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Gilbert se releva beau de sa colère et de sa joie sauvage.

– C’est cela, dit-il en étendant le poing vers le pavillon d’Andrée, tu m’as condamné à la honte, à l’isolement, au remords, à l’amour… Je te condamne, moi, à la souffrance sans fruit, à l’isolement, à là honte, à la terreur, à la haine sans vengeance. Tu me chercheras, j’aurai fui; tu appelleras l’enfant, dusses-tu le déchirer si tu le retrouvais; mais ce sera au moins une rage de désir que j’aurai allumée dans ton âme; ce sera une lame sans poignée que j’aurai enfoncée dans ton cœur… Oui, oui, l’enfant! J’aurai l’enfant, Andrée; j’aurai, non pas ton enfant comme tu dis, mais le mien. Gilbert aura son enfant! fils noble par sa mère… Mon enfant!… mon enfant!…

Et il s’anima insensiblement des transports d’une ivresse de joie.

– Allons, dit-il, il ne s’agit plus de dépits vulgaires ou de petites lamentations pastorales; il s’agit d’un bel et bon complot. Ce n’est plus d’ordonner à mon regard de n’aller pas chercher le pavillon, mais bien d’ordonner à toute ma force, à toute mon âme, de veiller pour assurer le succès de mon entreprise.

«Je veillerai, Andrée! dit-il solennellement en s’approchant de la fenêtre, jour et nuit! Tu ne feras plus un mouvement que je ne l’épie; tu ne pousseras pas un cri de douleur, que je ne te promette une douleur plus aiguë; tu n’ébaucheras pas un sourire, que je n’y réponde par un rire sardonique et insultant. Tu es ma proie, Andrée; une partie de toi est ma proie; je veille, je veille!

Alors, il s’approcha de la lucarne, et vit les persiennes du pavillon s’ouvrir; puis l’ombre d’Andrée glissa sur les rideaux et sur le plafond de la chambre, reflétée sans doute par quelque glace.

Ensuite vint Philippe, qui s’était levé plus tôt, mais qui avait travaillé dans sa chambre à lui, située derrière celle d’Andrée.

Gilbert remarqua combien la conversation des deux amis était animée. Assurément on parlait de lui, de la scène de la veille. Philippe se promenait avec une sorte de perplexité. Cette arrivée de Gilbert avait peut-être changé quelque chose aux projets d’installation; peut-être allait-on chercher autre part la paix, les ténèbres, l’oubli.

À cette idée, les yeux de Gilbert devinrent des rayons lumineux qui eussent embrasé le pavillon et pénétré jusqu’au centre du monde!

Mais presque aussitôt une fille de service entra par la porte du jardin; elle venait avec une recommandation quelconque. Andrée l’agréa, car elle installa immédiatement son petit paquet de hardes dans la chambre qu’occupait autrefois Nicole; puis divers achats de meubles, d’ustensiles et de provisions confirmèrent le vigilant Gilbert dans la certitude d’une habitation paisible du frère et de la sœur.

Philippe visita et fit visiter, avec le plus grand soin, les serrures de la porte du jardin. Ce qui prouva surtout à Gilbert qu’on le soupçonnait d’être entré avec une fausse clef donnée peut-être par Nicole, c’est que le serrurier, Philippe présent, changea les gardes de la serrure.

Ce fut la première joie que Gilbert eût encore éprouvée depuis tous ces événements.

Il sourit avec ironie.

– Pauvres gens, murmura-t-il, ils ne sont pas bien dangereux; c’est à la serrure qu’ils s’en prennent, et ils ne me soupçonnent pas même d’avoir eu la force d’escalader!… Pauvre idée qu’ils ont de toi, Gilbert. Tant mieux! Oui, fière Andrée, ajouta-t-il, malgré les serrures de ta porte, si je voulais pénétrer chez toi, je le pourrais… Mais j’ai enfin le bonheur à mon tour; je te dédaigne… et, à moins que la fantaisie…

Il pirouetta sur ses talons, en singeant les roués de la cour.

– Mais non, reprit-il amèrement… c’est plus digne de moi, je ne veux plus de vous!… Dormez tranquille; j’ai mieux que votre possession pour vous torturer à mon aise; dormez!

Il quitta la lucarne, et, après avoir donné un coup d’œil à ses habits, il descendit l’escalier pour se rendre chez Balsamo.

Chapitre CLV Au 15 décembre

Gilbert n’éprouva, de la part de Fritz, aucune difficulté pour être introduit près de Balsamo.

Le comte se reposait sur un sofa, comme les gens riches et oisifs, de la fatigue d’avoir dormi toute la nuit; du moins c’est ce que pensa Gilbert en le voyant ainsi étendu à une pareille heure.

Il faut croire que l’ordre avait été donné au valet de chambre d’introduire Gilbert aussitôt qu’il se présenterait, car il n’eut pas besoin de dire son nom ou même d’ouvrir la bouche.

À son entrée dans le salon, Balsamo se souleva légèrement sur son coude et referma son livre, qu’il tenait ouvert sans le lire.

– Oh! oh! dit-il, voici un garçon qui se marie.

Gilbert ne répondit rien.

– C’est bon, fit le comte en reprenant son attitude insolente, tu es heureux et tu es presque reconnaissant. C’est fort beau. Tu viens me remercier; c’est du superflu. Garde cela, Gilbert, pour de nouveaux besoins. Les remerciements sont une monnaie de retour qui satisfait beaucoup de gens lorsqu’elle est distribuée avec un sourire. Va, mon ami, va.

Il y avait dans ces paroles et dans le ton que Balsamo avait mis à les prononcer quelque chose de profondément lugubre et doucereux, qui frappa Gilbert à la fois comme un reproche et comme une révélation.

– Non, dit-il, vous vous trompez, monsieur, je ne me marie pas du tout.

– Ah! fit le comte, que fais-tu donc alors?… Que t’est-il arrivé?

– Il est arrivé qu’on m’a éconduit, répliqua Gilbert.

Le comte se retourna tout à fait.

– Tu t’y es mal pris, mon cher.

– Mais non pas, monsieur; je ne crois pas, du moins.

– Qui t’a évincé?

– La demoiselle.

– C’était certain; pourquoi n’as-tu pas parlé au père?

– Parce que la fatalité n’a pas voulu.

– Ah! nous sommes fataliste?

– Je n’ai pas le moyen d’avoir de la foi.

Balsamo fronça le sourcil, et regarda Gilbert avec une sorte de curiosité.

– Ne parle pas ainsi des choses que tu ne connais pas, dit-il; chez les hommes faits, c’est de la bêtise; chez les enfants, c’est de l’outrecuidance. Je te permets d’avoir de l’orgueil, mais non d’être un imbécile; dis-moi que tu n’as pas le moyen d’être un sot, et je t’approuverai. Au résumé, qu’as-tu fait?

– Voici. J’ai voulu, comme les poètes, aller songer au lieu d’agir; j’ai voulu m’aller promener dans des allées où j’avais eu du plaisir à rêver d’amour, et tout à coup la réalité s’est présentée à moi sans que je fusse préparé: la réalité m’a tué sur place.