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Quant son visage, qui avait toute la mobilit des types mridionaux, ctait un singulier mlange de force et de finesse: son regard, qui pouvait exprimer tous les sentiments, semblait, lorsquil sarrtait sur quelquun, plonger dans celui sur lequel il sarrtait deux rayons de lumire destins clairer jusqu son me. Ses joues brunes avaient t, cela se voyait tout dabord, hles par les rayons dun soleil plus brlant que le notre. Enfin, une bouche grande, mais belle de forme, souvrait pour laisser voir un double rang de dents magnifiques que la haleur du teint faisait paratre plus blanches encore. Le pied tait long, mais fin; la main tait petite, mais nerveuse.

peine celui dont nous venons de tracer le portrait eut-il fait dix pas au milieu des noirs sapins, quil entendit de rapides pitinements vers lendroit o il avait laiss son cheval. Son premier mouvement, mouvement sur lintention duquel il ny avait point se tromper, fut de retourner sur ses pas; mais il se retint. Cependant, ne pouvant rsister au dsir de savoir ce qutait devenu Djrid, il se haussa sur la pointe des pieds, dardant son regard par une claircie; entran par une main invisible qui avait dnou sa bride, Djrid avait dj disparu.

Le front de linconnu se plissa lgrement, et quelque chose comme un sourire crispa ses joues pleines et ses lvres ciseles fines artes.

Puis il continua son chemin vers le centre de la fort.

Pendant quelques pas encore, le crpuscule extrieur pntrant travers les arbres guida sa marche; mais bientt ce faible reflet venant lui manquer, il se trouva dans une nuit tellement paisse que, cessant de voir o il mettait le pied et craignant sans doute de sgarer, il sarrta.

Je suis bien venu jusqu Danenfels, dit-il tout haut, car de Mayence Danenfels il y a une route; jai bien t de Danenfels la Bruyre-Noire, parce que de Danenfels la Bruyre-Noire il y a un sentier; je suis bien venu de la Bruyre-Noire ici, quoiquil ny et ni route ni sentier, car japercevais la fort; mais ici, je suis forc de marrter: je ny vois plus.

peine ces mots taient-ils prononcs dans un dialecte moiti franais, moiti sicilien, quune lumire jaillit subitement cinquante pas peu prs du voyageur.

Merci, dit-il; maintenant que cette lumire marche, je la suivrai.

Aussitt la lumire marcha sans oscillation, sans secousse, avanant dun mouvement gal, comme glissent sur nos thtres ces flammes fantastiques dont la marche est rgle par le machiniste et le metteur en scne.

Le voyageur fit encore cent pas peu prs, puis il crut entendre comme un souffle son oreille.

Il tressaillit.

Ne te retourne pas, dit une voix droite, ou tu es mort!

Bien, rpondit sans sourciller limpassible voyageur.

Ne parle pas, dit une voix gauche, ou tu es mort!

Le voyageur sinclina sans parler.

Mais si tu as peur, articula une troisime voix qui, pareille celle du pre dHamlet, semblait sortir des entrailles de la terre, si tu as peur, reprends le chemin de la plaine, cela signifiera que tu renonces, et on te laissera retourner do tu viens.

Le voyageur se contenta de faire un geste de la main, et continua sa route.

La nuit tait si sombre et la fort si paisse, que, malgr la lueur qui le guidait, le voyageur navanait quen trbuchant. Durant une heure peu prs, la flamme marcha, et le voyageur la suivit sans faire entendre un murmure, sans donner un signe de crainte.

Tout coup elle disparut.

Le voyageur tait hors de la fort. Il leva les yeux; travers le sombre azur du ciel scintillaient quelques toiles.

Il continua de marcher en avant dans la direction o avait disparu la lumire, mais bientt il vit surgir devant lui une ruine, spectre dun vieux chteau.

En mme temps son pied heurta des dcombres.

Aussitt un objet glac se colla sur ses tempes et mura ses yeux. Ds lors il ne vit plus mme les tnbres.

Un bandeau de linge mouill emprisonnait sa tte. Ctait chose convenue sans doute, ctait au moins chose laquelle il sattendait, car il ne fit aucun effort pour enlever ce bandeau. Seulement il tendit silencieusement la main comme fait un aveugle qui rclame un guide.

Ce geste fut compris, car linstant mme une main froide, aride, osseuse, se cramponna aux doigts du voyageur.

Il reconnut que ctait la main dcharne dun squelette; mais si cette main et t doue du sentiment, elle et, de son ct, reconnu que la sienne ne tremblait pas.

Alors le voyageur se sentit rapidement entran pendant lespace de cent toises.

Soudain la main quitta la sienne, le bandeau senvola de son front, et linconnu sarrta: il tait arriv au sommet du Mont-Tonnerre.

II. Celui qui est

Au milieu dune clairire forme par des bouleaux chauves de vieillesse, slevait le rez-de-chausse dun de ces chteaux en ruines que les seigneurs fodaux semrent jadis dans lEurope au retour des croisades.

Les porches sculpts de fins ornements, et dont chaque cavit, au lieu de la statue, mutile et prcipite au pied de la muraille, recelait une touffe de bruyres ou de fleurs sauvages, dcoupaient sur un ciel blafard leurs ogives denteles par les boulements.

Le voyageur, en ouvrant les yeux, se trouva devant les marches humides et moussues du portique principaclass="underline" sur la premire de ces marches se tenait debout le fantme la main osseuse qui lavait amen jusque-l.

Un long suaire lenveloppait de la tte au pied; sous les plis du linceul, ses orbites sans regard tincelaient, sa main dcharne tait tendue vers lintrieur des ruines, et semblait indiquer au voyageur, comme terme de sa route, une salle dont llvation au-dessus du sol cachait les parties infrieures, mais aux votes effondres de laquelle on voyait trembler une lumire sourde et mystrieuse.

Le voyageur inclina sa tte en signe de consentement. Le fantme monta lentement un un et sans bruit les degrs, et senfona dans les ruines; linconnu le suivit du mme pas tranquille et solennel sur lequel il avait toujours rgl sa marche, franchit un un son tour les degrs quavait franchis le fantme, et entra.

Derrire lui se referma, aussi bruyamment quun mur vibrant dairain, la porte du porche principal.

lentre dune salle circulaire vide, tendue de noir et claire par trois lampes aux reflets verdtres, le fantme stait arrt.

dix pas de lui le voyageur sarrta son tour.

Ouvre les yeux, dit le fantme.

Jy vois, rpondit linconnu.

Tirant alors avec un geste rapide et fier une pe deux tranchants de son linceul, le fantme frappa sur une colonne de bronze qui rpondit au coup par un mugissement mtallique.

Aussitt et tout autour de la salle des dalles se soulevrent et des fantmes sans nombre, pareils au premier, apparurent arms chacun dune pe double tranchant et prirent place sur des gradins de mme forme que la salle o se refltait particulirement la lueur verdtre des trois lampes et o ils semblaient, confondus avec la pierre par leur froideur et leur immobilit, des statues sur leurs pidestaux.

Chacune de ces statues humaines se dtachait trangement sur la draperie noire qui, comme nous lavons dit, couvrait les murs.

Sept siges taient placs en avant du premier degr; sur ces siges taient assis six fantmes qui paraissaient des chefs; un de ces siges tait vide.

Celui qui tait assis sur le sige du milieu se leva.

Combien sommes-nous ici, mes frres? demanda-t-il en se tournant du ct de lassemble.

Trois cents, rpondirent les fantmes dune seule et mme voix qui tonna dans la salle, puis presque aussitt alla se briser sur la tenture funraire des murailles.