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En attendant qu’il en e?t trouv? un qui lui livr?t le mot de l’?nigme,… il n’avait pas le temps d’attendre! Il n’?tait pas homme ? se contenter, comme son p?re, de rechercher, toute sa vie, la v?rit?. Sa jeune force impatiente voulait se d?penser. Avec ou sans motif, il voulait se d?cider. Agir, employer, user son ?nergie. Les voyages, les jouissances de l’art, la musique surtout dont il s’?tait gorg?, lui avaient ?t? d’abord une diversion intermittente et passionn?e. Joli gar?on, pr?coce, livr? aux tentations, il d?couvrit de bonne heure le monde de l’amour aux dehors enchant?s, et il s’y jeta, avec un emportement de joie po?tique et gourmande. Puis, ce Ch?rubin, na?f et insatiable avec impertinence, se d?go?ta des femmes: il lui fallait l’action. Alors, il se livra aux sports, avec fureur. Il essaya de tous, il les pratiqua tous. Il fut assidu aux tournois d’escrime, aux matches de boxe; il fut champion fran?ais pour la course et le saut en hauteur, chef d’une ?quipe de foot-ball. Avec quelques jeunes fous de sa sorte, riches et casse-cou, il rivalisa de t?m?rit? dans des courses en auto, absurdes et forcen?es, de vraies courses ? la mort. Enfin, il d?laissa tout pour le hochet nouveau. Il partagea le d?lire des foules pour les machines volantes. Aux f?tes d’aviation qui se tinrent ? Reims, il hurla, il pleura de joie, avec trois cent mille hommes; il se sentait uni avec un peuple entier, dans une jubilation de foi; les oiseaux humains, qui passaient au-dessus d’eux, les emportaient dans leur essor; pour la premi?re fois depuis l’aurore de la grande R?volution, ces multitudes entass?es levaient les yeux au ciel et le voyaient s’ouvrir… – ? l’effroi de sa m?re, le jeune Jeannin d?clara qu’il voulait se m?ler ? la troupe des conqu?rants de l’air. Jacqueline le supplia de renoncer ? cette ambition p?rilleuse. Elle le lui ordonna. Il n’en fit qu’? sa t?te. Christophe, en qui Jacqueline avait cru trouver un alli?, se contenta de donner au jeune homme quelques conseils de prudence, qu’au reste il ?tait s?r que Georges ne suivrait point: (car il ne les e?t pas suivis, ? sa place). Il ne se croyait pas permis – m?me s’il l’avait pu – d’entraver le jeu sain et normal de jeunes forces qui, contraintes ? l’inaction, se fussent tourn?es vers leur propre destruction.

Jacqueline ne parvenait pas ? prendre son parti de voir son fils lui ?chapper. En vain elle avait cru sinc?rement renoncer ? l’amour, elle ne pouvait se passer de l’illusion de l’amour; toutes ses affections, tous ses actes en ?taient color?s. Combien de m?res reportent sur leur fils l’ardeur secr?te qu’elles n’ont pu d?penser dans le mariage – et hors du mariage! Et lorsqu’elles voient ensuite avec quelle facilit? ce fils se passe d’elles, lorsqu’elles comprennent brusquement qu’elles ne lui sont plus n?cessaires, elles passent par une crise du m?me ordre que celle o? les a jet?es la trahison de l’amant, la d?sillusion de l’amour. – Ce fut pour Jacqueline un nouvel ?croulement. Georges n’en remarqua rien. Les jeunes gens ne se doutent pas des trag?dies du c?ur qui se d?roulent autour d’eux: ils n’ont pas le temps de s’arr?ter pour voir: un instinct d’?go?sme les avertit de passer tout droit, sans tourner la t?te.

Jacqueline d?vora seule cette nouvelle douleur. Elle n’en sortit que quand la douleur se fut us?e. Us?e avec son amour. Elle aimait toujours son fils, mais d’une affection lointaine, d?sabus?e, qui se savait inutile et se d?sint?ressait d’elle-m?me et de lui. Elle tra?na ainsi une morne et mis?rable ann?e, sans qu’il y pr?t garde. Et puis, ce malheureux c?ur, qui ne pouvait ni mourir ni vivre sans amour, il fallut qu’il invent?t un objet ? aimer. Elle tomba au pouvoir d’une ?trange passion, qui visite fr?quemment les ?mes f?minines, et surtout, dirait-on, les plus nobles, les plus inaccessibles, quand vient la maturit? et que le beau fruit de la vie n’a pas ?t? cueilli. Elle fit la connaissance d’une femme, qui, d?s leur premi?re rencontre, la soumit ? son pouvoir myst?rieux d’attraction.

C’?tait une religieuse, ? peu pr?s de son ?ge. Elle s’occupait d’?uvres de charit?. Une femme grande, forte, un peu corpulente; brune, de beaux traits accus?s, les yeux vifs, une bouche large et fine qui souriait toujours, le menton imp?rieux. D’intelligence remarquable, nullement sentimentale; une malice paysanne, un sens pr?cis des affaires, alli? ? une imagination m?ridionale qui aimait ? voir grand, mais savait en m?me temps voir ? l’?chelle exacte, quand c’?tait n?cessaire; un m?lange savoureux de haut mysticisme et de rouerie de vieux notaire. Elle avait l’habitude de la domination et l’exer?ait naturellement. Jacqueline fut aussit?t prise. Elle se passionna pour l’?uvre. Elle le croyait, du moins. S?ur Ang?le savait ? qui la passion s’adressait; elle ?tait accoutum?e ? en provoquer de semblables; sans para?tre les remarquer, elle savait froidement les utiliser au service de l’?uvre et ? la gloire de Dieu. Jacqueline donna son argent, sa volont?, son c?ur. Elle fut charitable, elle crut, par amour.

On ne tarda pas ? remarquer la fascination qu’elle subissait. Elle ?tait la seule ? ne pas s’en rendre compte. Le tuteur de Georges s’inqui?ta. Georges, trop g?n?reux et trop ?tourdi pour se soucier des questions d’argent, s’aper?ut lui-m?me de l’emprise exerc?e sur sa m?re; et il en fut choqu?. Il essaya, trop tard, de reprendre avec elle son intimit? pass?e; il vit qu’un rideau s’?tait tendu entre eux; il en accusa l’influence occulte, et il con?ut contre celle qu’il nommait une intrigante, non moins que contre Jacqueline, une irritation qu’il ne d?guisa point; il n’admettait pas qu’une ?trang?re e?t pris sa place dans un c?ur qu’il avait cru son bien naturel. Il ne se disait pas que si la place ?tait prise, c’est qu’il l’avait laiss?e. Au lieu de tenter de la reconqu?rir, il fut maladroit et blessant. Entre la m?re et le fils, tous deux impatients, passionn?s, il y eut ?change de paroles vives; la scission s’accentua. S?ur Ang?le acheva d’?tablir son pouvoir sur Jacqueline; et Georges s’?loigna, la bride sur le cou. Il se jeta dans une vie active et dissip?e. Il joua, il perdit des sommes consid?rables; il mettait une forfanterie dans ses extravagances, ? la fois par plaisir et afin de r?pondre aux extravagances de sa m?re. – Il connaissait les Stevens-Delestrade. Colette n’avait pas manqu? de remarquer le joli gar?on et d’essayer sur lui l’effet de ses charmes, qui ne d?sarmaient point. Elle ?tait au courant des ?quip?es de Georges; elle s’en amusait. Mais le fonds de bon sens et de bont? r?elle, cach? sous sa frivolit?, lui fit voir le danger que courait le jeune fou. Et comme elle savait bien que ce n’?tait pas elle qui serait capable de l’en pr?server, elle avertit Christophe, qui revint aussit?t.

*

Christophe ?tait le seul qui e?t quelque influence sur le jeune Jeannin. Influence limit?e et bien intermittente, mais d’autant plus remarquable qu’on avait peine ? l’expliquer. Christophe appartenait ? cette g?n?ration de la veille, contre laquelle Georges et ses compagnons r?agissaient avec violence. Il ?tait un des plus hauts repr?sentants de cette ?poque tourment?e, dont l’art et la pens?e leur inspiraient une hostilit? soup?onneuse. Il restait inaccessible aux ?vangiles nouveaux et aux amulettes des petits proph?tes et des vieux griots, qui offraient aux bons jeunes gens la recette infaillible pour sauver le monde, Rome et la France. Il demeurait fid?le ? une libre foi, libre de toutes les religions, libre de tous les partis, libre de toutes les patries, – qui n’?tait plus de mode, – ou ne l’?tait pas redevenue. Enfin, si d?gag? qu’il f?t des questions nationales, il ?tait un ?tranger ? Paris, dans un temps o? tous les ?trangers semblaient, aux naturels de tous les pays, des barbares.