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— On dirait que ça va mieux, me dit-elle. Fais attention à ce qu’a dit Pierret, hein, Couille de Papillon ! Ne m’arrose pas le jardin. Tu t’excites, tu t’excites… tu m’inquiètes. Tiens, attrape-moi plutôt comme les hommes se prennent.

Percevant mon étonnement, elle tend un bras derrière elle, montre du doigt : « Là. » Ah ?… Hop là, j’y vais et m’agite dans tout cela :

— Mh ! Raah ! Gr…

En bas, Tabarie se plaint :

— Ah, je te jure, François, ce n’est pas pratique de recopier des poésies dans ces conditions-là !…

« Plutôt que de grogner, apporte deux autres pichets ! » lui lance Margot qui commence à en avoir un coup dans le nez. Quant à moi…

Elle se retourne encore — je vois passer des flots de chair — me fait la position de la femme sur l’homme : « La sorcière chevauchant son balai ! » hurle-t-elle, engloutissant à plein pichet le nectar d’Argenteuil que Guy vient de lui tendre. Le vin déborde et ruisselle sur ses seins pendants et énormes — plus gros que ma taille — qu’elle balance de gauche à droite et dont elle me gifle les deux joues en braillant des refrains orduriers. Dans les éclaboussures enivrées de ses mamelles mythologiques, elle meugle aussi : « Hardi petit ! », s’anime d’une frénésie. Elle tape des reins et m’écrase par coups violents à m’en faire éclater les os. Les planches du réduit tressautent. Des filets de poussière s’en élèvent. Elle bat du cul tandis que dehors, ses enfants jouent du tambour et de la flûte. Ah, mais quelle femme ! Je nais aussi de ce carnage-là, barbouillé de lie dans le délire enflammé des torches. C’est une révélation. Je veux cette vie-là jusqu’à la corde. Ah, je me plais dans cette ordure. Ah, nom de Dieu !

— Tabarie ! Hâte-toi d’écrire ce que je te dicte puis fais-le répandre partout qu’on revienne souvent ici. Voici le commencement.

Les bras et les jambes en croix comme à l’écartèlement, sous les secousses de l’écrasement qui me démolit, je me lance :

Je suis français, ce qui me pèse, Né de Paris emprès Pontoise, Et par la corde d’une toise, Mon cou saura ce que mon cul pèse… aaah !

— Pèsa ? s’étonne mon copiste. Mais ça ne rime pas avec le premier vers.

— Dis donc, toi, le poète, je t’avais dit de faire attention ! me lance Margot, soudain très poings sur les hanches. Et si j’étais encore une fois pleine alors que Pierret ?…

Elle attrape ma faluche qui a roulé sur les planches et s’éponge, s’essuie le cul avec. Je m’en recoiffe fort dignement, le ruban souillé pendant devant un œil, et descends les marches en titubant et hoquetant, doigt en l’air, d’un ton sentencieux :

— Joseph déclara crûment à la Vierge : « Vous direz que ce n’est pas moi ! »

Le mari entre à ce moment là, les bras chargés de victuailles, et me désigne :

— Qu’est-ce qu’il dit, lui ?

— Rien, c’est un poète, fait Margot, étirant sa robe et descendant aussi.

— Ah bon ? Alors faudra qu’il rime une ballade sur toi, la belle, continue Pierret en déposant sur la table pain, fromage et fruits. S’il t’écrit, même un rondeau, la prochaine fois, ce sera cadeau…

La grosse Margot croque une poire et se marre :

« Une ballade, j’ai bien une tête à ça ! Et tu sais lire, toi ? »

« Ça ferait joli sur un mur, dit le mari. Et puis, qu’as-tu besoin de savoir lire. Les petites lettres, quand tu ne comprends pas, tu imagines… » Il étend ses bras et rêve : « Ballade de la grosse Margot ». Les gens se rappelleraient de toi, des siècles plus tard.

— Oh, mon Pierret, tu m’aimes trop !

Margot est franchement émue. Son petit mari nous chasse : « Revenez ici quand vous serez en rut. » Puis dans le jardinet, il appelle sa mômerie : « Allez les enfants, on rentre. À table ! »

Sabots sur la terre gelée, la grosse prostituée pisse dehors. Dans les lueurs bleu nuit et rose du soleil couchant, elle regarde s’échapper, de sa lèvre d’en bas, un fil d’urine fumante et me fait un petit signe de la main.

17

BALLADE DE LA GROSSE MARGOT

Si j’aime et sers la belle de bon cœur, m’en devez-vous tenir pour vil et sot ? Elle a en elle les qualités qu’on peut souhaiter : pour son amour, je prends dague et bouclier. Quand des gens viennent, je cours et happe un pot. Au vin, m’en vais sans faire grand bruit. Je leur tends eau, fromage, pain et fruit. S’ils paient bien, je leur dis : « Ça va. Revenez ici quand vous serez en rut, dans ce bordel où nous tenons notre cour. »

Mais il y a parfois grand déplaisir quand, sans argent, s’en vient coucher Margot. Je ne peux plus la voir, mon cœur à mort la hait. Je prends sa robe, sa ceinture, son surcot, jurant que cela tiendra lieu d’écot. Cet Antéchrist met les mains sur ses hanches ; elle crie et jure, par la mort du Christ, qu’il n’en sera rien. Alors j’empoigne un éclat de bois dont, sur le nez, je lui fais une marque dans ce bordel où nous tenons notre cour.

Puis, la paix faite, elle me fait un gros pet plus gonflé qu’un immonde escarbot. En riant, elle m’assène son poing sur la tête. « Allons, allons ! » me dit-elle et elle frappe ma cuisse. Ivres tous deux, nous ronflons comme une toupie. Puis au réveil, quand son ventre fait du bruit, elle monte sur moi pour que je n’abîme pas son enfant. Sous elle, je geins. Elle m’aplatit plus qu’une planche. Elle me démolit à force de paillarder dans ce bordel où nous tenons notre cour.

Qu’il vente, grêle ou gèle, j’ai mon pain cuit. Je suis paillard, la paillarde me suit. Lequel vaut mieux ? Nous nous entendons bien. L’un vaut l’autre : à mauvais rat, mauvais chat. Nous aimons l’ordure, l’ordure nous poursuit. Nous fuyons l’honneur, il nous a fuis dans ce bordel où nous tenons notre cour.

Se j’aime et sers la belle de bon het, M’en devez-vous tenir ne vil ne sot ? Elle a en soi des biens à fin souhait : Pour son amour ceins bouclier et passot. Quand viennent gens, je cours et happe un pot, Au vin m’en vois, sans démener grand bruit ; Je leur tends eau, fromage, pain et fruit. S’ils paient bien, je leur dis que «  bien stat ; Retournez ci, quand vous serez en ruit, En ce bordeau où tenons notre état ».
Mais adoncques il y a grand déhait Quand sans argent s’en vient coucher Margot ; Voir ne la puis, mon cœur à mort la hait. Sa robe prends, demi-ceint et surcot, Si lui jure qu’il tendra pour l’écot. Par les côtés se prend cet Antéchrist, Crie et jure par la mort Jésus-Christ Que non fera. Lors empoigne un éclat ; Dessus son nez lui en fais un écrit, En ce bordeau où tenons notre état.