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Gilbert dchira sa longue robe en trois morceaux quil attacha bout bout, dposa sur la table le chapeau, prs du chapeau la bourse, et crivit:

Madame,

Le premier des biens est la libert. Le plus saint des devoirs de lhomme est de la conserver. Vous me violentez, je maffranchis.

Gilbert.

Gilbert plia la lettre, la mit ladresse de mademoiselle Chon, attacha ses douze pieds de serge aux barreaux de la fentre, entre lesquels il glissa comme une couleuvre, sauta sur la terrasse, au risque de sa vie, quand il fut au bout de la corde, et alors, quoiquun peu tourdi du saut quil venait de faire, il courut aux arbres, se cramponna aux branches, glissa sous le feuillage comme un cureuil, arriva au sol, et toutes jambes disparut dans la direction des bois de Ville-dAvray.

Lorsquau bout dune demi-heure on revint pour le chercher, il tait dj loin de toute atteinte.

Chapitre 42. Le vieillard

Gilbert navait pas voulu prendre les routes de peur dtre poursuivi; il avait gagn, de bois en bois, une espce de fort dans laquelle il sarrta enfin. Il avait d faire une lieue et demie peu prs en trois quarts dheure.

Le fugitif regarda tout autour de lui: il tait bien seul. Cette solitude le rassura. Il essaya de se rapprocher de la route qui devait, daprs son calcul, conduire Paris.

Mais des chevaux quil aperut sortant du village de Roquencourt, mens par des livres orange, leffrayrent tellement, quil fut guri de la tentation daffronter les grandes routes et se rejeta dans les bois.

Demeurons lombre de ces chtaigniers, se dit Gilbert; si lon me cherche quelque part, ce sera sur le grand chemin. Ce soir, darbre en arbre, de carrefour en carrefour, je me faufilerai vers Paris. On dit que Paris est grand; je suis petit, on my perdra.

Lide lui parut dautant meilleure que le temps tait beau, le bois ombreux, le sol moussu. Les rayons dun soleil pre et intermittent qui commenait disparatre derrire les coteaux de Marly avaient sch les herbes et tir de la terre ces doux parfums printaniers qui participent la fois de la fleur et de la plante.

On en tait arriv cette heure de la journe o le silence tombe plus doux et plus profond du ciel qui commence sassombrir, cette heure o les fleurs en se refermant cachent linsecte endormi dans leur calice. Les mouches dores et bourdonnantes regagnent le creux des chnes qui leur sert dasile, les oiseaux passent muets dans le feuillage o lon nentend que le frlement rapide de leurs ailes, et le seul chant qui retentisse encore est le sifflement accentu du merle, et le timide ramage du rouge-gorge.

Les bois taient familiers Gilbert; il en connaissait les bruits et les silences. Aussi, sans rflchir plus longtemps, sans se laisser aller des craintes puriles, se jeta-t-il sur les bruyres parsemes et l des feuilles de lhiver.

Bien plus, au lieu dtre inquiet, Gilbert ressentait une joie immense. Il aspirait longs flots lair libre et pur; il sentait que, cette fois encore, il avait triomph, en homme stoque, de tous les piges tendus aux faiblesses humaines. Que lui importait-il de navoir ni pain, ni argent, ni asile? Navait-il pas sa chre libert? Ne disposait-il pas de lui pleinement et entirement?

Il stendit donc au pied dun chtaignier gigantesque qui lui faisait un lit moelleux entre les bras de deux grosses racines moussues, et, tout en regardant le ciel qui lui souriait, il sendormit.

Le chant des oiseaux le rveilla; il tait jour peine. En se soulevant sur son coude bris par le contact du bois dur, Gilbert vit le crpuscule bleutre estomper la triple issue dun carrefour, tandis que et l, par les sentiers humides de rose, passaient, loreille penche, des lapins rapides, tandis que le daim curieux, qui pitinait sur ses fuseaux dacier, sarrtait au milieu dune alle pour regarder cet objet inconnu, couch sous un arbre, et qui lui conseillait de fuir au plus vite.

Une fois debout, Gilbert sentit quil avait faim; il navait pas voulu, on se le rappelle, dner la veille avec Zamore, de sorte que, depuis son djeuner dans les mansardes de Versailles, il navait rien pris. En se retrouvant sous les arceaux dune fort, lui, lintrpide arpenteur des grands bois de la Lorraine et de la Champagne, il se crut encore sous les massifs de Taverney ou dans les taillis de Pierrefitte, rveill par laurore aprs un afft nocturne entrepris pour Andre.

Mais alors, il trouvait toujours prs de lui quelque perdreau surpris au rappel, quelque faisan tu au branch, tandis que, cette fois, il ne voyait sa porte que son chapeau, dj fort maltrait par la route et achev par lhumidit du matin.

Ce ntait donc pas un rve quil avait fait, comme il lavait cru dabord en se rveillant. Versailles et Luciennes taient une ralit, depuis son entre triomphale dans lune jusqu sa sortie effarouche de lautre.

Puis, ce qui le ramena tout fait la ralit, ce fut une faim de plus en plus croissante, et, par consquent, de plus en plus aigu.

Machinalement alors il chercha autour de lui ces mres savoureuses, ces prunelles sauvages, ces croquantes racines de ses forts, dont le got, pour tre plus pre que celui de la rave, nen est pas moins agrable aux bcherons, qui vont le matin chercher, leurs outils sur lpaule, le canton du dfrichement.

Mais outre que ce ntait point la saison encore, Gilbert ne reconnut autour de lui que des frnes, des ormes, des chtaigniers, et ces ternelles glandes qui se plaisent dans les sables.

Allons, allons, se dit Gilbert lui-mme, jirai droit Paris. Je puis en tre encore trois ou quatre lieues, cinq tout au plus, cest une route de deux heures. Quimporte que lon souffre deux heures de plus quand on est sr de ne plus souffrir aprs! Paris tout le monde a du pain, et en voyant un jeune homme honnte et laborieux, le premier artisan que je rencontrerai ne me refusera point du pain pour du travail.

En un jour, Paris, on trouvera le repas du lendemain; que me faut-il de plus? Rien, pourvu que chaque lendemain me grandisse, mlve et me rapproche du but que je veux atteindre.

Gilbert doubla le pas; il voulait regagner la grand-route, mais il avait perdu tout moyen de sorienter. Taverney et dans tous les bois environnants, il connaissait lorient et loccident; chaque rayon de soleil lui tait un indice dheure et de chemin. La nuit, chaque toile, tout inconnue quelle lui tait sous son nom de Vnus, de Saturne ou de Lucifer, lui tait un guide. Mais dans ce monde nouveau, il ne connaissait pas plus les choses que les hommes, et il fallait trouver, au milieu des uns et des autres, son chemin en ttonnant au hasard.

Heureusement, se dit Gilbert, jai vu des poteaux o les routes sont indiques.

Et il savana jusquau carrefour, o il avait vu ces poteaux indicateurs.

Il y en avait trois en effet: lun conduisait au Marais-Jaune, lautre au Champ de lAlouette, le troisime au Trou-Sal.

Gilbert tait un peu moins avanc quauparavant; il courut trois heures sans pouvoir sortir du bois, renvoy du Rond du Roi au carrefour des Princes.

La sueur ruisselait de son front, vingt fois il avait mis bas son habit et sa veste pour escalader quelque chtaignier colossal; mais, arriv sa cime, il navait vu que Versailles, tantt sa droite, tantt sa gauche; Versailles vers lequel il semblait quune fatalit le rament constamment.

demi fou de rage, nosant sengager sur la grand-route dans la conviction que Luciennes tout entier courait aprs lui, Gilbert, gardant toujours le centre des bois, finit par dpasser Viroflay, puis Chaville, puis Svres.

Cinq heures et demie sonnaient au chteau de Meudon quand il arriva au couvent des Capucins, situ entre la manufacture et Bellevue; de l, montant sur une croix et au risque de la briser et de se faire rouer, comme Sirven, par arrt du Parlement, il aperut la Seine, le bourg et la fume des premires maisons.

Mais ct de la Seine, au milieu du bourg, devant le seuil de ces maisons, passait la grande route de Versailles, dont il avait tant dintrt scarter.