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Mais lintrieur est calme, sire, rpliqua le duc affectant de ne pas comprendre.

Non, non, vous voyez bien que non. Vous maimez et me servez bien. Il y a dautres gens qui disent maimer, et dont les faons ne ressemblent pas du tout aux vtres; mettons laccord entre tous ces systmes: voyons, mon cher duc, que je vive heureux.

Il ne dpendra pas de moi que votre bonheur ne soit complet, sire.

Voil parler. Eh bien, venez donc dner avec moi aujourdhui.

Versailles, sire?

Non, Luciennes.

Oh! mon regret est grand, sire; mais ma famille est tout alarme de la nouvelle rpandue hier. On me croit dans la disgrce de Votre Majest. Je ne puis laisser tant de curs souffrants.

Et ceux dont je vous parle ne souffrent-ils pas, duc? Songez donc comme nous avons vcu heureux tous trois, du temps de cette pauvre marquise.

Le duc baissa la tte, ses yeux se voilrent, un soupir demi touff sortit de sa poitrine.

Madame de Pompadour tait une femme bien jalouse de la gloire de Votre Majest, dit-il; elle avait de hautes ides politiques. Javoue que son gnie sympathisait avec mon caractre. Souvent, sire, je me suis attel de front avec elle aux grandes entreprises quelle formait; oui, nous nous entendions.

Mais elle se mlait de politique, duc, et tout le monde le lui reprochait.

Cest vrai.

Celle-ci, au contraire, est douce comme un agneau; elle na pas encore fait signer une lettre de cachet, mme contre les pamphltaires et les chansonniers. Eh bien, on lui reproche ce quon louait chez lautre. Ah! duc, cest fait pour dgoter du progrs Voyons, venez-vous faire votre paix Luciennes?

Sire, veuillez assurer madame la comtesse du Barry que je la trouve une femme charmante et digne de tout lamour du roi; mais

Ah! voil un mais, duc

Mais, poursuivit M. de Choiseul, ma conviction est que, si Votre Majest est ncessaire la France, aujourdhui un bon ministre est plus ncessaire Votre Majest quune charmante matresse.

Nen parlons plus, duc, et demeurons bons amis. Mais clinez madame de Grammont, quelle ne complote plus rien contre la comtesse; les femmes nous brouilleraient.

Madame de Grammont, sire, veut trop plaire Votre Majest. Cest l son tort.

Et elle me dplat en nuisant la comtesse, duc.

Aussi madame de Grammont part-elle, sire, on ne la verra plus: ce sera un ennemi de moins.

Ce nest pas ainsi que je lentends, vous allez trop loin. Mais la tte me brle, duc, nous avons travaill ce matin comme Louis XIV et Colbert, nous avons t grand sicle, comme disent les philosophes. propos, duc, est-ce que vous tes philosophe, vous?

Je suis serviteur de Votre Majest, rpliqua M. de Choiseul.

Vous menchantez, vous tes un homme impayable; donnez-moi votre bras, je suis tout tourdi.

Le duc se hta doffrir son bras Sa Majest.

Il devinait quon allait ouvrir les portes deux battants, que toute la cour tait dans la galerie, quon allait le voir dans cette splendide position; aprs avoir tant souffert, il ntait pas fch de faire souffrir ses ennemis.

Lhuissier ouvrit en effet les portes, et annona le roi dans la galerie.

Louis XV, toujours causant avec M. de Choiseul et lui souriant, se faisant lourd sur son bras, traversa la foule sans remarquer ou sans vouloir remarquer combien Jean du Barry tait ple et combien M. de Richelieu tait rouge.

Mais M. de Choiseul vit bien cette diffrence de nuances. Il passa le jarret tendu, le cou raide, les yeux brillants, devant les courtisans, qui se rapprochaient autant quils staient loigns le matin.

L, dit le roi au bout de la galerie, duc, attendez-moi, je vous emmne Trianon. Rappelez-vous tout ce que je vous ai dit.

Je lai gard dans mon cur, rpliqua le ministre, sachant bien quavec cette phrase aiguise il perait lme de tous ses ennemis.

Le roi rentra chez lui.

M. de Richelieu rompit la file et vint serrer dans ses deux mains maigres la main du ministre, en lui disant:

Il y a longtemps que je sais quun Choiseul a lme cheville au corps.

Merci, dit le duc, qui savait quoi sen tenir.

Mais ce bruit absurde? poursuivit le marchal.

Ce bruit a bien fait rire Sa Majest, dit Choiseul.

On parlait dune lettre

Mystification de la part du roi, rpliqua le ministre en lanant cette phrase ladresse de Jean, qui perdait contenance.

Merveilleux! Merveilleux! rpta le marchal en retournant au comte, aussitt que le duc de Choiseul eut disparu et ne put plus le voir.

Le roi descendait lescalier en appelant le duc, empress le suivre.

Eh! eh! nous sommes jous, dit le marchal Jean.

O vont-ils?

Au Petit Trianon, se moquer de nous.

Mille tonnerres! murmura Jean. Ah! pardon, monsieur le marchal.

mon tour, dit celui-ci, et voyons si mon moyen vaudra mieux que celui de la comtesse.

Chapitre 80. Le Petit Trianon

Quand Louis XIV eut bti Versailles, et quil eut reconnu les inconvnients de la grandeur, lorsquil vit ces immenses salons pleins de gardes, ces antichambres pleines de courtisans, ces corridors et ces entresols pleins de laquais, de pages et de commensaux, il se dit que Versailles tait bien ce que lui-mme avait voulu en faire, ce que Mansard, Le Brun et Le Ntre en avaient fait, le sjour dun dieu, mais non pas lhabitation dun homme.

Alors le grand roi, qui tait un homme ses moments perdus, se fit btir Trianon pour respirer et cacher un peu sa vie. Mais lpe dAchille, qui avait fatigu Achille, devait tre dun poids insupportable pour un successeur mirmidon.

Trianon, ce rapetissement de Versailles, parut encore trop pompeux Louis XV, qui se fit btir par larchitecte Gabriel le Petit Trianon, pavillon de soixante pieds carrs.

gauche de ce btiment, on construisit un carr long sans caractre et sans ornements: ce fut la demeure des gens de service et des commensaux. On comptait l environ dix logements de matres, et la place de cinquante serviteurs. On peut voir encore ce btiment dans son intgrit. Il se compose dun rez-de-chausse, dun premier tage et de combles. Ce rez-de-chausse est garanti par un foss pav qui le spare des massifs; toutes les fentres en sont grilles comme celles du premier tage. Vues du ct de Trianon, ces fentres clairent un long corridor pareil celui dun couvent.

Huit ou neuf portes, perces dans le corridor, conduisent aux logements, tous composs dune antichambre avec deux cabinets, lun droite, lautre gauche, et dune basse chambre, voire mme de deux, claires sur la cour intrieure de ce btiment.

Au-dessous de cet tage, les cuisines.

Dans les combles, des chambres de domestiques.

Voil le Petit Trianon.

Ajoutez-y une chapelle vingt toises du chteau, dont nous ne ferons pas la description, parce que nous nen avons aucun besoin, et que ce chteau ne peut loger quun mnage, ainsi quon le dirait aujourdhui.

La topographie est donc celle-ci: un chteau voyant avec ses larges yeux sur le parc et sur les bois, voyant gauche sur les communs, qui ne lui opposent que des fentres grilles, fentres de corridors ou de cuisines masques par un pais treillis.

Du Grand Trianon, demeure solennelle de Louis XV, on se rendait au petit par un jardin potager qui joignait les deux rsidences, moyennant linterjection dun pont de bois.

Ce fut par ce jardin potager et fruitier, quavait dessin et plant La Quintinie, que Louis XV mena M. de Choiseul au Petit Trianon, aprs la laborieuse sance que nous venons de raconter. Il voulait lui faire voir les amliorations introduites par lui dans le nouveau sjour du dauphin et de la dauphine. M. de Choiseul admirait tout, commentait tout avec la sagacit dun courtisan; il laissait le roi lui dire que le Petit Trianon devenait de jour en jour plus beau, plus charmant habiter; et le ministre ajoutait que ctait pour Sa Majest la maison de famille.

La dauphine, dit le roi, est encore un peu sauvage, comme toutes les Allemandes jeunes; elle parle bien le franais, mais elle a peur dun lger accent qui la trahit Autrichienne des oreilles franaises. Trianon, elle nentendra que des amis, et ne parlera que lorsquelle le voudra.