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– Ici? fit le roi en désignant la porte.

– Oui, sire.

– Et elle est chez elle? N’entrons pas, alors.

– Sire, elle vient de descendre; je l’ai vue sous l’auvent de la petite cour des cuisines.

– Alors, montrez-moi ses logements comme échantillon.

– À votre désir, répliqua la dauphine.

Et elle introduisit le roi dans l’unique chambre, précédée d’une antichambre et de deux cabinets.

Quelques meubles déjà rangés, des livres, un clavecin, attirèrent l’attention du roi, et surtout un énorme bouquet des plus belles fleurs, que mademoiselle de Taverney avait déjà mis dans une potiche du Japon.

– Ah! dit le roi, les belles fleurs! et vous voulez changer de jardin… Qui diable fournit vos gens de fleurs pareilles? En garde-t-on pour vous?

– En effet, voilà un beau bouquet.

– Le jardinier soigne mademoiselle de Taverney… Qui est jardinier ici?

– Je ne sais, sire. M. de Jussieu se charge de me les fournir.

Le roi donna un coup d’œil curieux à tout le logement, regarda encore à l’extérieur, dans les cours, et se retira.

Sa Majesté traversa le parc et revint au Grand Trianon; ses équipages l’attendaient pour une chasse en carrosse après le dîner, de trois à six heures du soir.

Le dauphin mesurait toujours le soleil.

Chapitre LXXXI La conspiration se renoue

Tandis que le roi, pour bien rassurer M. de Choiseul et ne pas perdre son temps à lui-même, se promenait ainsi dans Trianon en attendant la chasse, Luciennes était le centre d’une réunion de conspirateurs effarés qui arrivaient à tire-d’aile auprès de madame du Barry, comme des oiseaux qui ont senti la poudre du chasseur.

Jean et le maréchal de Richelieu, après s’être longtemps regardés avec humeur, avaient pris leur essor les premiers.

Les autres étaient les favoris ordinaires qu’une disgrâce certaine des Choiseul avait affriandés, que le retour en faveur avait épouvantés, et qui, ne trouvant plus le ministre sous leur main, pour s’accrocher à lui, revenaient machinalement à Luciennes pour voir si l’arbre était assez solide pour que l’on s’y cramponnât comme par le passé.

Madame du Barry, après les fatigues de sa diplomatie et le triomphe trompeur qui l’avait couronnée, faisait la sieste lorsque le carrosse de Richelieu entra chez elle avec le bruit et la célérité d’un ouragan.

– Maîtresse du Barry dort, dit Zamore sans se déranger.

Jean fit rouler Zamore sur le tapis d’un grand coup de pied qu’il appliqua sur les broderies les plus larges de son habit de gouverneur.

Zamore poussa des cris perçants.

Chon accourut.

– Vous battez encore ce petit, vilain brutal! dit-elle.

– Et je vous extermine vous-même, poursuivit Jean avec des yeux qui flamboyaient, si vous ne réveillez pas la comtesse tout de suite.

Mais il n’était pas besoin de réveiller la comtesse: aux cris de Zamore, au grondement de la voix de Jean, elle avait senti un malheur et accourait enveloppée dans un peignoir.

– Qu’y a-t-il? demanda-t-elle effrayée de voir que Jean s’était vautré tout du long sur un sofa pour calmer les agitations de sa bile et que le maréchal ne lui avait pas même baisé la main.

– Il y a, il y a, dit Jean, parbleu! il y a toujours le Choiseul.

– Comment?

– Oui, plus que jamais, mille tonnerres!

– Qu’est-ce que vous voulez dire?

– M. le comte du Barry a raison, continua Richelieu; il y a plus que jamais M. le duc de Choiseul.

La comtesse tira de son sein la petite lettre du roi.

– Et ceci? dit-elle en souriant.

– Avez-vous bien lu, comtesse? demanda le maréchal.

– Mais… je sais lire, duc, répondit madame du Barry.

– Je n’en doute pas, madame; voulez-vous me permettre de lire aussi?

– Oh! certainement; lisez.

Le duc prit le papier, le développa lentement et lut:

«Demain, je remercierai M. de Choiseul de ses services. Je m’y engage positivement.

Louis.»

– Est-ce clair? dit la comtesse.

– Parfaitement clair, répliqua le maréchal en faisant la grimace.

– Eh bien, quoi? dit Jean.

– Eh bien, c’est demain que nous aurons la victoire, rien n’est encore perdu.

– Comment, demain? Mais le roi m’a signé cela hier. Or, demain, c’est aujourd’hui.

– Pardon, madame, dit le duc; comme il n’y a pas de date, demain sera toujours le jour qui suivra celui où vous voudrez voir M. de Choiseul à bas. Il y a, rue de la Grange-Batelière, à cent pas de chez moi, un cabaret dont l’enseigne porte ces mots en lettres rouges: «Ici, on fait crédit demain.» Demain, c’est jamais.

– Le roi s’est moqué de nous, dit Jean furieux.

– C’est impossible, murmura la comtesse atterrée; impossible, une pareille supercherie est indigne…

– Ah! madame, Sa Majesté est fort joviale, dit Richelieu.

– Il me le paiera, duc, continua la comtesse avec un accent de colère.

– Après cela, comtesse, il ne faut pas en vouloir au roi; il ne faut pas accuser Sa Majesté de dol ou de fourberie; non, le roi a tenu ce qu’il avait promis.

– Allons donc! fit Jean avec un tour d’épaules plus que peuple.

– Qu’a-t-il promis? cria la comtesse: de remercier le Choiseul.

– Et voilà précisément, madame; j’ai entendu, moi, Sa Majesté remercier positivement le duc de ses services. Le mot a deux sens, écoutez donc: en diplomatie, chacun prend celui qu’il préfère; vous avez choisi le vôtre, le roi a choisi le sien. De cette façon, le demain n’est plus même en litige; c’est bien aujourd’hui, à votre avis, que le roi devait tenir sa promesse: il l’a tenue. Moi qui vous parle, j’ai entendu le remerciement.

– Duc, ce n’est pas l’heure de plaisanter, je crois.

– Croyez-vous, par hasard, que je plaisante, comtesse? Demandez au comte Jean.

– Non, pardieu! nous ne rions pas. Ce matin, le Choiseul a été embrassé, cajolé, festoyé par le roi, et, à l’heure qu’il est, tous deux se promènent dans les Trianons, bras dessus, bras dessous.

– Bras dessus, bras dessous! répéta Chon, qui s’était glissée dans le cabinet, et qui leva ses bras blancs comme un nouveau modèle de la Niobé désespérée.

– Oui, j’ai été jouée, dit la comtesse; mais nous allons bien voir… Chon, il faut d’abord contremander mon équipage de chasse; je n’irai pas.

– Bon! dit Jean.

– Un moment! s’écria Richelieu, pas de précipitation, pas de bouderie… Ah! pardon, comtesse, je me permets de vous conseiller; pardon.

– Faites, duc, ne vous gênez pas; je crois que je perds la tête. Voyez ce qu’il en est: on ne veut pas faire de politique, et, le jour où on s’en mêle, l’amour-propre vous y jette tout habillée… Vous dites donc?

– Que bouder aujourd’hui n’est pas sage. Tenez, comtesse, la position est difficile. Si le roi tient décidément aux Choiseul, s’il se laisse influencer par sa dauphine, s’il vous rompt ainsi en visière, c’est que…