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Et vous concluez? demanda le duc.

Je conclus que je vais courir Paris pour acheter un peu de charpie et pas mal donguent pour mettre sur toutes nos blessures. Donnez-moi de largent, petite sur.

Combien? demanda la comtesse.

La moindre chose, deux ou trois cents louis.

Vous voyez, duc, dit la comtesse en se tournant vers Richelieu, voil dj que je paie les frais de la guerre.

Cest lentre en campagne, comtesse; semez aujourdhui, vous recueillerez demain.

La comtesse haussa les paules avec un indescriptible mouvement, se leva, alla son chiffonnier, louvrit, en tira une poigne de billets de caisse, quelle remit sans compter Jean, lequel, sans compter aussi, les empocha en poussant un gros soupir.

Puis, se levant, stirant, tordant les bras comme un homme accabl de fatigue, Jean fit trois pas dans la chambre.

Voil, dit-il en montrant le duc et la comtesse; ces gens-l vont samuser la chasse, tandis que moi, je galope Paris; ils verront de jolis cavaliers et de jolies femmes; moi, je vais contempler les hideuses faces des gratte papier. Dcidment, je suis le chien de la maison.

Notez, duc, fit la comtesse, quil ne va pas soccuper de nous le moins du monde; il va donner la moiti de mes billets quelque drlesse, et jouer le reste dans quelque tripot; voil ce quil va faire, et il pousse des hurlements, le misrable! Tenez, allez-vous-en, Jean, vous me faites horreur.

Jean dvalisa trois bonbonnires, quil vida dans ses poches, vola sur ltagre une Chinoise qui avait des yeux de diamants, et partit en faisant le gros dos, poursuivi par les cris nerveux de la comtesse.

Quel charmant garon! dit Richelieu, du ton quun parasite prend pour louer un de ces terribles enfants sur lequel il appelle tout bas la chute du tonnerre; il vous est bien cher nest-ce pas, comtesse?

Comme vous dites, duc, il a plac sa bont sur moi, et elle lui rapporte trois ou quatre cent mille livres par an.

La pendule tinta.

Midi et demi, comtesse, dit le duc; heureusement que vous tes presque habille; montrez-vous un peu vos courtisans, qui croiraient quil y a clipse, et montons vite en carrosse: vous savez comment se gouverne la chasse?

Ctait convenu hier entre Sa Majest et moi: on allait dans la fort de Marly, et lon me prenait en passant.

Oh! je suis bien sr que le roi naura rien chang au programme.

Maintenant votre plan vous, duc? Car cest votre tour de le donner.

Madame, ds hier, jai crit mon neveu, qui, du reste, si jen crois mes pressentiments, doit dj tre en route.

M. dAiguillon?

Je serais bien tonn quil ne se croist pas demain avec ma lettre, et quil ne ft pas ici demain ou aprs-demain au plus tard.

Et vous comptez sur lui?

Eh! madame, il a des ides.

Nimporte, nous sommes bien malades. Le roi cderait peut-tre, sil navait une peur horrible des affaires.

De sorte que?

De sorte que je tremble quil ne consente jamais sacrifier M. de Choiseul.

Voulez-vous que je vous parle franc, comtesse?

Certainement.

Eh bien, je ne le crois pas non plus. Le roi aura cent tours pareils celui dhier. Sa Majest a tant desprit! Vous, de votre ct, comtesse, vous nirez pas risquer de perdre son amour par un enttement inconcevable.

Dame! cest rflchir.

Vous voyez bien, comtesse, que M. de Choiseul est l pour une ternit; pour len dloger, il ne faudrait rien moins quun miracle.

Oui, un miracle, rpta Jeanne.

Et malheureusement, les hommes nen font plus, rpondit le duc.

Oh! rpliqua madame du Barry, jen connais un qui en fait encore, moi.

Vous connaissez un homme qui fait des miracles, comtesse?

Ma foi, oui.

Et vous ne mavez pas dit cela?

Jy pense cette heure seulement, duc.

Croyez-vous ce gaillard-l capable de nous tirer daffaire?

Je le crois capable de tout.

Oh! oh! Et quel miracle a-t-il opr? Dites-moi un peu cela, comtesse, que je juge par lchantillon.

Duc, dit madame du Barry en se rapprochant de Richelieu et en baissant la voix malgr elle, cest un homme qui, il y a dix ans, ma rencontre sur la place Louis XV et ma dit que je serais reine de France.

En effet, cest miraculeux, et cet homme-l serait capable de me prdire que je mourrai premier ministre.

Nest-ce pas?

Oh! je nen doute pas un seul instant. Comment lappelez-vous?

Son nom ne vous apprendra rien.

O est-il?

Ah! voil ce que jignore.

Il ne vous a pas donn son adresse?

Non, il devait venir lui-mme chercher sa rcompense.

Que lui aviez-vous promis?

Tout ce quil me demanderait.

Et il nest pas venu?

Non.

Comtesse! voil qui est plus miraculeux que sa prdiction. Dcidment, il nous faut cet homme.

Mais comment faire?

Son nom, comtesse? son nom?

Il en a deux.

Procdons par ordre: le premier?

Le comte de Fnix.

Comment, cet homme que vous mavez montr le jour de votre prsentation?

Justement.

Ce Prussien?

Ce Prussien.

Oh! je nai plus de confiance. Tous les sorciers que jai connus avaient des noms qui finissaient en i ou en o.

Cela tombe merveille, duc; son second nom finit votre guise.

Comment sappelle-t-il?

Joseph Balsamo.

Enfin, nauriez-vous aucun moyen de le retrouver?

Jy vais rver, duc. Je crois que je sais quelquun qui le connat.

Bon! Mais htez-vous, comtesse. Voici les trois quarts avant une heure.

Je suis prte. Mon carrosse!

Dix minutes aprs, madame du Barry et M. le duc de Richelieu couraient cte cte la rencontre de la chasse.

Fin de la deuxime partie.