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Le vieillard regarda Gilbert avec plus dattention quil ne lavait fait encore, et si Gilbert, songeant ce quil venait de dire, net baiss les yeux en rougissant, il et pu voir que cette attention tait mle dun intrt plein de tendresse.

Eh bien! lui dit-il, continuez dtudier la botanique, jeune homme; la botanique vous conduira par le plus court chemin la mdecine. Dieu na rien fait dinutile, croyez-moi, et chaque plante aura un jour sa signification au livre de la science. Apprenez dabord connatre les simples, ensuite vous apprendrez quelles sont leurs proprits.

Il y a des coles Paris, nest-ce pas?

Et mme des coles gratuites; lcole de chirurgie, par exemple, est un des bienfaits du rgne prsent.

Je suivrai ses cours.

Rien de plus facile; car vos parents, je le prsume, voyant vos dispositions, vous fourniront bien une pension alimentaire.

Je nai pas de parents; mais, soyez tranquille, avec mon travail je me nourrirai.

Certainement, et puisque vous avez lu les ouvrages de Rousseau, vous avez d voir que tout homme, ft-il le fils dun prince, doit apprendre un mtier manuel.

Je nai pas lu lmile; car je crois que cest dans lmile que se trouve cette recommandation, nest-ce pas?

Oui.

Mais jai entendu M. de Taverney qui se raillait de cette maxime et qui regrettait de navoir pas fait son fils menuisier.

Et quen a-t-il fait? demanda ltranger.

Un officier, dit Gilbert.

Le vieillard sourit.

Oui, ils sont tous ainsi, ces nobles: au lieu dapprendre leurs enfants le mtier qui fait vivre, ils leur apprennent le mtier qui fait mourir. Aussi, vienne une rvolution, et la suite de la rvolution lexil, ils seront obligs de mendier ltranger ou de vendre leur pe, ce qui est bien pis encore; mais vous qui ntes pas fils de noble, vous savez un tat, je prsume?

Monsieur, je vous lai dit, je ne sais rien; dailleurs, je vous lavouerai, jai une horreur invincible pour toute besogne imprimant au corps des mouvements rudes et brutaux.

Ah! dit le vieillard, vous tes paresseux, alors?

Oh! non, je ne suis pas paresseux; car, au lieu de me faire travailler quelque uvre de force, donnez-moi des livres, donnez-moi un cabinet demi noir, et vous verrez si mes jours et mes nuits ne se consument pas dans le genre de travail que jaurai choisi.

Ltranger regarda les mains douces et blanches du jeune homme.

Cest une prdisposition, dit-il, un instinct. Ces sortes de rpugnances aboutissent parfois de bons rsultats; mais il faut quelles soient bien diriges. Enfin, continua-t-il, si vous navez pas t au collge, vous avez t du moins lcole?

Gilbert secoua la tte.

Vous savez lire, crire?

Ma mre, avant de mourir, avait eu le temps de mapprendre lire, pauvre mre! car, me voyant frle de corps, elle disait toujours: a ne fera jamais un bon ouvrier; il faut en faire un prtre ou un savant. Quand javais quelque rpugnance couter ses leons, elle me disait: Apprends lire, Gilbert, et tu ne fendras pas de bois, tu ne conduiras pas la charrue, tu ne tailleras pas de pierres; et japprenais. Malheureusement, je savais peine lire lorsque ma mre mourut.

Et qui vous apprit crire?

Moi-mme.

Vous-mme?

Oui, avec un bton que jaiguisais et du sable que je faisais passer au tamis pour quil ft plus fin. Pendant deux ans, jcrivis comme on imprime, copiant dans un livre, et ignorant quil y et dautres caractres que ceux que jtais parvenu imiter avec assez de bonheur. Enfin, un jour, il y a trois ans peu prs, mademoiselle Andre tait partie pour le couvent; on nen avait plus de nouvelles depuis quelques jours, quand le facteur me remit une lettre delle pour son pre. Je vis alors quil existait dautres caractres que les caractres imprims. M. de Taverney brisa le cachet et jeta lenveloppe; cette enveloppe, je la ramassai prcieusement, et je lemportai; puis la premire fois que revint le facteur, je me fis lire ladresse; elle tait conue en ces termes: monsieur le baron de Taverney-Maison-Rouge, en son chteau, par Pierrefitte.

Sur chacune de ces lettres, je mis la lettre correspondante en caractre imprim, et je vis que, sauf trois, toutes les lettres de lalphabet taient contenues dans ces deux lignes. Puis jimitai les lettres traces par mademoiselle Andre. Au bout de huit jours, javais reproduit cette adresse dix mille fois peut-tre et je savais crire. Jcris donc passablement, et mme plutt bien que mal. Vous voyez, monsieur, que mes esprances ne sont pas exagres, puisque je sais crire, puisque jai lu tout ce qui mest tomb sous la main, puisque jai essay de rflchir sur tout ce que jai lu. Pourquoi ne trouverais-je point un homme qui ait besoin de ma plume, un aveugle qui ait besoin de mes yeux, ou un muet qui ait besoin de ma langue?

Vous oubliez qualors vous auriez un matre, vous qui nen voulez pas avoir. Un secrtaire ou un lecteur sont des domestiques de second ordre et pas autre chose.

Cest vrai, murmura Gilbert en plissant; mais nimporte, il faut que jarrive. Je remuerai les pavs de Paris; je porterai de leau, sil le faut, mais jarriverai ou je mourrai en route, et alors mon but sera atteint de mme.

Allons! allons! dit ltranger, vous me paraissez tre, en effet, plein de bonne volont et de courage.

Mais vous-mme, voyons, dit Gilbert, vous-mme, si bon pour moi, nexercez-vous pas une profession quelconque? Vous tes vtu comme un homme de finance.

Le vieillard sourit de son sourire doux et mlancolique.

Jai une profession, dit-il; oui, cest vrai, car tout homme doit en avoir une, mais elle est entirement trangre aux choses de finances. Un financier nherboriserait point.

Herborisez-vous par tat?

Presque.

Alors, vous tes pauvre?

Oui.

Ce sont les pauvres qui donnent! Car la pauvret les a rendus sages, et un bon conseil vaut mieux quun louis dor. Donnez-moi donc un conseil.

Je ferai mieux peut-tre.

Gilbert sourit.

Je men doutais, dit-il.

Combien croyez-vous quil vous faille pour vivre?

Oh! bien peu.

Peut-tre ne connaissez-vous point Paris?

Cest la premire fois que je lai aperu hier des hauteurs de Luciennes.

Alors vous ignorez quil en cote cher pour vivre dans la grande ville?

Combien peu prs? tablissez-moi une proportion.

Volontiers. Tenez, par exemple, ce qui cote un sou en province, cote trois sous Paris.

Eh bien! dit Gilbert, en supposant un abri quelconque o je puisse me reposer aprs avoir travaill, il me faut pour la vie matrielle six sous par jour, peu prs.

Bien! bien! mon ami, scria ltranger. Voil comme jaime lhomme. Venez avec moi Paris et je vous trouverai une profession indpendante, laide de laquelle vous vivrez.

Ah! monsieur! scria Gilbert ivre de joie.

Puis se reprenant:

Il est bien entendu que je travaillerai rellement et que ce nest point une aumne que vous me faites?

Non pas. Oh! soyez tranquille, mon enfant, je ne suis pas assez riche pour faire laumne, et pas assez fou surtout pour la faire au hasard.

la bonne heure, dit Gilbert, que cette boutade misanthropique mettait laise au lieu de le blesser. Voil un langage que jaime. Jaccepte votre offre et je vous en remercie.

Cest donc convenu que vous venez Paris avec moi?

Oui, monsieur, si vous le voulez bien.

Je le veux, puisque je vous loffre.

quoi serai-je tenu envers vous?

rien qu travailler; et encore, cest vous qui rglerez votre travail; vous aurez le droit dtre jeune, le droit dtre heureux, le droit dtre libre, et mme le droit dtre oisif quand vous aurez gagn vos loisirs, dit ltranger en souriant comme malgr lui.