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– La dauphine, dit le roi, est encore un peu sauvage, comme toutes les Allemandes jeunes; elle parle bien le français, mais elle a peur d’un léger accent qui la trahit Autrichienne à des oreilles françaises. À Trianon, elle n’entendra que des amis, et ne parlera que lorsqu’elle le voudra.

– Il en résulte qu’elle parlera bien. J’ai déjà remarqué, dit M. de Choiseul, que Son Altesse royale est accomplie et n’a rien à faire pour se perfectionner.

Chemin faisant, les deux voyageurs trouvèrent M. le dauphin arrêté sur une pelouse et qui prenait la hauteur du soleil.

M. de Choiseul s’inclina fort bas, et, comme le dauphin ne lui parla pas, il ne parla pas non plus au dauphin.

Le roi dit assez haut pour être entendu de son petit-fils:

– Louis est un savant, et il a bien tort de se casser la tête à des sciences, sa femme en souffrira.

– Non pas, répliqua une douce voix de femme sortie d’un buisson.

Et le roi vit accourir à lui la dauphine, qui causait avec un homme farci de papiers, de compas et de crayons.

– Sire, dit la princesse, M. Mique, mon architecte.

– Ah! fit le roi, vous avez aussi cette maladie, madame?

– Sire, c’est une maladie de famille.

– Vous allez faire bâtir?

– Je vais faire meubler ce grand parc, dans lequel tout le monde s’ennuie.

– Oh! oh! ma fille, vous dites cela bien haut; le dauphin pourrait vous entendre.

– C’est chose convenue entre nous, mon père, répliqua la princesse.

– De vous ennuyer?

– Non, mais de chercher à nous divertir.

– Et Votre Altesse royale veut faire bâtir? dit M. de Choiseul.

– De ce parc, monsieur le duc, je veux faire un jardin.

– Ah! ce pauvre Le Nôtre! dit le roi.

– Le Nôtre était un grand homme, sire, pour ce que l’on aimait alors, mais pour ce que j’aime…

– Qu’aimez-vous, madame?

– La nature.

– Ah! comme les philosophes.

– Ou comme les Anglais.

– Bon! dites cela devant Choiseul, vous allez avoir une déclaration de guerre. Il va vous lâcher les soixante-quatre vaisseaux et les quarante frégates de M. de Praslin, son cousin.

– Sire, dit la dauphine, je ferai dessiner un jardin naturel par M. Robert, le plus habile homme du monde pour ces sortes de plans.

– Qu’appelez-vous jardins naturels? dit le roi. Je croyais que des arbres et des fleurs, voire même des fruits, comme ceux que j’ai cueillis en passant, étaient des choses naturelles.

– Sire, vous vous promèneriez cent ans chez vous, que vous verriez toujours des allées droites, ou des massifs taillés à angle de quarante-cinq degrés, comme dit M. le dauphin, ou des pièces d’eau mariées à des gazons, lesquels sont mariés à des perspectives, ou à des quinconces, ou à des terrasses.

– Eh bien, c’est donc laid, cela?

– Ce n’est pas naturel.

– Que voilà une petite fille qui aime la nature! dit le roi avec un air plus jovial que joyeux. Voyons ce que vous ferez de mon Trianon.

– Des rivières, des cascades, des ponts, des grottes, des rochers, des bois, des ravins, des maisons, des montagnes, des prairies.

– Pour des poupées? dit le roi.

– Hélas! sire, pour des rois tels que nous serons, répliqua la princesse sans remarquer la rougeur qui couvrit les joues de son aïeul, et sans remarquer qu’elle se présageait à elle-même une lugubre vérité.

– Alors, vous bouleverserez; mais qu’édifierez-vous?

– Je conserve.

– Ah! c’est encore heureux que, dans ces bois et dans ces rivières, vous ne fassiez pas loger vos gens comme des Hurons, des Esquimaux ou des Groenlandais. Ils auraient là une vie naturelle, et M. Rousseau les appellerait les enfants de la nature… Faites cela, ma fille, et vous serez adorée des encyclopédistes.

– Sire, mes serviteurs auraient trop froid dans ces habitations-là.

– Où les logerez-vous donc, si vous détruisez tout? Ce ne sera pas dans le palais: à peine y a-t-il place pour vous deux.

– Sire, je garde les communs tels qu’ils sont.

Et la dauphine indiqua les fenêtres de ce corridor que nous avons décrit.

– Qui est-ce que j’y vois? dit le roi en se mettant une main sur les yeux en guise de garde-vue.

– Une femme, sire, dit M. de Choiseul.

– Une demoiselle que je prends chez moi, répliqua la dauphine.

– Mademoiselle de Taverney, fit Choiseul avec sa vue perçante.

– Ah! dit le roi; tiens, vous avez ici les Taverney?

– Mademoiselle de Taverney seulement, sire.

– Charmante fille… Vous en faites?…

– Ma lectrice.

– Très bien, dit le roi sans quitter de l’œil la fenêtre grillée par laquelle regardait, fort innocemment et sans se douter qu’on l’observait, mademoiselle de Taverney, pâle encore de sa maladie.

– Comme elle est pâle! dit M. de Choiseul.

– Elle a failli être étouffée le 31 mai, monsieur le duc.

– Vrai? Pauvre fille! dit le roi. Ce M. Bignon méritait sa disgrâce.

– Elle est rétablie? dit M. de Choiseul très vite.

– Dieu merci, monsieur le duc.

– Ah! fit le roi, elle se sauve.

– Elle aura reconnu Votre Majesté, et elle est timide.

– Vous l’avez depuis longtemps?

– Depuis hier, sire; en m’installant, je l’ai fait venir.

– Triste habitation pour une jolie fille, dit Louis XV; ce diable de Gabriel était bien maladroit: il n’a pas pensé que les arbres, en grandissant, éborgneraient ce bâtiment des communs, et qu’on n’y verrait plus clair.

– Mais non, sire, je vous jure que le logement est supportable.

– Ce n’est pas possible, dit Louis XV.

– Votre Majesté veut-elle s’en assurer? dit la dauphine jalouse de faire les honneurs de chez elle.

– Soit. Venez-vous, Choiseul?

– Sire, il est deux heures. J’ai un conseil de parlement à deux heures et demie. Le temps de retourner à Versailles…

– Eh bien, allez, duc, allez, et secouez-moi les robes noires. Dauphine, montrez-moi les petits logements, s’il vous plaît. Je raffole des intérieurs.

– Venez, monsieur Mique, dit la dauphine à son architecte, vous aurez l’occasion de recevoir quelques avis de Sa Majesté qui s’entend si bien à tout.

Le roi marcha le premier, la dauphine le suivit.

Ils montèrent le petit perron qui conduit à la chapelle, laissant de côté le passage des cours.

La porte de la chapelle est à gauche; de l’autre côté, l’escalier droit et simple, qui mène au corridor des logements.

– Qui demeure ici? demanda Louis XV.

– Mais personne encore, sire.

– Voilà une clef sur la porte du premier logement.

– Ah! c’est vrai, mademoiselle de Taverney se meuble aujourd’hui et emménage.