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Au bout de cette heure, la porte par laquelle il tait entr se rouvrit, et un laquais parut qui lui dit:

Venez!

Chapitre 41. Le mdecin malgr lui

Gilbert se sentait dsagrablement affect davoir obir un laquais; nanmoins, comme il sagissait sans doute dun changement dans son tat, et quil lui semblait que tout changement lui devait tre avantageux, il se hta.

Mademoiselle Chon, libre enfin de toute ngociation aprs avoir mis sa belle-sur au courant de sa mission prs de madame de Barn, djeunait fort laise, dans un beau dshabill du matin, prs dune fentre, la hauteur de laquelle montaient les acacias et les marronniers du plus prochain quinconce.

Elle mangeait de fort bon apptit, et Gilbert remarqua que cet apptit tait justifi par un salmis de faisans et par une galantine aux truffes.

Le philosophe Gilbert, introduit auprs de mademoiselle Chon, chercha des yeux sur le guridon la place de son couvert: il sattendait une invitation.

Mais Chon ne lui offrit pas mme un sige.

Elle se contenta de jeter un coup dil sur Gilbert; puis ayant aval un petit verre de vin couleur de topaze:

Voyons, mon cher mdecin, o en tes-vous avec Zamore? dit-elle.

O jen suis? demanda Gilbert.

Sans doute; jespre que vous avez fait connaissance.

Comment voulez-vous que je fasse connaissance avec une espce danimal qui ne parle pas, et qui, lorsquon lui parle, se contente de rouler les yeux et de montrer les dents?

Vous meffrayez, rpondit Chon sans discontinuer son repas et sans que lair de son visage correspondt aucunement ses paroles; vous tes donc bien revche en amiti?

Lamiti suppose lgalit, mademoiselle.

Belle maxime! dit Chon. Alors vous ne vous tes pas cru lgal de Zamore?

Cest--dire, reprit Gilbert, que je nai pas cru quil ft le mien.

En vrit, dit Chon comme se parlant elle-mme, il est ravissant!

Puis, se retournant vers Gilbert, dont elle remarqua lair rogue:

Vous disiez donc, cher docteur, ajouta-t-elle, que vous donnez difficilement votre cur?

Trs difficilement, madame.

Alors, je me trompais quand je me flattais dtre de vos amies, et des bonnes?

Jai beaucoup de penchant pour vous personnellement, madame, dit Gilbert avec raideur. Mais

Ah! grand merci pour cet effort; vous me comblez! Et combien de temps faut-il, mon beau ddaigneux, pour quon obtienne vos bonnes grces?

Beaucoup de temps, madame; il y a mme des gens qui, quelque chose quils fassent, ne les obtiendront jamais.

Ah! cela mexplique comment, aprs tre rest dix-huit ans dans la maison du baron de Taverney, vous lavez quitte tout dun coup. Les Taverney navaient pas eu la chance de se mettre dans vos bonnes grces. Cest cela, nest-ce pas?

Gilbert rougit.

Eh bien! vous ne rpondez pas? continua Chon.

Que voulez-vous que je vous rponde, madame, si ce nest que toute amiti et toute confiance doivent se mriter.

Peste! il paratrait, en ce cas, que les htes de Taverney nauraient mrit ni cette amiti, ni cette confiance?

Tous? Non, madame.

Et que vous avaient fait ceux qui ont eu le malheur de vous dplaire?

Je ne me plains point, madame, dit firement Gilbert.

Allons, allons, dit Chon, je vois que, moi aussi, je suis exclue de la confiance de M. Gilbert. Ce nest cependant pas lenvie de la conqurir qui me manque; cest lignorance o je suis des moyens que lon doit employer.

Gilbert se pina les lvres.

Bref, ces Taverney nont pas su vous contenter, ajouta Chon avec une curiosit dont Gilbert sentit la tendance. Dites-moi donc un peu ce que vous faisiez chez eux?

Gilbert fut assez embarrass, car il ne savait pas lui-mme ce quil faisait Taverney.

Madame, dit-il, jtais, jtais homme de confiance.

ces mots, prononcs avec le flegme philosophique qui caractrisait Gilbert, Chon fut prise dun tel accs de rire, quelle se renversa sur sa chaise en clatant.

Vous en doutez? dit Gilbert en fronant le sourcil.

Dieu men garde! Savez-vous, mon cher ami, que vous tes froce et que lon ne peut vous rien dire. Je vous demandais quels gens taient ces Taverney. Ce nest point pour vous dsobliger, mais bien plutt pour vous servir en vous vengeant.

Je ne me venge pas, ou je me venge moi-mme, madame.

Trs bien; mais nous avons nous-mmes un grief contre les Taverney; puisque de votre ct vous en avez un, et mme peut-tre plusieurs, nous sommes donc naturellement allis.

Vous vous trompez, madame; ma faon de me venger ne peut avoir aucun rapport avec la vtre, car vous parlez des Taverney en gnral, et moi jadmets diffrentes nuances dans les divers sentiments que je leur porte.

Et M. Philippe de Taverney, par exemple, est-il dans les nuances sombres ou dans les nuances tendres?

Je nai rien contre M. Philippe. M. Philippe ne ma jamais fait ni bien ni mal. Je ne laime ni le dteste; il mest tout fait indiffrent.

Alors vous ne dposeriez pas devant le roi ou devant M. de Choiseul contre M. Philippe de Taverney?

quel propos?

propos de son duel avec mon frre.

Je dirais ce que je sais, madame, si jtais appel dposer.

Et que savez-vous?

La vrit.

Voyons, quappelez-vous la vrit? Cest un mot bien plastique.

Jamais pour celui qui sait distinguer le bien du mal, le juste de linjuste.

Je comprends: le bien cest M. Philippe de Taverney; le mal cest M. le vicomte du Barry.

Oui, madame, mon avis, et selon ma conscience, du moins.

Voil ce que jai recueilli en chemin! dit Chon avec aigreur; voil comment me rcompense celui qui me doit la vie!

Cest--dire, madame, celui qui ne vous doit pas la mort.

Cest la mme chose.

Cest bien diffrent, au contraire.

Comment cela?

Je ne vous dois pas la vie; vous avez empch vos chevaux de me lter, voil tout, et encore ce nest pas vous, cest le postillon.

Chon regarda fixement le petit logicien qui marchandait si peu avec les termes.

Jaurais attendu, dit-elle en adoucissant son sourire et sa voix, un peu plus de galanterie de la part dun compagnon de voyage qui savait si bien, pendant la route, trouver mon bras sous un coussin et mon pied sur son genou.

Chon tait si provocante avec cette douceur et cette familiarit, que Gilbert oublia Zamore, le tailleur et le djeuner auquel on avait oubli de linviter.

Allons! allons, nous voil redevenu gentil, dit Chon en prenant le menton de Gilbert dans sa main. Vous tmoignerez contre Philippe de Taverney, nest-ce pas?

Oh! pour cela, non, fit Gilbert. Jamais!

Pourquoi donc, entt?

Parce que M. le vicomte Jean a eu tort.

Et en quoi a-t-il eu tort, sil vous plat?

En insultant la dauphine. Tandis quau contraire, M. Philippe de Taverney

Eh bien?

Avait raison en la dfendant.

Ah! nous tenons pour la dauphine, ce quil semble?

Non, je tiens pour la justice.

Vous tes un fou, Gilbert! taisez-vous, quon ne vous entende point parler ainsi dans ce chteau.

Alors dispensez-moi de rpondre quand vous minterrogerez.

Changeons de conversation, en ce cas.

Gilbert sinclina en signe dassentiment.

a, petit garon, demanda la jeune femme dun ton de voix assez dur, que comptez-vous faire ici, si vous ne vous y rendez agrable?

Faut-il me rendre agrable en me parjurant?

Mais o donc allez-vous prendre tous ces grands mots-l?

Dans le droit que chaque homme a de rester fidle sa conscience.

Bah! dit Chon, quand on sert un matre, ce matre assume sur lui toute responsabilit.

Je nai pas de matre, grommela Gilbert.

Et au train dont vous y allez, petit niais, dit Chon en se levant comme une belle paresseuse, vous naurez jamais de matresse. Maintenant, je rpte ma question, rpondez-y catgoriquement: que comptez-vous faire chez nous?