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Son départ était fixé au surlendemain. Un de leurs tristes tête-à-tête venait de finir. Au sortir du souper, où ils ne s’étaient pas dit un mot, Christophe, s’était retiré dans sa chambre; et, assis devant sa table, la tête dans ses mains, incapable d’aucun travail, il se rongeait l’esprit. La nuit s’avançait; il était près d’une heure du matin.

Tout à coup, il entendit du bruit, une chaise renversée, dans la chambre voisine. La porte s’ouvrit, et sa mère, en chemise, pieds nus, se jeta à son cou, en sanglotant. Elle brûlait de fièvre, elle embrassait son fils, et elle gémissait, au milieu de ses hoquets de désespoir:

– Ne pars pas! ne pars pas! Je t’en supplie! Je t’en supplie! Mon petit, ne pars pas!… J’en mourrai… Je ne peux pas, je ne peux pas le supporter!…

Bouleversé et effrayé, il l’embrassait, répétant:

– Chère maman, calme-toi, calme-toi, je t’en prie!

Mais elle continuait:

– Je ne peux pas le supporter… Je n’ai plus que toi. Si tu pars, qu’est-ce que je deviendrai? Je mourrai si tu pars. Je ne veux pas mourir loin de toi. Je ne veux pas mourir seule. Attends que je sois morte!…

Ses paroles lui déchiraient le cœur. Il ne savait que dire pour la consoler. Quelles raisons pouvaient tenir contre ce déchaînement d’amour et de douleur! Il la prit sur ses genoux, et tâcha de la calmer, avec des baisers et des mots affectueux. La vieille femme se taisait peu à peu, et pleurait doucement. Quand elle fut un peu apaisée, il lui dit:

– Recouche-toi: tu vas prendre froid.

Elle répéta:

– Ne pars pas!

Il dit, tout bas:

– Je ne partirai pas.

Elle tressaillit, et lui saisit la main:

– C’est vrai? dit-elle. C’est vrai?

Il détourna la tête, avec découragement:

– Demain, dit-il, demain, je te dirai… Laisse-moi, je t’en supplie!…

Elle se leva docilement, et regagna sa chambre.

Le lendemain matin, elle avait honte de cette crise de désespoir qui s’était emparée d’elle, comme une folie, au milieu de la nuit; et elle tremblait de ce que son fils allait lui dire. Elle l’attendait, assise, dans un coin de sa chambre; elle avait pris un tricot pour s’occuper; mais ses mains se refusaient à le tenir: elle le laissa tomber. Christophe entra. Ils se dirent bonjour à mi-voix, sans se regarder en face. Il était sombre, il alla se poster devant la fenêtre, le dos tourné à sa mère, et il resta sans parler. Un combat se livrait en lui; il en savait trop le résultat d’avance, et il cherchait à le retarder. Louisa n’osait lui adresser la parole et provoquer la réponse qu’elle attendait et redoutait. Elle se força à reprendre le tricot; mais elle ne voyait pas ce qu’elle faisait, et ses mailles allaient de travers. Dehors, il pleuvait. Après un long silence, Christophe vint près d’elle. Elle ne fit pas un mouvement; mais son cœur battait. Christophe la regardait, immobile; puis, brusquement, il se jeta à genoux, cacha sa figure dans la robe de sa mère; et, sans dire un mot, il pleura. Alors, elle comprit qu’il restait; et son cœur s’allégea d’une angoisse mortelle; – mais aussitôt, le remords y entra: car elle sentit tout ce que son fils lui sacrifiait; et elle commença de souffrir tout ce que Christophe avait souffert, quand c’était elle qu’il sacrifiait. Elle se pencha sur lui et couvrit de baisers son front et ses cheveux. Ils mêlèrent en silence leurs larmes et leur peine. Enfin, il releva la tête; et Louisa, lui prenant la figure dans ses mains, le regardait, les yeux dans les yeux. Elle eût voulu lui dire:

– Pars!

Et elle ne le pouvait pas.

Il eût voulu lui dire:

– Je suis heureux de rester.

Et il ne le pouvait pas.

La situation était inextricable: ni l’un ni l’autre n’y pouvait rien changer. Elle soupira, dans son douloureux amour:

– Ah! si l’on pouvait être nés tous ensemble, pour mourir tous ensemble!

Ce vœu naïf le pénétra de tendresse; il essuya ses larmes, et, s’efforçant de sourire, il dit:

– On mourra tous ensemble.

Elle insistait:

– Bien sûr? Tu ne pars pas?

Il se releva:

– C’est dit. N’en parlons plus. Il n’y a plus à y revenir.

Christophe tint parole: il ne parla plus de départ; mais il ne dépendait pas de lui qu’il n’y pensât plus. Il resta, mais il fit chèrement payer son sacrifice à sa mère, par sa tristesse et sa mauvaise humeur. Et Louisa, maladroite, – d’autant plus maladroite qu’elle savait qu’elle l’était et faisait immanquablement ce qu’il ne fallait pas faire, – Louisa, qui ne connaissait que trop la cause de son chagrin, insistait pour qu’il la dît. Elle le harcelait de sa chère affection, inquiète, vexante, raisonneuse, qui lui rappelait, à tout instant, qu’ils étaient différents l’un de l’autre, – ce qu’il tâchait d’oublier. Combien de fois avait-il voulu s’ouvrir à elle avec confiance! Mais, au moment de parler, la muraille de Chine se relevait entre eux; et il renfonçait ses secrets. Elle le devinait; mais elle n’osait pas provoquer ses confidences, ou elle ne savait pas le faire. Quand elle essayait, elle ne réussissait qu’à refouler encore plus profondément ces secrets qui lui pesaient tant et qu’il brûlait de dire.

Mille petites choses, d’innocentes manies, la séparaient aussi de Christophe, qu’elles irritaient. La bonne vieille radotait un peu. Elle avait un besoin de répéter les commérages du voisinage, ou cette tendresse de nourrice, qui s’obstine à rappeler les niaiseries des premières années, tout ce qui vous rattache au berceau. On a eu tant de peine à en sortir, à devenir un homme! Et il faut que la nourrice de Juliette vienne vous étaler les langes sales, les médiocres pensées, toute cette époque néfaste, où une âme naissante se débat contre l’oppression de la vile matière du milieu étouffant!

Au milieu de tout cela, elle avait des élans de tendresse touchante, – comme avec un petit enfant, – qui lui prenaient le cœur; et il s’y abandonnait, – comme un petit enfant.

Le pire était de vivre, du matin au soir, comme ils faisaient, ensemble, toujours ensemble, isolés du reste des gens. Lorsqu’on souffre, étant deux, et qu’on ne peut remédier à la souffrance l’un de l’autre, il est fatal qu’on l’exaspère: chacun finit par rendre l’autre responsable de ce qu’il souffre; et chacun finit par le croire. Mieux vaudrait être seuclass="underline" on est seul à souffrir.