d’autres en ces temps cruels et bouleversés. Toujours est-il que l’ensemble des documents tomba un jour dans les pattes de ces gredins.

Pinaud bâille.

— Jolie histoire. Continue…

— Mis en branle par le comte de Monte-Carlo, l’Avoine dépêcha un de ses sbires chez le vieux brocanteur avec mission de lui racheter (ou au besoin de lui reprendre) ces trois pièces. Il dut s’y prendre maladroitement, car le vieux madré flaira la bonne affaire et prétendit les avoir vendues à un inconnu. Le messager de l’Avoine changea alors de ton et déclara qu’il lui fallait coûte que coûte récupérer la bague et les plaques. Il somma le vieillard de l’aider à retrouver son pseudo-acheteur. Terrorisé, le vieux promit d’entreprendre une démarche. Effectivement, il fila droit chez Duplessis pour réclamer la restitution de ses présents.

« Le coup des dominos chutant à la renverse, je te dis. Tu pousses le premier de la file et tous les autres y vont de leur plongeon. Duplessis, tout comme son vieux client, pigea qu’il détenait un truc important et prétendit à son tour s’en être séparé. Pleurs et menaces ne le firent pas changer d’attitude. En désespoir de cause, le vieux broc balança l’ami Tonin aux boy-scouts de l’Avoine qui l’entreprirent sérieusement. Mais Antonin Duplessis, de Saint-Locdu-le-Vieux, était un paysan obstiné, semblable à son éminent compatriote l’officier de peau lisse Bérurier. Il planqua les plaques où nous savons et joua les crétins. Ni les coups ni les menaces n’eurent raison de son obstination. Alors, l’Avoine opta pour la ruse. Ayant bien étudié le comportement du bonhomme, il se vieillit, se déguisa en Pinaud rabougri et devint son client.

— Merci, charmant, toussote l’Effilé.

Je poursuis :

— Car il faut poursuivre bien, Névropathe ? Qu’autrement sinon tu te mettrais encore à rouscailler comme un nain perdu dans la foule et qui ne voit que des fesses au lieu du feu d’artifice.

— La méfiance de Duplessis ne se démentant pas, on résolut de lui filer une bille dans les pattes. Une belle ! Une très très belle.

Là, mon cœur s’emballe, ma voix mue, aimue.

— La mûlatresse ? dit Pinaud.

J’abats mon poing sur la table métallique où sont disposés les accessoires les plus précieux du Félé, à savoir son dentier et son bandage herniaire.

— Je te prie d’abord d’être poli et de ne pas faire de racisme, César. D’abord la jeune fille en question n’est que bronzée. Je connais mille connes de pure race qui sont deux fois plus noires qu’elle lorsqu’elles rentrent de Saint-Trop’. Cette merveilleuse jeune fille avait un frère dévoyé qui travaillait pour l’Avoine et auquel il a dû faire de l’arnaque car il a été liquidé. L’Avoine a fait pression sur cette adorable Zoé…

Béru vient de rentrer, porteur d’un carton à l’intérieur duquel s’entrechoquent des flacons.

Il a entendu ma dernière phrase et rigole.

— D’après selon ce que j’entends, môssieur le commissouille de mes caires te fait part de son prochain mariage ?

— Quoi ? se réveille Pinaud.

— Ah, il t’a pas encore aboulé le plus chouette : il va épouser la môme Zoé. Un coup de buis monstre, il a reçu. La grande embellie. Le sirocco. Mon cœur est tatoué ! La lumière bleue. Le jardin des supplices ! Faut reconnaître qu’elle vaut la bagouze, cette petite mémé. Bien sous tous les rapports. Gentille, pas conne. Elle nous plaira, je sais déjà. Et jolie… Mince, quand je mate sa peau orangée, j’en ai l’eau qui me vient à la bouche. Laisse qu’il l’épouse. Ensuite, je m’achète une cravetouse neuve et je t’y fais une cour sans freiner. Te v’là prévenu, Sana. T’as beau être mariolle, je ferai jouer mes charmeuses. Le grand jeu… Tiens, je prendrai même un bain, si nécessaire.