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Derrière, il y a un coupé Alfa.

Ils roulent pas vite non plus. Je colle la clé de contact et je démarre. La Rover accélère pour me couper la route devant, l’Alfa pique à gauche, derrière, pour verrouiller. Je prends pas le temps de mettre la ceinture, j’enclenche la marche arrière, plein pot, et je braque tout. La voiture part, on glisse.

Ils ont pas laissé une grosse fenêtre, mais ils l’ont laissée quand même, alors j’attaque à fond. Et je sors en soulevant un nuage de poussière et de gomme brûlée haut d’un étage.

12

Je mouline ; le type de l’Alfa s’emmêle plus ou moins les crayons ; il s’attendait pas à ce que je dégage à contre-pied ; on est sur la nationale, par un beau matin d’été, plein de soleil encore doré et de touristes belges. Avec ma Ford de location contre une Rover et une Alfa, sur le papier c’est sûr que je vais pas faire des miracles, tout juste si j’arrive à les décramponner, et encore…

Je voudrais pas dire, mais le pilote de la Rover, avec sa veste prune, il me rappelle une petite gueule de Rital famélique, seulement les arcans de cet acabit ils ont tous partout la même tronche de crevards ; à croire qu’ils vont attaquer tout de suite l’Empire State Building à coups de dents.

N’empêche, j’aime pas.

Comme pilotes, ils sont pas farouches. Professionnellement, je dirai qu’ils manquent de cohésion ; ils trafiquent dans leur radio. La Rover remonte canon sur la file de gauche et l’Alfa refait le chemin perdu sur celle de droite, mais ça flotte nettement. À leur place, c’est l’Alfa que je mettrais en flèche ; ses occupants ont de quoi stopper leur gibier sans trop de barouf, ils ont tous les deux une carte de flic en bonne et due forme et pas moins d’une dizaine de raisons de me causer entre six yeux.

C’est pourtant la Rover qui attaque à gauche, en refusé. Pas fortiche. J’accélère à mort, on se course plein pot sur trente mètres mais ils n’ont aucun mal à me passer. Alors d’un coup, sans prévenir, je freine super-sec en maintenant la voiture dans l’axe. Les deux autres freinent aussi, mais avec un temps de retard ; elles referment la nasse. Le reste, ça dure une seconde et demie. Je refreine en balançant la voiture en travers, en tête-à-queue et tant pis pour la casse, mais je l’ai déjà fait des centaines de fois à l’entraînement chez Tony. Le cul part, l’avant de la Ford sinue, les pneus gueulent à déjanter, toute la carcasse tremble et proteste. On est sur les chevaux de bois. Je tâte l’adhérence, c’est pas farouche. Une Renault 5 déboule du fond de l’horizon. Elle est dans le bon sens, mais plus nous. Elle pique à droite comme un avion touché par la D.C.A. Une autre voiture qui nous évite de justesse ; on entend un bang sourd, derrière, matelassé. Je passe la première et j’accélère ; les roues cirent, mais c’est reparti.

Deux gros cubes roulent tranquillement quand je débouche devant eux, venant de leur gauche en oblique. C’est pas évident qu’ils me votent des félicitations, mais on passe.

Derrière, sur l’autre voie, c’est un peu le bordel. Il y a au moins quatre bagnoles qui ont tapé et le ciel m’est témoin que je le voulais pas, que c’est un accident, monsieur le procureur.

Dans tout ça, j’ai un peu oublié la gosse. Je me tourne vers elle ; je crois que je lui souris, mais elle est trop occupée à se masser le front, à droite. Elle me dit :

— La prochaine fois, préviens…

— J’essaierai.

— Tu connais les mecs de l’Alfa Romeo ?

— À peine…

— C’est des flics du Central.

— Les copains à Tonton ?…

Elle fait oui de la tête. À mon époque, je dis pas qu’on faisait pas des conneries, la preuve, mais au moins on jouait les deux mi-temps dans le même camp ou alors j’idéalise. Quand les charlots nous ont pris au pif je suis sorti du parking vers la ville, maintenant on est repartis en lui tournant le dos. Dans vingt bornes il va falloir se décider, les routes du Sud ou repartir au charbon, mais je ne dis rien ; c’est comme quand la boule se promène le long du cylindre en prenant les extérieurs.

Personne derrière, pour le moment.

— On va chercher Verlaine, décide la gosse.

Je continue à rouler plein sud.

Dans le feu de l’action, à partir du moment où j’ai vu arriver les deux bagnoles, j’ai mis la gamberge en roue libre mais maintenant c’est reparti et il y a deux choses qui me plaisent pas. Que des petits poulets bouffent au râtelier à Tonton, avec ce qu’ils gagnent c’est un peu fatal. Qu’ils embarquent un lascar déjà sous la ligne de flottaison pour discuter coolos, même si c’est pour l’interdire de séjour dans le coin, ni plus ni moins, je dirai pas que c’est propre mais ça se fait. Collaborer avec des arcans, au vu et au su de tout le monde, c’est quand même autre chose…

Sauf si les arcans, c’est pas tellement des arcans. D’un autre côté, je me rappelle la Rover, en bas de l’immeuble, ce qui m’avait frappé mais que j’ai pas analysé : j’ai bien fait gaffe aux types, dedans, mais j’ai pas tellement percuté l’espèce de porte-skis en travers du pavillon, au niveau du montant de portière. En général, pour des skis ou des vélos, il en faut deux.

Il y en avait un. Un seul…

Un cadre gonio.

Ils avaient pas besoin de filocher à vue ; je suis sûr que si je cherche bien je trouverai un disque magnétique, sous le châssis, derrière un pare-chocs, n’importe où, pas beaucoup plus gros qu’une pièce de cinquante balles, un de ces bidules comme les affectionnent les douanes, un émetteur qui balance un bip régulier dans un rayon d’une borne…

Le moment où ils l’ont mis ? Quand je tapais la perquise chez Pierrot, ou devant l’Astragale, il faut pas longtemps, quelques secondes… Mais à ce compte-là, pourquoi ils ont descendu Tokyo, s’ils savaient où me reprendre ? Deux possibilités : ou bien il y a deux équipes qui travaillent sur le coup en parallèle et l’information ne passe pas entre les deux, ou bien ils nous ont paumés quand on a rentré la voiture dans le garage souterrain. Aucune des deux possibilités ne me plaît sérieusement.

Le plus simple, s’ils avaient un bip, c’était de laisser du mou, de s’évanouir dans la nature et de nous coxer quand on aurait été chez Verlaine. Je me tourne vers la gosse :

— Il savait, pour Verlaine, Tonton ?

— Je crois pas.

— Pourquoi il t’avait embarquée chez lui, alors ?

— Pourquoi, à ton avis ?

— Jamais parlé de Verlaine ?

— Jamais avec lui. Il avait déjà essayé, un coup : il voulait me filer une voiture, un appartement, il voulait en installer, pouvoir dire que j’étais sa femme… (Elle rit durement.) Je dis pas que j’étais pas sa femme, mais c’était pas mon homme.

— Les types de la Rover, l’autre bagnole, tu les avais déjà vus, chez Tonton ?

Elle réfléchit. Elle ne se masse plus le front, elle se pétrit doucement le coude droit, comme si elle n’était plus très sûre de pouvoir s’en resservir un jour.

— J’étais pas souvent chez Tonton. Depuis hier, ils sont pas venus, en tout cas.

— À l’Astragale ?

— Jamais.

— Et avant, chez Pierrot ?

— Jamais.

— Pourtant, ils sont en cheville avec les flics. Et les flics marchent la main dans la main avec Tonton.

Plus ça va, moins j’aime mon idée. Je roule encore un peu pour réfléchir à fond, mais à part que j’aime pas, je trouve rien, alors je fais demi-tour, je prends la départementale et je contourne la ville pour arriver par la route de Paris. Je commence par récupérer le sac que j’avais laissé à la consigne automatique de la gare ; j’ai toujours mon idée, elle est grosse et molle, mais je sais pas par où la prendre, par quel bout commencer.