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– Moi! s’écria Gilbert; moi, qui n’ai pas les premières notions de l’art médical?… Vous riez, madame.

– Eh! Zamore sait-il ce que c’est qu’une herse, qu’un mâchicoulis, qu’une contrescarpe? Non, vraiment, il l’ignore et ne s’en inquiète pas. Ce qui n’empêche pas qu’il ne soit gouverneur du château de Luciennes, avec tous les privilèges attachés à ce titre.

– Ah! oui, oui, je comprends, dit amèrement Gilbert, vous n’avez qu’un bouffon, ce n’est point assez. Le roi s’ennuie; il lui en faut deux.

– Bien, s’écria Chon, le voilà qui reprend sa mine allongée. En vérité, vous vous rendez laid à faire plaisir, mon petit homme. Gardez toutes ces mines fantasques pour le moment où la perruque sera sur votre tête et le chapeau pointu sur la perruque; alors, au lieu d’être laid, ce sera comique.

Gilbert fronça une seconde fois le sourcil.

– Voyons, dit Chon, vous pouvez bien accepter le poste de médecin du roi, quand M. le duc de Tresme sollicite le titre de sapajou de ma sœur?

Gilbert ne répondit rien. Chon lui fit l’application du proverbe: «Qui ne dit mot, consent.»

– Pour preuve que vous commencez d’être en faveur, dit Chon, vous ne mangerez point aux offices.

– Ah! merci, madame, répondit Gilbert.

– Non, j’ai déjà donné des ordres à cet effet.

– Et où mangerai-je?

– Vous partagerez le couvert de Zamore.

– Moi?

– Sans doute; le gouverneur et le médecin du roi peuvent bien manger à la même table. Allez donc dîner avec lui si vous voulez.

– Je n’ai pas faim, répondit rudement Gilbert.

– Très bien, dit Chon avec tranquillité; vous n’avez pas faim maintenant, mais vous aurez faim ce soir.

Gilbert secoua la tête.

– Si ce n’est ce soir, ce sera demain, après-demain. Ah! vous vous adoucirez, monsieur le rebelle, et si vous nous donnez trop de mal, nous avons M. le correcteur des pages qui est à notre dévotion.

Gilbert frissonna et pâlit.

– Rendez-vous donc près du seigneur Zamore, dit Chon avec sévérité; vous ne vous en trouverez pas mal; la cuisine est bonne; mais prenez garde d’être ingrat, car on vous apprendrait la reconnaissance.

Gilbert baissa la tête.

Il en était ainsi chaque fois qu’au lieu de répondre il venait de se résoudre à agir.

Le laquais qui avait amené Gilbert attendait sa sortie. Il le conduisit dans une petite salle à manger attenante à l’antichambre où il avait été introduit. Zamore était à table.

Gilbert alla s’asseoir près de lui, mais on ne put le forcer à manger.

Trois heures sonnèrent; madame du Barry partit pour Paris. Chon, qui devait la rejoindre plus tard, donna ses instructions pour qu’on apprivoisât son ours. Force entremets sucrés s’il faisait bon visage; force menaces, suivies d’une heure de cachot, s’il continuait de se rebeller.

À quatre heures, on apporta dans la chambre de Gilbert le costume complet du médecin malgré lui: bonnet pointu, perruque, justaucorps noir, robe de même couleur. On y avait joint la collerette, la baguette et le gros livre.

Le laquais, porteur de toute cette défroque, lui montra l’un après l’autre chacun de ces objets; Gilbert ne témoigna aucune intention de résister.

M, Grange entra derrière le laquais, et lui apprit comment on devait mettre les différentes pièces du costume; Gilbert écouta patiemment toute la démonstration de M. Grange.

– Je croyais, dit seulement Gilbert, que les médecins portaient autrefois une écritoire et un petit rouleau de papier.

– Ma foi! il a raison, dit M. Grange; cherchez-lui une longue écritoire, qu’il se pendra à la ceinture.

– Avec plume et papier, cria Gilbert. Je tiens à ce que le costume soit complet.

Le laquais s’élança pour exécuter l’ordre donné. Il était chargé en même temps de prévenir mademoiselle Chon de l’étonnante bonne volonté de Gilbert.

Mademoiselle Chon fut si ravie, qu’elle donna au messager une petite bourse contenant huit écus, et destinée à être attachée avec l’encrier à la ceinture de ce médecin modèle.

– Merci, dit Gilbert, à qui l’on apporta le tout. Maintenant, veut-on me laisser seul, afin que je m’habille?

– Alors, dépêchez-vous, dit M. Grange, afin que mademoiselle puisse vous voir avant son départ pour Paris.

– Une demi-heure, dit Gilbert, je ne demande qu’une demi-heure.

– Trois quarts d’heure, s’il le faut, monsieur le docteur, dit l’intendant en fermant la porte de Gilbert aussi soigneusement que si c’eût été celle de sa caisse.

Gilbert s’approcha de cette porte sur la pointe du pied, écouta pour s’assurer que les pas s’éloignaient, puis il se glissa jusqu’à la fenêtre, qui donnait sur des terrasses situées à dix-huit pieds au-dessous. Ces terrasses, couvertes d’un sable fin, étaient bordées de grands arbres dont les feuillages venaient ombrager les balcons.

Gilbert déchira sa longue robe en trois morceaux qu’il attacha bout à bout, déposa sur la table le chapeau, près du chapeau la bourse, et écrivit:

«Madame,

«Le premier des biens est la liberté. Le plus saint des devoirs de l’homme est de la conserver. Vous me violentez, je m’affranchis.

«Gilbert.»

Gilbert plia la lettre, la mit à l’adresse de mademoiselle Chon, attacha ses douze pieds de serge aux barreaux de la fenêtre, entre lesquels il glissa comme une couleuvre, sauta sur la terrasse, au risque de sa vie, quand il fut au bout de la corde, et alors, quoiqu’un peu étourdi du saut qu’il venait de faire, il courut aux arbres, se cramponna aux branches, glissa sous le feuillage comme un écureuil, arriva au sol, et à toutes jambes disparut dans la direction des bois de Ville-d’Avray.

Lorsqu’au bout d’une demi-heure on revint pour le chercher, il était déjà loin de toute atteinte.

Chapitre XLII Le vieillard

Gilbert n’avait pas voulu prendre les routes de peur d’être poursuivi; il avait gagné, de bois en bois, une espèce de forêt dans laquelle il s’arrêta enfin. Il avait dû faire une lieue et demie à peu près en trois quarts d’heure.

Le fugitif regarda tout autour de lui: il était bien seul. Cette solitude le rassura. Il essaya de se rapprocher de la route qui devait, d’après son calcul, conduire à Paris.

Mais des chevaux qu’il aperçut sortant du village de Roquencourt, menés par des livrées orange, l’effrayèrent tellement, qu’il fut guéri de la tentation d’affronter les grandes routes et se rejeta dans les bois.

– Demeurons à l’ombre de ces châtaigniers, se dit Gilbert; si l’on me cherche quelque part, ce sera sur le grand chemin. Ce soir, d’arbre en arbre, de carrefour en carrefour, je me faufilerai vers Paris. On dit que Paris est grand; je suis petit, on m’y perdra.

L’idée lui parut d’autant meilleure que le temps était beau, le bois ombreux, le sol moussu. Les rayons d’un soleil âpre et intermittent qui commençait à disparaître derrière les coteaux de Marly avaient séché les herbes et tiré de la terre ces doux parfums printaniers qui participent à la fois de la fleur et de la plante.

On en était arrivé à cette heure de la journée où le silence tombe plus doux et plus profond du ciel qui commence à s’assombrir, à cette heure où les fleurs en se refermant cachent l’insecte endormi dans leur calice. Les mouches dorées et bourdonnantes regagnent le creux des chênes qui leur sert d’asile, les oiseaux passent muets dans le feuillage où l’on n’entend que le frôlement rapide de leurs ailes, et le seul chant qui retentisse encore est le sifflement accentué du merle, et le timide ramage du rouge-gorge.