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– Madame de Pompadour était une femme bien jalouse de la gloire de Votre Majesté, dit-il; elle avait de hautes idées politiques. J’avoue que son génie sympathisait avec mon caractère. Souvent, sire, je me suis attelé de front avec elle aux grandes entreprises qu’elle formait; oui, nous nous entendions.

– Mais elle se mêlait de politique, duc, et tout le monde le lui reprochait.

– C’est vrai.

– Celle-ci, au contraire, est douce comme un agneau; elle n’a pas encore fait signer une lettre de cachet, même contre les pamphlétaires et les chansonniers. Eh bien, on lui reproche ce qu’on louait chez l’autre. Ah! duc, c’est fait pour dégoûter du progrès… Voyons, venez-vous faire votre paix à Luciennes?

– Sire, veuillez assurer madame la comtesse du Barry que je la trouve une femme charmante et digne de tout l’amour du roi; mais…

– Ah! voilà un mais, duc…

– Mais, poursuivit M. de Choiseul, ma conviction est que, si Votre Majesté est nécessaire à la France, aujourd’hui un bon ministre est plus nécessaire à Votre Majesté qu’une charmante maîtresse.

– N’en parlons plus, duc, et demeurons bons amis. Mais câlinez madame de Grammont, qu’elle ne complote plus rien contre la comtesse; les femmes nous brouilleraient.

– Madame de Grammont, sire, veut trop plaire à Votre Majesté. C’est là son tort.

– Et elle me déplaît en nuisant à la comtesse, duc.

– Aussi madame de Grammont part-elle, sire, on ne la verra plus: ce sera un ennemi de moins.

– Ce n’est pas ainsi que je l’entends, vous allez trop loin. Mais la tête me brûle, duc, nous avons travaillé ce matin comme Louis XIV et Colbert, nous avons été grand siècle, comme disent les philosophes. À propos, duc, est-ce que vous êtes philosophe, vous?

– Je suis serviteur de Votre Majesté, répliqua M. de Choiseul.

– Vous m’enchantez, vous êtes un homme impayable; donnez-moi votre bras, je suis tout étourdi.

Le duc se hâta d’offrir son bras à Sa Majesté.

Il devinait qu’on allait ouvrir les portes à deux battants, que toute la cour était dans la galerie, qu’on allait le voir dans cette splendide position; après avoir tant souffert, il n’était pas fâché de faire souffrir ses ennemis.

L’huissier ouvrit en effet les portes, et annonça le roi dans la galerie.

Louis XV, toujours causant avec M. de Choiseul et lui souriant, se faisant lourd sur son bras, traversa la foule sans remarquer ou sans vouloir remarquer combien Jean du Barry était pâle et combien M. de Richelieu était rouge.

Mais M. de Choiseul vit bien cette différence de nuances. Il passa le jarret tendu, le cou raide, les yeux brillants, devant les courtisans, qui se rapprochaient autant qu’ils s’étaient éloignés le matin.

– Là, dit le roi au bout de la galerie, duc, attendez-moi, je vous emmène à Trianon. Rappelez-vous tout ce que je vous ai dit.

– Je l’ai gardé dans mon cœur, répliqua le ministre, sachant bien qu’avec cette phrase aiguisée il perçait l’âme de tous ses ennemis.

Le roi rentra chez lui.

M. de Richelieu rompit la file et vint serrer dans ses deux mains maigres la main du ministre, en lui disant:

– Il y a longtemps que je sais qu’un Choiseul a l’âme chevillée au corps.

– Merci, dit le duc, qui savait à quoi s’en tenir.

– Mais ce bruit absurde? poursuivit le maréchal.

– Ce bruit a bien fait rire Sa Majesté, dit Choiseul.

– On parlait d’une lettre…

– Mystification de la part du roi, répliqua le ministre en lançant cette phrase à l’adresse de Jean, qui perdait contenance.

– Merveilleux! Merveilleux! répéta le maréchal en retournant au comte, aussitôt que le duc de Choiseul eut disparu et ne put plus le voir.

Le roi descendait l’escalier en appelant le duc, empressé à le suivre.

– Eh! eh! nous sommes joués, dit le maréchal à Jean.

– Où vont-ils?

– Au Petit Trianon, se moquer de nous.

– Mille tonnerres! murmura Jean. Ah! pardon, monsieur le maréchal.

– À mon tour, dit celui-ci, et voyons si mon moyen vaudra mieux que celui de la comtesse.

Chapitre LXXX Le Petit Trianon

Quand Louis XIV eut bâti Versailles, et qu’il eut reconnu les inconvénients de la grandeur, lorsqu’il vit ces immenses salons pleins de gardes, ces antichambres pleines de courtisans, ces corridors et ces entresols pleins de laquais, de pages et de commensaux, il se dit que Versailles était bien ce que lui-même avait voulu en faire, ce que Mansard, Le Brun et Le Nôtre en avaient fait, le séjour d’un dieu, mais non pas l’habitation d’un homme.

Alors le grand roi, qui était un homme à ses moments perdus, se fit bâtir Trianon pour respirer et cacher un peu sa vie. Mais l’épée d’Achille, qui avait fatigué Achille, devait être d’un poids insupportable pour un successeur mirmidon.

Trianon, ce rapetissement de Versailles, parut encore trop pompeux à Louis XV, qui se fit bâtir par l’architecte Gabriel le Petit Trianon, pavillon de soixante pieds carrés.

À gauche de ce bâtiment, on construisit un carré long sans caractère et sans ornements: ce fut la demeure des gens de service et des commensaux. On comptait là environ dix logements de maîtres, et la place de cinquante serviteurs. On peut voir encore ce bâtiment dans son intégrité. Il se compose d’un rez-de-chaussée, d’un premier étage et de combles. Ce rez-de-chaussée est garanti par un fossé pavé qui le sépare des massifs; toutes les fenêtres en sont grillées comme celles du premier étage. Vues du côté de Trianon, ces fenêtres éclairent un long corridor pareil à celui d’un couvent.

Huit ou neuf portes, percées dans le corridor, conduisent aux logements, tous composés d’une antichambre avec deux cabinets, l’un à droite, l’autre à gauche, et d’une basse chambre, voire même de deux, éclairées sur la cour intérieure de ce bâtiment.

Au-dessous de cet étage, les cuisines.

Dans les combles, des chambres de domestiques.

Voilà le Petit Trianon.

Ajoutez-y une chapelle à vingt toises du château, dont nous ne ferons pas la description, parce que nous n’en avons aucun besoin, et que ce château ne peut loger qu’un ménage, ainsi qu’on le dirait aujourd’hui.

La topographie est donc celle-ci: un château voyant avec ses larges yeux sur le parc et sur les bois, voyant à gauche sur les communs, qui ne lui opposent que des fenêtres grillées, fenêtres de corridors ou de cuisines masquées par un épais treillis.

Du Grand Trianon, demeure solennelle de Louis XV, on se rendait au petit par un jardin potager qui joignait les deux résidences, moyennant l’interjection d’un pont de bois.

Ce fut par ce jardin potager et fruitier, qu’avait dessiné et planté La Quintinie, que Louis XV mena M. de Choiseul au Petit Trianon, après la laborieuse séance que nous venons de raconter. Il voulait lui faire voir les améliorations introduites par lui dans le nouveau séjour du dauphin et de la dauphine. M. de Choiseul admirait tout, commentait tout avec la sagacité d’un courtisan; il laissait le roi lui dire que le Petit Trianon devenait de jour en jour plus beau, plus charmant à habiter; et le ministre ajoutait que c’était pour Sa Majesté la maison de famille.