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– Comme c’est laid!

Christophe, la voix pleine de larmes, s’écria:

– Mais enfin, pourquoi est-ce que tu dis que c’est laid?

Gottfried le regarda avec ses yeux honnêtes:

– Pourquoi?… Je ne sais pas… Attends… C’est laid… d’abord parce que c’est bête… Oui, c’est cela… C’est bête, cela ne veut rien dire… Voilà. Quand tu as écrit cela, tu n’avais rien à dire. Pourquoi as-tu écrit cela?

– Je ne sais pas, dit Christophe d’une voix lamentable. Je voulais écrire un joli morceau.

– Voilà! Tu as écrit pour écrire. Tu as écrit pour être un grand musicien, pour qu’on t’admirât. Tu as été orgueilleux, tu as menti: tu as été puni… Voilà! On est toujours puni, lorsqu’on est orgueilleux et qu’on ment, en musique. La musique veut être modeste et sincère. Autrement, qu’est-ce qu’elle est? Une impiété, un blasphème contre le Seigneur, qui nous a fait présent du beau chant pour dire des choses vraies et honnêtes.

Il s’aperçut du chagrin du petit et voulut l’embrasser. Mais Christophe se détourna avec colère; et plusieurs jours, il le bouda. Il haïssait Gottfried. – Mais il avait beau se répéter: «C’est un âne! Il ne sait rien, rien! Grand-père, qui est bien plus intelligent, trouve que ma musique est très bien»; – au fond de lui-même, il savait que c’était son oncle qui avait raison; et les paroles de Gottfried se gravaient en lui: il avait honte d’avoir menti.

Aussi, malgré sa rancune tenace, pensait-il toujours à l’oncle maintenant, quand il écrivait de la musique; et souvent il déchirait ce qu’il avait écrit, par honte de ce que Gottfried en aurait pu penser. Quand il passait outre et écrivait un air, qu’il savait ne pas être tout à fait sincère, il le lui cachait soigneusement; il tremblait devant son jugement; et il était tout heureux, quand Gottfried disait simplement d’un de ses morceaux: «Ce n’est pas trop laid… J’aime…»

Parfois aussi, pour se venger, sournoisement il lui jouait le tour de lui présenter, comme siens, des airs de grands artistes; et il était dans la jubilation, quand Gottfried, par hasard, les trouvait détestables. Mais Gotttried ne se troublait pas. Il riait de bon cœur, en voyant Christophe battre des mains et gambader de joie autour de lui; et il revenait toujours à son argument ordinaire: «C’est peut-être bien écrit, mais cela ne dit rien.» – Jamais il ne voulut assister à un des petits concerts qu’on donnait à la maison. Si beau que fût le morceau, il commençait à bâiller et prenait un air hébété d’ennui. Bientôt il n’y tenait plus, et s’esquivait sans bruit. Il disait:

– Vois-tu, petit: tout ce que tu écris dans la maison, ce n’est pas de la musique. La musique dans la maison, c’est le soleil en chambre. La musique est dehors, quand tu respires le cher petit air du bon Dieu.

Il parlait toujours du bon Dieu: car il était très pieux, à la différence des deux Krafft, père et fils, qui faisaient les esprits forts, tout en se gardant bien de manger gras le vendredi.

*

Soudain, sans que l’on sût pourquoi, Melchior changea d’avis. Non seulement il approuva que grand-père eût recueilli les inspirations de Christophe; mais, à la grande surprise de ce dernier, il passa plusieurs soirs à faire de son manuscrit deux ou trois copies. À toutes les questions qu’on lui adressait à ce sujet, il répondait d’un air important qu’ «on verrait…»; ou bien il se frottait les mains en riant, frictionnait à tour de bras la tête du petit, par manière de plaisanterie, ou lui administrait joyeusement des claques sur les fesses. Christophe détestait ces familiarités; mais il voyait que son père était content, et il ne savait pourquoi.

Il y eut entre Melchior et le grand-père des conciliabules mystérieux. Et, un soir, Christophe, très étonné, apprit qu’il avait, lui, Christophe, dédié à S. A. S. le grand-duc Léopold les Plaisirs du Jeune Age. Melchior avait fait pressentir les intentions du prince, qui s’était montré gracieusement disposé à accepter l’hommage. Là-dessus, Melchior triomphant déclara qu’il fallait, sans perdre un moment: primo, rédiger la demande officielle au prince; – secundo, publier l’œuvre; – tertio, organiser un concert afin de la faire entendre.

Melchior et Jean-Michel eurent encore de longues conférences. Pendant deux ou trois soirs, ils discutèrent avec animation. Il était défendu de venir les troubler. Melchior écrivait. Le vieux parlait tout haut, comme s’il disait des vers. Parfois ils se fâchaient, ou tapaient sur la table, parce qu’ils ne trouvaient pas un mot.

Puis, on appela Christophe, on l’installa devant la table, une plume entre les doigts, flanqué de son père à droite, à gauche de son grand-père; et ce dernier commença à lui faire une dictée, à laquelle il ne comprit rien, parce qu’il avait une peine considérable à écrire chaque mot, parce que Melchior lui criait dans l’oreille, et parce que le vieux déclamait d’un ton si emphatique que Christophe, troublé par le son des paroles, ne pensait même plus à en écouter le sens. Le vieux n’était pas moins ému. Il n’avait pu rester assis; il se promenait à travers la chambre, en mimant les expressions de son texte; mais à tout instant, il venait regarder sur la page du petit; et Christophe, intimidé par les deux grosses têtes penchées sur son dos, tirait la langue, ne pouvait plus tenir sa plume, avait les yeux troubles, faisait des jambages de trop, ou brouillait tout ce qu’il avait écrit: – et Melchior hurlait; et Jean-Michel tempêtait; – et il fallait recommencer, et encore recommencer; et, quand on se croyait enfin arrivé au bout, sur la page irréprochable tombait un superbe pâté: – alors on lui tirait les oreilles, et il fondait en larmes; mais on lui défendait de pleurer, parce qu’il tachait le papier; – et on reprenait la dictée, depuis la première ligne; et il croyait que cela durerait ainsi jusqu’à la fin de sa vie.

Enfin, on en vint à bout; et Jean-Michel, adossé à la cheminée, relut l’œuvre, d’une voix qui tremblait de plaisir, tandis que Melchior, renversé sur sa chaise, regardait le plafond, et, hochant le menton, dégustait en fin connaisseur le style de l’épître qui suit:

«Hautement Digne, Très Sublime Altesse!

«Depuis ma quatrième année, la Musique commença d’être la première de mes occupations juvéniles. Aussitôt que j’eus lié commerce avec la noble Muse, qui incitait mon âme à de pures harmonies, je l’aimai; et, à ce qu’il me sembla, elle me paya de retour. Maintenant, j’ai atteint le sixième de mes ans; et, depuis quelque temps, ma Muse, souventefois, dans les heures d’inspiration, me chuchotait à l’oreille: «Ose! Ose! Écris les harmonies de ton âme!» – «Six années! pensais-je; et comment oserais-je? Que diraient de moi les hommes savants dans l’art?» J’hésitais. Je tremblais. Mais ma Muse le voulut… J’obéis. J’écrivis.

«Et maintenant, aurai-je,

Ô Très Sublime Altesse!

aurai-je la téméraire audace de déposer sur les degrés de Ton Trône les prémices de mes jeunes travaux?… Aurai-je la hardiesse d’espérer que Tu laisseras tomber sur eux l’auguste approbation de Ton regard paternel?…

«Oh! oui! car les Sciences et les Arts ont toujours trouvé en Toi leur sage Mécène, leur champion magnanime; et le talent fleurit sous l’égide de Ta sainte protection.

«Plein de cette foi profonde et assurée, j’ose donc m’approcher de Toi avec ces essais puérils. Reçois-les comme une pure offrande de ma vénération, et daigne, avec bonté,