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Esprons que vous tenez encore un peu moi, comtesse.

Je nai pas fini, sire.

Continuez donc, madame.

Jai encore dire Votre Majest que je suis jolie, que je suis jeune, que jai encore devant moi dix annes de beaut, que je serai non seulement la plus heureuse femme du monde, mais encore la plus honore, du jour o je ne serai plus la matresse de Votre Majest. Vous souriez, sire. Je suis fche de vous dire alors que cest que vous ne rflchissez pas. Les autres favorites, mon cher roi, quand vous aviez assez delles, et que votre peuple en avait trop, vous les chassiez, et vous vous faisiez bnir de votre peuple, qui excrait la disgracie comme auparavant; mais, moi, je nattendrai pas mon renvoi. Moi, je quitterai la place et je ferai savoir tous que je lai quitte. Je donnerai cent mille livres aux pauvres, jirai passer huit jours pour faire pnitence dans un couvent, et, avant un mois, jaurai mon portrait dans toutes les glises pour faire pendant Madeleine repentante.

Oh! comtesse, vous ne parlez pas srieusement, dit le roi.

Regardez-moi, sire, et voyez si je suis ou non srieuse; jamais de ma vie, je vous le jure, au contraire, je ne parlai plus srieusement.

Vous ferez cette mesquinerie, Jeanne? Mais savez-vous que vous me mettez le march la main, madame la comtesse?

Non, sire; car vous mettre le march la main, ce serait vous dire simplement: Choisissez entre ceci et cela.

Tandis?

Tandis que je vous dis: Adieu, sire! et voil tout.

Le roi plit, mais cette fois de colre.

Si vous vous oubliez ainsi, madame, prenez garde

quoi, sire?

Je vous enverrai la Bastille.

Moi?

Oui, vous, et, la Bastille, on sennuie plus encore quau couvent.

Oh! sire, dit la comtesse en joignant les mains, si vous me faisiez cette grce

Quelle grce?

De menvoyer la Bastille.

Hein!

Vous me combleriez.

Comment cela?

Eh! oui. Mon ambition cache est dtre populaire comme M. de La Chalotais ou M. de Voltaire. La Bastille me manque pour cela; un peu de Bastille, et je suis la plus heureuse des femmes. Ce sera une occasion pour moi dcrire des mmoires sur moi, sur vos ministres, sur vos filles, sur vous-mme, et de transmettre ainsi toutes les vertus de Louis le Bien-Aim la postrit la plus recule. Fournissez la lettre de cachet, sire. Tenez, moi, je fournis la plume et lencre.

Et elle poussa vers le roi une plume et un encrier qui se trouvaient sur le guridon.

Le roi, ainsi brav, rflchit un moment, et, se levant:

Cest bien. Adieu, madame, dit-il.

Mes chevaux! scria la comtesse. Adieu, sire.

Le roi fit un pas vers la porte.

Chon! dit la comtesse.

Chon parut.

Mes malles, mon service de voyage et la poste; allons, allons, dit-elle.

La poste! fit Chon atterre; quy a-t-il donc, bon Dieu?

Il y a, ma chre, que, si nous ne partons au plus vite, Sa Majest va nous envoyer la Bastille. Il ny a donc pas de temps perdre. Dpche, Chon, dpche.

Ce reproche frappa Louis XV au cur; il revint la comtesse et lui prit la main.

Pardon, comtesse, de ma vivacit, dit-il.

En vrit, sire, je suis tonne que vous ne mayez pas aussi menace de la potence.

Oh! comtesse!

Sans doute Est-ce quon ne pend pas les voleurs?

Eh bien?

Est-ce que je ne vole pas la place de madame de Grammont?

Comtesse!

Dame! cest mon crime, sire.

coutez, comtesse, soyez juste: vous mavez exaspr.

Et maintenant?

Le roi lui tendit les mains.

Nous avions tort tous deux. Maintenant, pardonnons-nous mutuellement.

Est-ce srieusement que vous demandez une rconciliation, sire?

Sur ma foi.

Va-ten, Chon.

Sans rien commander? demanda la jeune femme sa sur.

Au contraire, commande tout ce que jai dit.

Comtesse

Mais quon attende de nouveaux ordres.

Ah!

Chon sortit.

Vous me voulez donc? dit la comtesse au roi.

Par-dessus tout.

Rflchissez ce que vous dites l, sire.

Le roi rflchit en effet, mais il ne pouvait reculer; et dailleurs, il voulait voir jusquo iraient les exigences du vainqueur.

Parlez, dit-il.

Tout lheure. Faites-y attention, sire! Je partais sans rien demander.

Je lai bien vu.

Mais, si je reste, je demanderai quelque chose.

Quoi? Il sagit de savoir quoi, voil tout.

Ah! vous le savez bien.

Non.

Si fait, puisque vous faites la grimace.

Le renvoi de M. de Choiseul?

Prcisment.

Impossible, comtesse.

Mes chevaux, alors

Mais, mauvaise tte

Signez ma lettre de cachet pour la Bastille, ou la lettre qui congdie le ministre.

Il y a un milieu, dit le roi.

Merci de votre clmence, sire; je partirai sans tre inquite, ce quil parat.

Comtesse, vous tes femme.

Heureusement.

Et vous raisonnez politique en vritable femme mutine et colre. Je nai pas de raison pour congdier M. de Choiseul.

Je comprends, lidole de vos parlements, celui qui les soutient dans leur rvolte.

Enfin, il faut un prtexte.

Le prtexte est la raison du faible.

Comtesse, cest un honnte homme que M. de Choiseul, et les honntes gens sont rares.

Cest un honnte homme qui vous vend aux robes noires, lesquelles vous mangent tout lor de votre royaume.

Pas dexagration, comtesse.

La moiti alors.

Mon Dieu! scria Louis XV dpit.

Mais, au fait, scria de son ct la comtesse, je suis bien sotte; que mimportent, moi, les parlements, les Choiseul, son gouvernement; que mimporte le roi mme, moi, son pis-aller.

Encore!

Toujours, sire.

Voyons, comtesse, deux heures de rflexion.

Dix minutes, sire. Je passe dans ma chambre, glissez-moi votre rponse sous la porte: le papier est l, la plume est l, lencrier est l. Si dans dix minutes vous navez pas rpondu ou navez pas rpondu ma guise, adieu, sire! Ne songez plus moi, je serai partie. Sinon

Sinon?

Tournez la bobinette et la chevillette cherra.

Louis XV, pour se donner une contenance, baisa la main de la comtesse, qui, en se retirant, lui lana, comme le Parthe, son sourire le plus provocant.

Le roi ne sopposa aucunement cette retraite, et la comtesse senferma dans la chambre voisine.

Cinq minutes aprs, un papier pli carrment frla le bourrelet de soie de la porte et la laine du tapis.

La comtesse lut avidement le contenu du billet, crivit la hte quelques mots M. de Richelieu, qui se promenait dans la petite cour, sous un auvent, avec grande frayeur dtre vu faisant ainsi le pied de grue.

Le marchal dplia le papier, lut, et, prenant sa course malgr ses soixante et quinze ans, il arriva dans la grande cour son carrosse.

Cocher, dit-il, Versailles, ventre terre!

Voici ce que contenait le papier jet par la fentre M. de Richelieu.

Jai secou larbre, le portefeuille est tomb.

Chapitre 79. Comment le roi Louis XV travaillait avec son ministre

Le lendemain, la rumeur tait grande Versailles. Les gens ne sabordaient quavec des signes mystrieux et des poignes de main significatives, ou bien avec des croisements de bras et des regards au ciel, qui tmoignaient de leur douleur et de leur surprise.

M. de Richelieu, avec bon nombre de partisans, tait dans lantichambre du roi, Trianon, vers dix heures.

Le comte Jean, tout chamarr, tout blouissant, causait avec le vieux marchal, et causait gaiement, si lon en croyait sa figure panouie.

Vers onze heures, le roi passa, se rendant son cabinet de travail, et ne parla personne. Sa Majest marchait fort vite.