– Nous avions tort tous deux. Maintenant, pardonnons-nous mutuellement.
– Est-ce sérieusement que vous demandez une réconciliation, sire?
– Sur ma foi.
– Va-t’en, Chon.
– Sans rien commander? demanda la jeune femme à sa sœur.
– Au contraire, commande tout ce que j’ai dit.
– Comtesse…
– Mais qu’on attende de nouveaux ordres.
– Ah!
Chon sortit.
– Vous me voulez donc? dit la comtesse au roi.
– Par-dessus tout.
– Réfléchissez à ce que vous dites là, sire.
Le roi réfléchit en effet, mais il ne pouvait reculer; et d’ailleurs, il voulait voir jusqu’où iraient les exigences du vainqueur.
– Parlez, dit-il.
– Tout à l’heure. Faites-y attention, sire!… Je partais sans rien demander.
– Je l’ai bien vu.
– Mais, si je reste, je demanderai quelque chose.
– Quoi? Il s’agit de savoir quoi, voilà tout.
– Ah! vous le savez bien.
– Non.
– Si fait, puisque vous faites la grimace.
– Le renvoi de M. de Choiseul?
– Précisément.
– Impossible, comtesse.
– Mes chevaux, alors…
– Mais, mauvaise tête…
– Signez ma lettre de cachet pour la Bastille, ou la lettre qui congédie le ministre.
– Il y a un milieu, dit le roi.
– Merci de votre clémence, sire; je partirai sans être inquiétée, à ce qu’il paraît.
– Comtesse, vous êtes femme.
– Heureusement.
– Et vous raisonnez politique en véritable femme mutine et colère. Je n’ai pas de raison pour congédier M. de Choiseul.
– Je comprends, l’idole de vos parlements, celui qui les soutient dans leur révolte.
– Enfin, il faut un prétexte.
– Le prétexte est la raison du faible.
– Comtesse, c’est un honnête homme que M. de Choiseul, et les honnêtes gens sont rares.
– C’est un honnête homme qui vous vend aux robes noires, lesquelles vous mangent tout l’or de votre royaume.
– Pas d’exagération, comtesse.
– La moitié alors.
– Mon Dieu! s’écria Louis XV dépité.
– Mais, au fait, s’écria de son côté la comtesse, je suis bien sotte; que m’importent, à moi, les parlements, les Choiseul, son gouvernement; que m’importe le roi même, à moi, son pis-aller.
– Encore!
– Toujours, sire.
– Voyons, comtesse, deux heures de réflexion.
– Dix minutes, sire. Je passe dans ma chambre, glissez-moi votre réponse sous la porte: le papier est là, la plume est là, l’encrier est là. Si dans dix minutes vous n’avez pas répondu ou n’avez pas répondu à ma guise, adieu, sire! Ne songez plus à moi, je serai partie. Sinon…
– Sinon?
– Tournez la bobinette et la chevillette cherra.
Louis XV, pour se donner une contenance, baisa la main de la comtesse, qui, en se retirant, lui lança, comme le Parthe, son sourire le plus provocant.
Le roi ne s’opposa aucunement à cette retraite, et la comtesse s’enferma dans la chambre voisine.
Cinq minutes après, un papier plié carrément frôla le bourrelet de soie de la porte et la laine du tapis.
La comtesse lut avidement le contenu du billet, écrivit à la hâte quelques mots à M. de Richelieu, qui se promenait dans la petite cour, sous un auvent, avec grande frayeur d’être vu faisant ainsi le pied de grue.
Le maréchal déplia le papier, lut, et, prenant sa course malgré ses soixante et quinze ans, il arriva dans la grande cour à son carrosse.
– Cocher, dit-il, à Versailles, ventre à terre!
Voici ce que contenait le papier jeté par la fenêtre à M. de Richelieu.
«J’ai secoué l’arbre, le portefeuille est tombé.»
Chapitre LXXIX Comment le roi Louis XV travaillait avec son ministre
Le lendemain, la rumeur était grande à Versailles. Les gens ne s’abordaient qu’avec des signes mystérieux et des poignées de main significatives, ou bien avec des croisements de bras et des regards au ciel, qui témoignaient de leur douleur et de leur surprise.
M. de Richelieu, avec bon nombre de partisans, était dans l’antichambre du roi, à Trianon, vers dix heures.
Le comte Jean, tout chamarré, tout éblouissant, causait avec le vieux maréchal, et causait gaiement, si l’on en croyait sa figure épanouie.
Vers onze heures, le roi passa, se rendant à son cabinet de travail, et ne parla à personne. Sa Majesté marchait fort vite.
À onze heures cinq minutes, M. de Choiseul descendit de voiture et traversa la galerie, son portefeuille sous le bras.
À son passage, il se fit un grand mouvement de gens qui se retournaient pour avoir l’air de causer entre eux et ne pas saluer le ministre.
Le duc ne fit pas attention à ce manège; il entra dans le cabinet, où le roi feuilletait un dossier en prenant son chocolat.
– Bonjour, duc, lui dit le roi amicalement; sommes-nous bien dispos, ce matin?
– Sire, M. de Choiseul se porte bien, mais le ministre est fort malade, et vient prier Votre Majesté, puisqu’elle ne lui parle encore de rien, d’agréer sa démission. Je remercie le roi de m’avoir permis cette initiative; c’est une dernière faveur dont je lui suis bien reconnaissant.
– Comment, duc, votre démission? qu’est-ce que cela veut dire?
– Sire, Votre Majesté a signé hier, entre les mains de madame du Barry, un ordre qui me destitue; cette nouvelle court déjà tout Paris et tout Versailles. Le mal est fait. Cependant, je n’ai pas voulu quitter le service de Votre Majesté sans en avoir reçu l’ordre avec la permission. Car, nommé officiellement, je ne puis me regarder comme destitué que par un acte officiel.
– Comment, duc, s’écria le roi en riant, car l’attitude sévère et digne de M. de Choiseul lui imposait jusqu’à la crainte; comment, vous, un homme d’esprit et un formaliste, vous avez cru cela?
– Mais, sire, dit le ministre surpris, vous avez signé…
– Quoi donc?
– Une lettre que possède madame du Barry.
– Ah! duc, n’avez-vous jamais eu besoin de la paix? Vous êtes bien heureux!… Le fait est que madame de Choiseul est un modèle.
Le duc, offensé de la comparaison, fronça le sourcil.
– Votre Majesté, dit-il, est d’un caractère trop ferme et d’un caractère trop heureux pour mêler aux affaires d’État ce que vous daignez appeler les affaires de ménage.
– Choiseul, il faut que je vous conte cela: c’est fort drôle. Vous savez qu’on vous craint beaucoup par là?
– C’est-à-dire qu’on me hait, sire.
– Si vous le voulez. Eh bien, cette folle de comtesse ne m’a-t-elle pas posé cette alternative: de l’envoyer à la Bastille ou de vous remercier de vos services.
– Eh bien, sire?