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Balsamo la regarda un instant, comme un homme qui ne peut sarracher sa contemplation; puis, comme le timbre retentissait de nouveau, il slana vers la chemine, poussa un ressort, et disparut derrire les fleurs.

Fritz lattendait au salon avec un homme vtu dune veste de coureur et chauss de bottes paisses armes de longs perons.

La physionomie vulgaire de cet homme annonait un homme du peuple, son il seul reclait une parcelle de feu sacr quon et dit lui avoir t communique par une intelligence suprieure la sienne.

Sa main gauche tait appuye sur un fouet court et noueux, tandis que sa main droite figurait des signes que Balsamo, aprs un court examen, reconnut, et auxquels, muet lui-mme, il rpondit en effleurant son front du doigt indicateur.

La main du postillon monta aussitt sa poitrine, o elle traa un nouveau caractre quun indiffrent net pas reconnu, tant il ressemblait au geste que lon fait pour attacher un bouton.

ce dernier signe, le matre rpondit par lexhibition dune bague quil portait au doigt.

Devant ce symbole redoutable, lenvoy plia un genou.

Do viens-tu? dit Balsamo.

De Rouen, matre.

Que fais-tu?

Je suis courrier au service de madame de Grammont.

Qui ta plac chez elle?

La volont du grand Cophte.

Quel ordre as-tu reu en entrant son service?

De navoir pas de secrets pour le matre.

O vas-tu?

Versailles.

Quy portes-tu?

Une lettre.

qui?

Au ministre.

Donne.

Le courrier tendit Balsamo une lettre quil venait de tirer dun sac de cuir attach derrire son dos.

Dois-je attendre? demanda-t-il.

Oui.

Jattends.

Fritz!

LAllemand parut.

Cache Sbastien dans loffice.

Oui, matre.

Il sait mon nom! murmura ladepte avec une superstitieuse frayeur.

Il sait tout, lui rpliqua Fritz en lentranant. Balsamo resta seuclass="underline" il regarda le cachet bien pur et bien profond de cette lettre, que le coup dil suppliant du courrier semblait lui avoir recommand de respecter le plus possible.

Puis, lent et pensif, il remonta vers la chambre de Lorenza et ouvrit la porte de communication.

Lorenza dormait toujours, mais fatigue, mais nerve par linaction. Il lui prit la main quelle serra convulsivement, et il appliqua sur son cur la lettre du courrier, toute cachete quelle tait.

Voyez-vous? lui dit-il.

Oui, je vois, rpondit Lorenza.

Quel est lobjet que je tiens la main?

Une lettre.

Pouvez-vous la lire?

Je le puis.

Lisez-la donc, alors.

Alors Lorenza, les yeux ferms, la poitrine haletante, rcita mot mot les lignes suivantes, que Balsamo crivait sous sa dicte mesure quelle parlait:

Cher frre,

Comme je lavais prvu, mon exil me sera au moins bon quelque chose. Jai quitt ce matin le prsident de Rouen; il est nous, mais timide. Je lai press en votre nom. Il se dcide enfin, et les remontrances de sa compagnie seront avant huit jours Versailles.

Je pars immdiatement pour Rennes, afin dactiver un peu Caradeuc et La Chalotais, qui sendorment.

Notre agent de Caudebec se trouvait Rouen. Je lai vu. LAngleterre ne sarrtera pas en chemin; elle prpare une verte notification au cabinet de Versailles.

X ma demand sil fallait la produire. Jai autoris.

Vous recevrez les derniers pamphlets de Thvenot, de Morande et de Delille contre la du Barry. Ce sont des ptards qui feraient sauter une ville.

Une mauvaise rumeur mtait venue: il y avait de la disgrce dans lair. Mais vous ne mavez pas encore crit, et jen ris. Cependant, ne me laissez pas dans le doute et rpondez-moi courrier par courrier.

Votre message me trouvera Caen, o jai quelques-uns de nos messieurs pratiquer.

Adieu, je vous embrasse.

Duchesse de Grammont.

Lorenza sarrta aprs cette lecture.

Vous ne voyez rien autre chose? demanda Balsamo.

Je ne vois rien.

Pas de post-scriptum?

Non.

Balsamo, dont le front stait drid mesure quelle lisait, reprit Lorenza la lettre de la duchesse.

Pice curieuse, dit-il, que lon me payerait bien cher. Oh! comment crit-on de pareilles choses! scria-t-il. Oui, ce sont les femmes qui perdent toujours les hommes suprieurs. Ce Choiseul na pu tre renvers par une arme dennemis, par un monde dintrigues, et voil que le souffle dune femme lcrase en le caressant. Oui, nous prissons tous par la trahison ou la faiblesse des femmes Si nous avons un cur, et dans ce cur une fibre sensible, nous sommes perdus.

Et, en disant ces mots, Balsamo regardait avec une tendresse inexprimable Lorenza palpitante sous ce regard.

Est-ce vrai, lui dit-il, ce que je pense?

Non, non, ce nest pas vrai, rpliqua-t-elle ardemment. Tu vois bien que je taime trop, moi, pour te nuire comme toutes ces femmes sans raison et sans cur.

Balsamo se laissa enlacer par les bras de son enchanteresse.

Tout coup un double tintement de la sonnette de Fritz rsonna deux fois.

Deux visites, dit Balsamo.

Un violent coup de sonnette acheva la phrase tlgraphique de Fritz.

Et, se dgageant des bras de Lorenza, Balsamo sortit de la chambre, laissant la jeune femme toujours endormie.

Il rencontra le courrier sur son chemin: celui-ci attendait les ordres du matre.

Voil la lettre, dit-il.

Quen faut-il faire?

La remettre son adresse.

Cest tout?

Cest tout.

Ladepte regarda lenveloppe et le cachet, et, les voyant aussi intacts quil les avait apports, manifesta sa joie et disparut dans les tnbres.

Quel malheur de ne pas garder un pareil autographe! dit Balsamo, et quel malheur surtout de ne pas pouvoir le faire passer par des mains sres entre les mains du roi!

Fritz apparut alors devant lui.

Qui est l? demanda-t-il.

Une femme et un homme.

Sont-ils dj venus ici?

Non.

Les connais-tu?

Non.

La femme est-elle jeune?

Jeune et jolie.

Lhomme?

Soixante soixante-cinq ans.

O sont-ils?

Au salon.

Balsamo entra.

Chapitre 84. vocation

La comtesse avait compltement cach son visage sous une mante; comme elle avait eu le temps de passer lhtel de famille, son costume tait celui dune petite bourgeoise.

Elle tait venue en fiacre avec le marchal qui, plus timide, stait habill de gris, comme un valet suprieur de bonne maison.

Monsieur le comte, dit madame du Barry, me reconnaissez-vous?

Parfaitement, madame la comtesse.

Richelieu restait en arrire.

Veuillez vous asseoir, madame, et vous aussi, monsieur.

Monsieur est mon intendant, dit la comtesse.

Vous faites erreur, madame, rpliqua Balsamo en sinclinant; monsieur est M. le duc de Richelieu, que je reconnais merveille, et qui serait bien ingrat sil ne me reconnaissait pas.

Comment cela? demanda le duc tout dferr, comme disait Tallemant des Raux.

Monsieur le duc, on doit un peu de reconnaissance ceux qui nous ont sauv la vie, je pense.

Ah! ah! duc, dit la comtesse en riant; entendez-vous, duc?

Eh! vous mavez sauv la vie, moi, monsieur le comte? fit Richelieu tonn.

Oui, monseigneur, Vienne, en 1725, lors de votre ambassade.

En 1725! mais vous ntiez pas n, mon cher monsieur.

Balsamo sourit.

Il me semble que si, monsieur le duc, dit-il, puisque je vous ai rencontr mourant, ou plutt mort sur une litire; vous veniez de recevoir un coup dpe au beau travers de la poitrine, telles enseignes que je vous ai vers sur la plaie trois gouttes de mon lixir L, tenez, lendroit o vous chiffonnez votre point dAlenon, un peu riche pour un intendant.

Mais, interrompit le marchal, vous avez trente trente-cinq ans peine, monsieur le comte.