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De nos jours une pareille particularit naurait dautre rsultat que de faire croire quelque invention nouvelle et progressive, dans laquelle le mcanicien aurait savamment combin la puissance de la vapeur avec la force des chevaux.

La chose et t dautant plus probable que la voiture, prcde, comme nous lavons dit, de quatre chevaux et de deux postillons, tait suivie dun seul cheval retenu larrire par une longe. Ce cheval qui offrait, grce sa tte petite et busque, ses jambes grles, sa poitrine troite, sa crinire paisse et sa queue flamboyante, les signes caractristiques de la race arabe, tait tout sell; ce qui indiquait que parfois quelquun des voyageurs mystrieux enferms dans cette arche de No se donnait le plaisir de la cavalcade, et galopait ct de la voiture laquelle une pareille allure semblait irrvocablement interdite.

Pont--Mousson, le postillon du relais prcdent avait reu, avec le prix de sa poste, doubles guides dune main blanche et musculeuse, qui stait glisse entre les deux rideaux de cuir qui fermaient la partie antrieure du cabriolet presque aussi hermtiquement que les rideaux de mousseline fermaient la partie antrieure de la caisse.

Le postillon merveill avait, en tant vivement son chapeau, dit:

Merci, monseigneur.

Et une voix sonore avait rpondu en allemand, langue quon entend encore si on ne la parle plus dans les environs de Nancy:

Schnell, schneller!

Ce qui, traduit en franais, voulait dire:

Vite, plus vite!

Les postillons entendent peu prs toutes les langues, quand on accompagne les paroles quon leur adresse dune certaine musique mtallique, dont cette race la chose est parfaitement connue des voyageurs, dont cette race, disons-nous, est particulirement friande; aussi les deux nouveaux postillons firent-ils tout ce quils purent pour partir au galop, et ce ne fut quaprs des efforts qui faisaient plus dhonneur la vigueur de leurs bras qu celle des jarrets de leurs chevaux quils purent enfin consentir, de guerre lasse, se restreindre un trot fort convenable, puisquil permettait videmment de faire deux lieues et demie ou trois lieues lheure.

Vers sept heures on relayait Saint-Mihiel; la mme main passait travers les rideaux le payement de la poste franchie, et la mme voix faisait entendre pareille recommandation.

Il va sans dire que la singulire voiture excitait la mme curiosit qu Pont--Mousson, la nuit qui sapprochait contribuant lui donner un aspect plus fantastique encore.

Aprs Saint-Mihiel commence la montagne. Arrivs l, il fallut bien que les voyageurs se contentassent daller au pas: on mit une demi-heure faire un quart de lieue peu prs.

Sur la cime de la monte, les postillons sarrtrent pour laisser souffler un instant leurs chevaux, et les voyageurs du cabriolet purent, en cartant les rideaux de cuir, embrasser un horizon assez tendu, mais que les premires vapeurs du soir commenaient voiler.

Le temps, qui avait t clair et chaud jusqu trois heures de laprs-midi, tait devenu touffant vers le soir. Un gros nuage blanc venant du sud, et qui semblait suivre la voiture avec prmditation, menaait de latteindre avant quelle et gagn Bar-le-Duc, o les postillons proposaient tout hasard de sarrter pour passer la nuit.

Le chemin, resserr dun ct par la montagne et de lautre par un talus escarp, descendant vers une valle au fond de laquelle on voyait serpenter la Meuse, offrait pendant une demi-lieue une pente si rapide, quil et t dangereux de descendre cette pente autrement quau pas; aussi fut-ce lallure prudente quadoptrent les postillons lorsquils se remirent en route.

Le nuage avanait toujours, et, comme il tait puissant et rasait de prs la terre, il stendait en agglomrant les vapeurs qui montaient du sol; aussi le voyait-on, dans sa blancheur sinistre, repousser toutes les autres nues bleutres qui cherchaient se placer sous le vent, comme font les navires un jour de bataille.

Bientt, grce ce nuage qui stendait au ciel avec la rapidit dune mare qui monte, les derniers rayons du soleil furent intercepts: un jour gris et terne filtra pniblement sur la terre, et les feuillages tremblants, sans que la moindre brise passt dans lair, prirent cette teinte noire quils revtent sous les premires couches dobscurit qui suivent labsence du soleil.

Tout coup un clair sillonna la nue, le ciel se fendit en losanges de feu, et lil effray put plonger dans les profondeurs incommensurables du firmament, ardentes comme celles de lenfer.

Au mme instant un coup de tonnerre bondissant darbre en arbre jusquau bout du bois que traversait la route, secoua la terre elle-mme et fit courir la grande nue comme un cheval furieux.

De son ct la voiture roulait toujours, continuant de lancer de la fume par sa chemine; seulement, de noire quelle tait dabord, cette fume tait devenue subtile et couleur dopale.

Sur ces entrefaites le ciel sassombrit comme par secousses; alors le vasistas de limpriale sempourpra dune vive lueur et demeura clair; il tait vident que lhabitant de la cellule roulante, tranger aux accidents extrieurs, prenait ses prcautions contre la nuit afin de ne pas tre interrompu dans luvre quil accomplissait.

La voiture tait encore sur le plateau de la montagne; elle navait pas encore commenc doprer sa descente, lorsquun second coup de tonnerre, plus violent et plus charg de vibrations mtalliques que le premier, dgagea la pluie des nuages; elle tomba dabord en larges gouttes, puis bientt elle jaillit drue et raide, comme des brasses de flches quon et lances du ciel.

Les postillons semblrent se consulter: la voiture sarrta.

Eh bien! demanda la mme voix, mais cette fois en excellent franais, que diable faisons-nous?

Nous nous demandons si nous devons aller plus loin, dirent les postillons.

Il me semble, dabord, que cest moi, non pas vous, quil faudrait demander cela, reprit la voix. Allez!

Il y avait un accent de commandement si puissant et si rel dans cette voix, que les postillons obirent et que la voiture commena de rouler sur la pente de la montagne.

la bonne heure! reprit la voix.

Et les rideaux de cuir, un instant entrouverts, retombrent de nouveau entre les voyageurs et lavant-train du cocher.

Mais la route, naturellement glaiseuse, humide et dtrempe encore par les torrents de pluie qui tombaient du ciel, devint tout coup si glissante, que les chevaux refusrent davancer.

Monsieur, dit le postillon qui montait le timonier, il est impossible daller plus loin.

Pourquoi cela? demanda la voix que nous connaissons.

Parce que les chevaux ne marchent plus: ils patinent.

combien sommes-nous du relais?

Ah! celui-ci est long, monsieur; nous en sommes quatre lieues.

Eh bien! postillon, mets tes chevaux des fers dargent et ils marcheront, dit ltranger en ouvrant le rideau et en lui tendant quatre cus de six livres.

Vous tes bien bon, dit le postillon en recevant les cus dans sa large main et en les glissant dans sa vaste botte.

Monsieur te parle, il me semble? dit le second postillon, lequel ayant entendu le bruit argentin quavaient rendu en sengloutissant les cus de six livres, dsirait ntre point exclu dune conversation qui prenait un si grand intrt.

Oui, il dit comme a que nous marchions.

Avez-vous quelque chose contre ce dsir, mon ami? dit le voyageur dune voix affectueuse mais ferme, et qui indiquait que, sur ce point, il ne souffrirait point de contradiction.

Non, monsieur, ce nest pas moi, ce sont les chevaux; voyez, ils refusent davancer.

Et quoi servent donc les perons? dit le voyageur.

Ah! je leur enfoncerais la molette dans le ventre, quils ne feraient pas un pas de plus; je veux que le ciel mextermine si

Le postillon ne put achever ce blasphme: un coup de foudre effrayant par le bruit et la flamme lui coupa la parole.