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Ces craintes me paraissent puriles, dit une voix; chaque jour, nous gagnons en force, et nous sommes dirigs par de brillants gnies et par de vigoureuses mains.

Balsamo sinclina pour remercier le flatteur de son loge.

Oui; mais, comme la dit notre illustre prsident, la trahison se glisse partout, rpliqua un frre qui ntait autre que le chirurgien Marat, promu malgr sa jeunesse un grade suprieur grce auquel il sigeait pour la premire fois au comit consultatif. Songez, frres, quen doublant lamorce on fait la capture plus importante. Si M. de Sartine, avec un sac dcus, peut acheter la rvlation dun de nos frres obscurs, le ministre, avec un million ou lespoir dune dignit, peut acheter un de nos suprieurs. Or, chez nous, le frre obscur ne sait rien.

Il connat tout au plus quelques noms parmi ses collgues, et ces noms ne reprsentent aucune chose. Cest un ordre admirable que celui de notre constitution, mais il est minemment aristocratique; les infrieurs ne savent rien, ne peuvent rien; on les assemble pour leur dire ou leur faire dire des futilits; et cependant ils concourent de leur temps, de leur argent, la solidit de notre difice. Songez-y, le manuvre apporte seulement la pierre et le mortier; mais, sans pierre et sans mortier, ferez-vous la maison? Or, ce manuvre peroit un mince salaire, et cependant, moi, je le regarde comme gal larchitecte, dont le plan cre et vivifie tout louvrage; et je le regarde comme son gal, parce quil est homme et que tout homme vaut un autre homme aux yeux du philosophe, attendu quil porte sa part de misre et de fatalit comme un autre, et que, plus quun autre mme, il est expos la chute dune pierre et la rupture dun chafaudage.

Je vous interromps, frre, dit Balsamo. Vous abandonnez la question qui seule doit nous proccuper. Votre dfaut, frre, cest dexagrer le zle et de gnraliser les discussions. Il ne sagit pas aujourdhui de savoir si notre constitution est bonne ou mauvaise, mais de maintenir la fermet, lintgrit de cette constitution. Que si je voulais discuter avec vous je rpondrais: Non, lorgane qui reoit le mouvement nest pas lgal du gnie du crateur; non, louvrier nest pas lgal de larchitecte; non, le cerveau nest pas lgal du bras.

Que M. de Sartine saisisse un de nos frres des derniers grades, scria Marat avec chaleur, lenverra-t-il moins pourrir a la Bastille que vous et moi?

Daccord; mais il ny aura dommage que pour lindividu et non pour lordre, qui doit passer chez nous avant toutes choses; tandis que, si le chef est emprisonn, la conjuration sarrte; tandis que, si le gnral manque, larme perd la bataille. Frres, veillez donc au salut des chefs!

Oui, mais quils veillent de leur ct au ntre.

Cest leur devoir.

Et que leurs fautes soient doublement punies.

Encore une fois, mon frre, vous vous loignez des constitutions de lordre. Ignorez-vous que le serment qui lie tous les membres de notre association est un et applique tous les mmes peines?

Toujours les grands sy soustrairont.

Ce nest point lavis des grands, frres; coutez la fin de la lettre de notre prophte Swedenborg, un des grands parmi nous; voici ce quil ajoute:

Le mal viendra dun des grands, dun trs grand de lordre, ou, sil ne vient pas prcisment de lui, la faute ne lui en sera pas moins imputable; rappelez-vous que le feu et leau peuvent tre complices: lun donne la lumire, lautre les rvlations.

Veillez, frres! sur tout et sur tous, veillez!

Alors, dit Marat saisissant dans le discours de Balsamo et dans la lettre de Swedenborg le ct dont il voulait tirer parti, rptons le serment qui nous lie, et engageons-nous le tenir dans toute sa rigueur, quel que soit celui qui aura trahi ou sera cause de la trahison.

Balsamo se recueillit un instant, et, se levant de son sige, il pronona les paroles consacres que nos lecteurs ont dj vues une fois, dune voix lente, solennelle et terrible:

Au nom du Fils crucifi, je jure de briser les liens charnels qui mattachent pre, mre, frres, surs, pouse, parents, amis, matresse, rois, chefs, bienfaiteurs, et tout tre quelconque qui jai promis foi, obissance, reconnaissance ou service.

Je jure de rvler au chef que je reconnais daprs les statuts de lordre, ce que jai vu, fait, pris, lu ou entendu, appris ou devin, et mme de rechercher et pier ce qui ne soffrirait pas seulement mes yeux.

Jhonorerai le poison, le fer et le feu comme des moyens dpurer le globe par la mort ou lhbtation des ennemis de la vrit et de la libert.

Je souscris la loi du silence; je consens mourir comme frapp de la foudre, le jour o jaurai mrit un chtiment, et jattends sans me plaindre le coup de couteau qui matteindra en quelque lieu de la terre que je sois.

Alors, les sept hommes qui composaient la sombre assemble rptrent mot mot ce serment, debout et la tte dcouverte.

Puis, quand les paroles sacramentelles eurent t puises:

Nous voil garantis, dit Balsamo; ne mlons plus dincidents notre discussion. Jai un compte rendre au comit des principaux vnements de lanne.

Ma gestion des affaires de la France prsentera quelque intrt des esprits clairs et zls comme les vtres.

Je commence.

La France est situe au centre de lEurope, comme le cur au centre du corps; elle vit, elle fait vivre. Cest dans ses agitations quil faut chercher la cause de tout le malaise de lorganisme gnral.

Je suis donc venu en France, et je me suis approch de Paris comme le mdecin sapproche du cur: jai auscult, jai palp, jai expriment. Lorsque je lai aborde, voil un an, la monarchie fatiguait; aujourdhui, les vices la tuent. Jai d prcipiter leffet de ces dbauches mortelles, et, pour cela, je les ai favorises.

Un obstacle tait sur ma route, cet obstacle tait un homme; cet homme, ctait non pas le premier, mais le plus puissant de ltat aprs le roi.

Il tait dou de quelques-unes de ces qualits qui plaisent aux autres hommes. Il tait trop orgueilleux, cest vrai, mais il appliquait son orgueil ses uvres; il savait adoucir la servitude du peuple en lui faisant croire, voir mme quelquefois quil est une partie de tat; et, en le consultant parfois sur ses propres misres, il arborait un tendard autour duquel les masses se rallient toujours, lesprit national.

Il hassait les Anglais, naturels ennemis de la France; il hassait la favorite, naturelle ennemie des classes laborieuses. Or, cet homme, sil et t un usurpateur, sil et t lun de nous, sil et march dans nos voies, agi dans notre but, cet homme, je leusse mnag, je leusse maintenu au pouvoir, je leusse soutenu avec toutes les ressources que je puis crer pour mes protgs; car, au lieu de recrpir la royaut vermoulue, il let renverse avec nous au jour convenu. Mais il tait de la classe aristocratique, mais il tait n avec les respects du premier rang auquel il ne voulait pas prtendre, de la monarchie laquelle il nosait attenter; il mnageait la royaut tout en mprisant le roi; il faisait plus, il servait de bouclier cette royaut sur laquelle nos coups se dirigeaient. Le parlement et le peuple, pleins de respect pour cette digue vivante oppose aux envahissements de la prrogative royale, se maintenaient eux-mmes dans une rsistance modre, assurs quils taient dune aide puissante quand le moment serait venu.

Jai compris la situation. Jai entrepris la chute de M. de Choiseul.

Cette uvre puissante, laquelle depuis dix ans sattelaient tant de haines et tant dintrts, je lai commence et termine en quelques mois, par des moyens quil est inutile de vous dire. Par un secret qui est une de mes forces, force dautant plus grande quelle demeurera ternellement cache aux yeux de tous et ne se manifestera jamais que par leffet, jai renvers, chass M. de Choiseul, et attach sa suite un long cortge de regrets, de dsappointements, de lamentations et de colres.