– La nature! qu’est-ce que c’est que ça? Connais pas! Lumière, couleur, à la bonne heure! La nature, je m’en fous…
Christophe leur serra la main et les laissa partir. Tout cela ne l’affectait plus. Ils étaient de l’autre côté du ravin. C’était bien. Il ne dirait à personne:
– Pour venir jusqu’à moi, prenez le même chemin.
Le feu créateur qui l’avait brûlé pendant des mois était tombé. Mais Christophe en gardait dans son cœur la chaleur bienfaisante. Il savait que le feu renaîtrait; si ce n’était en lui, ce serait dans un autre. Où que ce fût, il l’aimerait autant: ce serait toujours le même feu. En cette fin de journée de septembre, il le sentait répandu dans la nature tout entière.
Il remonta vers sa maison. Un orage avait passé. C’était maintenant le soleil. Les prairies fumaient. Des pommiers, les fruits mûrs tombaient dans l’herbe humide. Tendues aux branches des sapins, des toiles d’araignées, brillantes encore de pluie, étaient pareilles aux roues archaïques de chariots mycéniens. À l’orée de la forêt mouillée, le pivert secouait son rire saccadé. Et des myriades de petites guêpes qui dansaient dans les rayons de soleil, remplissaient la voûte des bois, de leur pédale d’orgue continue et profonde.
Christophe se trouva dans une clairière, au creux d’un plissement de la montagne, un vallon fermé, d’un ovale régulier, que le soleil couchant inondait de sa lumière: terre rouge; au milieu, un petit champ doré, blés tardifs, et joncs couleur de rouille. Tout autour, une ceinture de bois, que l’automne mûrissait: hêtres de cuivre rouge, châtaigniers, blonds sorbiers aux grappes de corail, flammes des cerisiers aux petites langues de feu, broussailles de myrtils aux feuilles orange, cédrat, brun amadou brûlé. Tel un buisson ardent. Et du centre de cette coupe enflammée, une alouette, ivre de grain et de soleil, montait.
Et l’âme de Christophe était comme l’alouette. Elle savait qu’elle retomberait tout à l’heure, et bien des fois encore. Mais elle savait aussi qu’infatigablement elle remonterait dans le feu, chantant son tireli, qui parle à ceux qui sont en bas de la lumière des cieux.
(1911)
[1] Allusion à un discours ridicule d’un rhéteur de la Chambre.
[2] Divinité champêtre représentée avec un torse humain, des oreilles pointues, des pieds et des cornes de chèvre. (Note du correcteur – ELG.)
[3]Avertissements qui s’inscrivirent sur le mur du palais de Balthazar à Babylone. Ces avertissements furent traduits par le prophète Danieclass="underline" «Dieu a compté tes jours», «Tu as été jugé trop léger dans la balance de l'Histoire», «Ton royaume est voué à l'éclatement». (Note du correcteur – ELG.)
[4] Dans Télémaque, Salente est la cité idéale. (Note du correcteur – ELG.)
[5] Créature monstrueuse aux cent bras, engendrée par Gaia (la Terre) et Ouranos (le Ciel), elle viendra, sur l'ordre de Thétis, au secours de Zeus lorsque les autres dieux se rebelleront. Ce dernier lui offrira la main de Cymopolé. (Note du correcteur – ELG.)
[6] Sic. (Note du correcteur – ELG.)
[7] Conte relativement court en octosyllabes et souvent marqué par le merveilleux. – Forme poétique et musicale de longueur variable, en strophes plus ou moins complexes, en usage surtout aux XIVe et XVe siècles. (Note du correcteur – ELG.)