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– Madame, répondit tout haut Balsamo, vous m’avez, il y a peu de jours, confié cette cassette et tout ce qu’elle renferme.

– Mais sans doute, dit madame du Barry, répondant par un regard au regard du comte.

– Sans doute! s’écria M. de Sartine; vous dites sans doute, madame?

– Mais oui, et madame a prononcé ces paroles assez haut pour que vous les ayez entendues.

– Une cassette qui renferme dix conspirations peut-être!

– Ah! monsieur de Sartine, vous savez bien que vous n’avez pas de bonheur avec ce mot; ne le répétez donc pas. Madame vous redemande sa cassette, rendez-la-lui, voilà tout.

– Vous me la redemandez, madame? dit en tremblant de colère M. de Sartine.

– Oui, cher magistrat.

– Mais, au moins, sachez…

Balsamo regarda la comtesse.

– Je n’ai rien à savoir que je ne sache, dit madame du Barry; rendez-moi le coffret; je ne me suis pas dérangée pour rien, comprenez-vous?

– Au nom du Dieu vivant, au nom de l’intérêt de Sa Majesté, madame…

Balsamo fit un geste d’impatience.

– Ce coffret, monsieur! dit brièvement la comtesse, ce coffret, oui ou non! Réfléchissez avant de dire non.

– Comme il vous plaira, madame, dit humblement M. de Sartine.

Et il tendit à la comtesse le coffret, dans lequel Balsamo avait déjà fait rentrer tous les papiers épars sur le bureau.

Madame du Barry se tourna vers ce dernier avec un charmant sourire.

– Comte, dit-elle, voulez-vous me porter ce coffret jusqu’à mon carrosse et m’offrir la main pour que je ne traverse pas seule toutes ces antichambres meublées de si vilains visages? – Merci, Sartine.

Et Balsamo se dirigeait déjà vers la porte avec sa protectrice, quand il vit M. de Sartine se diriger, lui, vers la sonnette.

– Madame la comtesse, dit Balsamo en arrêtant son ennemi du regard, soyez assez bonne pour dire à M. de Sartine, qui m’en veut énormément de ce que je lui ai réclamé votre cassette, soyez assez bonne pour lui dire combien vous seriez désespérée s’il m’arrivait quelque malheur par le fait de M. le lieutenant de police, et combien vous lui en sauriez mauvais gré.

La comtesse sourit à Balsamo.

– Vous entendez ce que dit M. le comte, mon cher Sartine? Eh bien, c’est la pure vérité; M. le comte est un excellent ami à moi, et je vous en voudrais mortellement si vous lui déplaisiez en quelque chose que ce fût. Adieu, Sartine.

Et, cette fois, la main dans celle de Balsamo, qui emportait le coffret, madame du Barry quitta le cabinet du lieutenant de police.

M. de Sartine les vit partir tous deux sans montrer cette fureur que Balsamo s’attendait à voir éclater.

– Va! murmura le magistrat vaincu; va, tu tiens la cassette; mais, moi, je tiens la femme!

Et, pour se dédommager, il sonna de façon à briser toutes les sonnettes.

Chapitre CXXVI Où M. de Sartine commence à croire que Balsamo est sorcier

Au tintement précipité de la sonnette de M. de Sartine, un huissier accourut.

– Eh bien, demanda le magistrat, cette femme?

– Quelle femme, monseigneur?

– Cette femme qui s’est évanouie ici, et que je vous ai confiée?

– Monseigneur, elle se porte à merveille, répliqua l’huissier.

– Très bien; amenez-la-moi.

– Où faut-il l’aller chercher, monseigneur?

– Comment! mais dans cette chambre.

– Elle n’y est plus, monseigneur.

– Elle n’y est plus! Où est-elle donc, alors?

– Je n’en sais rien.

– Elle est partie?

– Oui.

– Toute seule?

– Oui.

– Mais elle ne pouvait se soutenir.

– Monseigneur, c’est vrai, elle demeura quelques instants évanouie; mais, cinq minutes après que M. de Fœnix eut été introduit dans le cabinet de monseigneur, elle se réveilla de cet étrange évanouissement auquel ni essences ni sels n’avaient apporté de remède. Alors elle ouvrit les yeux, se leva au milieu de nous tous, et respira d’un air de satisfaction.

– Après?

– Après, elle se dirigea vers la porte; et, comme monseigneur n’avait en rien ordonné qu’on la retînt, elle est partie.

– Partie? s’écria M. de Sartine. Ah! malheureux que vous êtes! je vous ferai tous périr à Bicêtre! Vite, vite, qu’on m’envoie mon premier agent!

L’huissier sortit vivement pour obéir à l’ordre qu’il venait de recevoir.

– Le misérable est sorcier, murmura l’infortuné magistrat. Je suis lieutenant de police du roi, moi; il est lieutenant de police du diable, lui.

Le lecteur a déjà compris, sans doute, ce que M. de Sartine ne pouvait s’expliquer. Aussitôt après la scène du pistolet, et tandis que le lieutenant de police essayait de se remettre, Balsamo, profitant de ce moment de répit, s’était orienté, et, se tournant successivement vers les quatre points cardinaux, bien sûr de rencontrer Lorenza vers l’un d’eux, il avait ordonné à la jeune femme de se lever, de sortir, et de retourner par le même chemin qu’elle avait déjà pris, c’est-à-dire rue Saint-Claude.

Aussitôt cette volonté formulée dans l’esprit de Balsamo, un courant magnétique s’était établi entre lui et la jeune femme, laquelle, obéissant à l’ordre qu’elle recevait par intuition, s’était levée et retirée sans que personne s’opposât à son départ.

M. de Sartine, le soir même, se mit au lit et se fit saigner; la révolution avait été trop forte pour qu’il put la supporter impunément, et un quart d’heure de plus, assura le médecin, il eût succombé à une attaque d’apoplexie.

Pendant ce temps, Balsamo avait reconduit la comtesse à son carrosse, et avait essayé de prendre congé d’elle; mais elle n’était pas femme à le quitter ainsi sans savoir, ou tout au moins sans chercher à savoir le mot de l’étrange événement qui venait de s’accomplir sous ses yeux.

Elle pria donc le comte de monter près d’elle; le comte obéit, et un piqueur emmena Djérid en main.

– Vous voyez, comte, si je suis loyale, dit-elle, et si, quand j’ai appelé quelqu’un mon ami, j’ai dit la parole avec la bouche ou avec le cœur. J’allais retourner à Luciennes, où le roi m’a dit qu’il devait venir me voir demain matin; mais votre lettre est venue et j’ai tout quitté pour vous. Beaucoup se fussent épouvantés de ces mots de conspirations et de conspirateurs que M. de Sartine nous jetait au visage; mais je vous ai regardé avant que d’agir et j’ai fait selon vos vœux.

– Madame, répondit Balsamo, vous avez payé amplement le faible service que j’ai pu vous rendre; mais avec moi rien n’est perdu; je sais être reconnaissant, vous vous en apercevrez. Ne croyez pas cependant que je sois un coupable, un conspirateur, comme dit M. de Sartine. Ce cher magistrat avait reçu des mains de quelqu’un qui me trahit ce coffret plein de mes petits secrets chimiques, secrets, madame la comtesse, que je veux vous faire partager, pour que vous conserviez cette immortelle, cette splendide beauté, cette éblouissante jeunesse. Or, voyant les chiffres de mes formules, le cher M. de Sartine a appelé à son aide la chancellerie, laquelle, pour ne pas se laisser prendre en défaut, a interprété mes chiffres à sa manière. Je crois vous l’avoir dit une fois, madame, le métier n’est pas encore affranchi de tous les périls qui l’entouraient au Moyen Âge; il n’y a que les esprits intelligents et jeunes comme le vôtre qui lui soient favorables. Bref, madame, vous m’avez sauvé d’un embarras; je vous en témoigne et vous en prouverai ma reconnaissance.