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— Revenez, demoiselle, revenez pour l’amour de Dieu !…

Elle se releva mais ne remonta pas la pente. Le feu – car il ne pouvait plus s’agir que d’un feu allumé sur le sol – l’attirait irrésistiblement. A son tour, elle cria.

— Monsieur ! Hé, monsieur… Venez à notre aide !

Il n’y eut pas de réponse mais un bruit de branches froissées et soudain, Hortense vit briller devant elle deux yeux qui luisaient comme charbons ardents. Elle distingua deux oreilles droites… Un grand loup roux se tenait à quelques pas d’elle, immobile…

La terreur lui étrangla la gorge, refusant tout passage à la voix. Elle se laissa tomber à terre, les jambes fauchées, tellement affolée que même en face de ce qu’elle croyait sa mort, elle ne retrouvait plus la moindre bribe de prière. La bête s’était arrêtée à quelques pas. Dans une seconde elle allait bondir, s’abattre sur elle…

Mais non. Au lieu de l’attaquer le loup s’asseyait comme s’il avait tout son temps et se léchait les babines… Cette attitude paisible ne rassura pas Hortense mais lui rendit l’usage de la voix. Elle poussa un véritable hurlement que lui renvoyèrent les échos du ravin. Habitué peut-être à ce genre de réaction chez ceux qu’il rencontrait, le loup ne bougea pas davantage…

Hortense alors entendit :

— Ne criez pas ! Vous allez énerver Luern ! Suivez-le, il vous conduira jusqu’ici !

C’était la voix, vigoureuse, d’un homme et elle venait du feu. A peine se fut-elle fait entendre d’ailleurs que le loup se levait, tournait les talons mais, avant de redescendre, se retournait pour voir si Hortense suivait… Celle-ci se releva. Elle avait moins peur mais elle était encore trop secouée pour ne pas obéir, instinctivement, à celui qui l’appelait.

Chancelante, se retenant aux arbres, elle suivit l’animal qui soudain obliqua vers la droite. En effet, si la jeune fille avait continué de descendre tout droit, elle aurait immanquablement abouti à une chute de plusieurs mètres. Un rocher plat qui n’offrait aucun obstacle à ras du sol se coupait net, formant une sorte de falaise au bas de laquelle le bois se continuait vers la clairière où le feu était allumé. En dépit du fait que ses yeux s’étaient habitués à l’obscurité, elle ne l’aurait sans doute pas vu…

Quelques instants plus tard, elle atteignait, à la suite de son étrange compagnon, la clairière où l’attendait un spectacle encore plus étonnant. Un homme était là, en effet, assis sur un rocher comme sur un trône, présidant la cour la plus incroyable qui se puisse voir : une bande de loups qui la regardaient, couchés en large demi-cercle autour du feu.

— Approchez, dit l’homme. Ils ne vous feront rien. Ils ont mangé, ajouta-t-il avec un petit rire que la jeune fille jugea déplaisant.

Et, comme elle ne pouvait se résoudre à s’avancer, il se leva et vint à elle, la main tendue. Une main à la peau brunie mais fine et forte à la fois. Une main parfaitement inattendue dans ce lieu sauvage, avec de longs doigts nerveux aux ongles nets et qui ne correspondait pas du tout au reste du personnage.

Le maître des loups était un homme très grand, maigre mais certainement très vigoureux. De son visage brun, barbu et moustachu, couvert d’une forêt de cheveux noirs et drus qu’il portait assez longs, on ne voyait guère que le grand nez arrogant et surtout les yeux. Des yeux étonnants, d’un bleu pâle d’eau transparente mais, pour l’instant, aussi froids qu’une lame d’acier. Son costume grossier était celui d’un berger : culotte et veste en gros drap bleu, guêtres de fort coutil et pelisse en peau de mouton. Seule différence avec les paysans, il portait de grosses chaussures à clous, semblables à celles que portent les soldats. Un grand chapeau de feutre noir attendait sur le rocher où l’homme était assis précédemment.

Il n’avait pas lâché la main d’Hortense et la considérait avec curiosité.

— Vous avez l’air d’une vraie demoiselle. Que faites-vous dans les bois à pareille heure et par un tel temps ?

— Je me rends au château de Lauzargues. Malheureusement nous avons eu un accident : une roue cassée…

— Nous ?

— Moi et Jérôme, le cocher du marquis. Il est resté là-haut avec les chevaux.

— Vous croyez ?

— Naturellement ! Il n’a pas voulu me suivre dans ce bois. Il prétendait que ce feu était… celui du Diable !

Du geste, l’homme montra le cercle attentif des loups.

— S’il vous avait suivie, il en aurait été persuadé mais grâce à Dieu, sa lâcheté l’en a préservé. Mais, au fait, qu’allez-vous faire à Lauzargues ?…

— Y vivre. Du moins, je le crois.

— Cela n’a pas l’air de vous remplir de joie. Si c’est pour épouser le marquis, je vous comprends !

L’insolence du ton mécontenta Hortense plus encore que le côté saugrenu de l’idée.

— Je ne vais pas épouser le marquis, je suis sa nièce. J’ajoute que vous me semblez posséder une dose d’audace assez rare ainsi qu’une forte propension à vous mêler de ce qui ne vous regarde pas !

— Moi seul suis juge de ce qui me regarde ou non. Quant à vous, il serait temps de vous rappeler que vous êtes entièrement entre mes mains…

Un sec claquement de doigts et les loups, quittant leur position couchée, se redressaient tous ensemble. Assis sur leur train arrière, ils dardèrent sur la jeune fille dix paires d’yeux flamboyants. Il n’était pas difficile de deviner qu’un autre signe pouvait les jeter sur elle…

Terrifiée, Hortense ferma les yeux, serrant fort ses paupières pour être bien sûre de ne plus rien voir. En même temps, elle se rapprochait de l’étranger dans le geste instinctif d’un enfant qui cherche protection. Quelques secondes passèrent qui lui parurent une éternité. Puis, elle l’entendit siffler doucement et se recroquevilla, croyant déjà sentir sur elle l’haleine brûlante des fauves. Mais rien ne vint, sinon un éclat de rire.

— Ouvrez les yeux, jeune sotte ! gronda l’homme. Vous êtes bien une fille de la ville ! Peureuse et…

— Je ne suis pas peureuse ! protesta-t-elle en levant sur lui un regard indigné. Connaissez-vous donc beaucoup de femmes qui pourraient affronter des loups sans crainte aucune ?…

— Avez-vous cru vraiment que je pourrais les lancer sur vous ? Regardez ! Je les ai renvoyés !

En effet, le cercle des loups avait disparu. Il ne restait plus auprès de l’homme que la grande bête rousse qu’il appelait Luern et qui lui avait servi de guide. Encore que cette présence formidable fût suffisamment inquiétante, Hortense éprouva tout de même un soulagement. Mais elle n’en était pas moins curieusement vidée de ses forces.

— Puis-je m’asseoir ? demanda-t-elle en désignant le rocher où il se tenait auparavant.

— J’allais vous en prier ! Vous n’avez vraiment pas bonne mine. Voulez-vous manger quelque chose ?

— Oh oui ! avoua-t-elle. Je meurs de faim. Mais que peut-on manger ici ?

— Ceci !

D’une besace posée à terre, il tira une tourte qu’il coupa en deux après avoir tracé dessus une croix rapide avec le plat du couteau pris dans sa poche. Le loup eut l’une des deux moitiés qu’il dévora en trois coups de dents. De l’autre moitié, l’homme fit deux parts égales, offrit l’une à son invitée et attaqua l’autre, montrant dans cet exercice des dents aussi blanches que celles du fauve. Hortense mordit dans la croûte dorée avec d’autant plus d’appétit qu’elle sentait bon et que d’ailleurs l’intérieur, fait de lard et de champignons, était excellent. Pensant qu’elle avait rarement mangé quelque chose d’aussi bon, la jeune fille dévora sa part sans la moindre honte. Un peu gênée seulement sous l’œil clair et visiblement ironique de l’homme qui ne la quittait pas. Mais elle avait tellement, tellement faim après la fatigue du voyage, le chagrin qu’elle avait eu à se séparer de Mme Chauves et la terreur de cette dernière heure ! Elle avait soif aussi car le lard était un petit peu salé et elle accepta avec reconnaissance la gourde en peau de chèvre que son compagnon lui tendait sans mot dire.