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– Sans doute, je le garderai, dit Gilbert.

– Oui; mais nous entendons la chose de deux façons différentes. Je dis: gardez-le pour vous, et n’allez pas célébrer votre culte dans les corridors de Trianon ou dans les antichambres de Versailles.

– Hum! fit Gilbert.

– Il n’y a pas de hum! Vous n’êtes pas si savant, mon petit philosophe, que vous ne puissiez apprendre beaucoup de choses d’une femme; et d’abord, premier axiome: on ne ment pas en se taisant; retenez bien ceci.

– Mais si l’on m’interroge?

– Qui cela? Êtes-vous fou, mon ami? Bon Dieu! qui songe donc à vous au monde, si ce n’est moi? Vous n’avez pas encore d’école, ce me semble, monsieur le philosophe. L’espèce dont vous faites partie est encore rare. Il faut courir les grands chemins et battre les buissons pour trouver vos pareils. Vous demeurerez avec moi, et je ne vous donne pas quatre fois vingt-quatre heures pour que nous vous voyions transformé en courtisan parfait.

– J’en doute, répondit impérieusement Gilbert.

Chon haussa les épaules.

Gilbert sourit.

– Mais brisons là, reprit Chon; d’ailleurs, vous n’avez besoin de plaire qu’à trois personnes.

– Et ces trois personnes sont?

– Le roi, ma sœur et moi.

– Que faut-il faire pour cela?

– Vous avez vu Zamore? demanda la jeune femme évitant de répondre directement à la question.

– Ce nègre? fit Gilbert avec un profond mépris.

– Oui, ce nègre.

– Que puis-je avoir de commun avec lui?

– Tâchez que ce soit la fortune, mon petit ami. Ce nègre a déjà deux mille livres de rente sur la cassette du roi. Il va être nommé gouverneur du château de Luciennes, et tel qui a ri de ses grosses lèvres et de sa couleur lui fera la cour, l’appellera monsieur et même monseigneur.

– Ce ne sera pas moi, madame, fit Gilbert.

– Allons donc! dit Chon, je croyais qu’un des premiers préceptes des philosophes était que tous les hommes sont égaux?

– C’est pour cela que je n’appellerai pas Zamore monseigneur.

Chon était battue par ses propres armes. Elle se mordit les lèvres à son tour.

– Ainsi, vous n’êtes pas ambitieux? dit-elle.

– Si fait! dit Gilbert les yeux étincelants, au contraire.

– Et votre ambition, si je me souviens bien, était d’être médecin?

– Je regarde la mission de porter secours à ses semblables comme la plus belle qu’il y ait au monde.

– Eh bien! votre rêve sera réalisé.

– Comment cela?

– Vous serez médecin, et médecin du roi, même.

– Moi! s’écria Gilbert; moi, qui n’ai pas les premières notions de l’art médical?… Vous riez, madame.

– Eh! Zamore sait-il ce que c’est qu’une herse, qu’un mâchicoulis, qu’une contrescarpe? Non, vraiment, il l’ignore et ne s’en inquiète pas. Ce qui n’empêche pas qu’il ne soit gouverneur du château de Luciennes, avec tous les privilèges attachés à ce titre.

– Ah! oui, oui, je comprends, dit amèrement Gilbert, vous n’avez qu’un bouffon, ce n’est point assez. Le roi s’ennuie; il lui en faut deux.

– Bien, s’écria Chon, le voilà qui reprend sa mine allongée. En vérité, vous vous rendez laid à faire plaisir, mon petit homme. Gardez toutes ces mines fantasques pour le moment où la perruque sera sur votre tête et le chapeau pointu sur la perruque; alors, au lieu d’être laid, ce sera comique.

Gilbert fronça une seconde fois le sourcil.

– Voyons, dit Chon, vous pouvez bien accepter le poste de médecin du roi, quand M. le duc de Tresme sollicite le titre de sapajou de ma sœur?

Gilbert ne répondit rien. Chon lui fit l’application du proverbe: «Qui ne dit mot, consent.»

– Pour preuve que vous commencez d’être en faveur, dit Chon, vous ne mangerez point aux offices.

– Ah! merci, madame, répondit Gilbert.

– Non, j’ai déjà donné des ordres à cet effet.

– Et où mangerai-je?

– Vous partagerez le couvert de Zamore.

– Moi?

– Sans doute; le gouverneur et le médecin du roi peuvent bien manger à la même table. Allez donc dîner avec lui si vous voulez.

– Je n’ai pas faim, répondit rudement Gilbert.

– Très bien, dit Chon avec tranquillité; vous n’avez pas faim maintenant, mais vous aurez faim ce soir.

Gilbert secoua la tête.

– Si ce n’est ce soir, ce sera demain, après-demain. Ah! vous vous adoucirez, monsieur le rebelle, et si vous nous donnez trop de mal, nous avons M. le correcteur des pages qui est à notre dévotion.

Gilbert frissonna et pâlit.

– Rendez-vous donc près du seigneur Zamore, dit Chon avec sévérité; vous ne vous en trouverez pas mal; la cuisine est bonne; mais prenez garde d’être ingrat, car on vous apprendrait la reconnaissance.

Gilbert baissa la tête.

Il en était ainsi chaque fois qu’au lieu de répondre il venait de se résoudre à agir.

Le laquais qui avait amené Gilbert attendait sa sortie. Il le conduisit dans une petite salle à manger attenante à l’antichambre où il avait été introduit. Zamore était à table.

Gilbert alla s’asseoir près de lui, mais on ne put le forcer à manger.

Trois heures sonnèrent; madame du Barry partit pour Paris. Chon, qui devait la rejoindre plus tard, donna ses instructions pour qu’on apprivoisât son ours. Force entremets sucrés s’il faisait bon visage; force menaces, suivies d’une heure de cachot, s’il continuait de se rebeller.

À quatre heures, on apporta dans la chambre de Gilbert le costume complet du médecin malgré lui: bonnet pointu, perruque, justaucorps noir, robe de même couleur. On y avait joint la collerette, la baguette et le gros livre.

Le laquais, porteur de toute cette défroque, lui montra l’un après l’autre chacun de ces objets; Gilbert ne témoigna aucune intention de résister.

M, Grange entra derrière le laquais, et lui apprit comment on devait mettre les différentes pièces du costume; Gilbert écouta patiemment toute la démonstration de M. Grange.

– Je croyais, dit seulement Gilbert, que les médecins portaient autrefois une écritoire et un petit rouleau de papier.

– Ma foi! il a raison, dit M. Grange; cherchez-lui une longue écritoire, qu’il se pendra à la ceinture.

– Avec plume et papier, cria Gilbert. Je tiens à ce que le costume soit complet.