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Gilbert vit donc cette femme blanche et solennelle savancer comme si elle venait au-devant de lui.

Il recula devant elle, et alla, reculant toujours, senfoncer dans une charmille.

Ctait ainsi, il se le rappelait, quil avait dj vu Andre au chteau de Taverney.

Andre passa devant Gilbert, leffleura mme et ne le vit pas.

Le jeune homme, cras, perdu, se laissa tomber sur son mollet repli sous lui: il avait peur.

Ne sachant quoi attribuer cette trange sortie dAndre, il la suivait des yeux; mais sa raison tait confondue, mais son sang battait avec imptuosit ses tempes, mais il tait plus prs de la folie que de ce froid bon sens quil faut lobservateur.

Il demeura donc accroupi sur lherbe au milieu des feuilles, et guettant comme il faisait depuis que ce fatal amour tait entr dans son cur.

Tout coup, le mystre de cette sortie lui fut expliqu: Andre ntait ni folle, ni gare, comme il le croyait. Andre, de ce pas froid et spulcral, allait un rendez-vous.

Un clair venait de sillonner le ciel.

Gilbert, la lueur bleutre de cet clair, vit un homme cach sous la sombre avenue de tilleuls, et, si rapide queut t la flamme dorage, il avait vu se dtacher sur le fond noir son visage ple et ses vtements en dsordre.

Andre marchait vers cet homme, qui tenait un bras tendu comme pour lattirer lui.

Quelque chose comme la morsure dun fer rouge mordit le cur de Gilbert et le fit se redresser sur ses genoux pour mieux voir.

En ce moment, un autre clair passa dans la nuit.

Gilbert reconnut Balsamo, couvert de sueur et de poussire; Balsamo, qui, laide de quelque mystrieuse intelligence, avait pntr dans Trianon; Balsamo enfin qui attirait Andre lui, aussi invinciblement, aussi fatalement que le serpent attire loiseau.

deux pas de lui, Andre sarrta.

Il lui prit la main. Andre tressaillit de tout son corps.

Voyez-vous? dit-il.

Oui, rpondit Andre; mais, en mappelant ainsi, vous avez failli me tuer.

Pardon, pardon, rpondit Balsamo; mais cest que jai la tte perdue, cest que je ne mappartiens plus, cest que je deviens fou, cest que je me meurs.

En effet, vous souffrez, dit Andre, avertie de la souffrance de Balsamo par le contact de sa main.

Oui, oui, je souffre, et je viens chercher la consolation prs de vous. Vous seule pouvez me sauver.

Interrogez-moi.

Une seconde fois, voyez-vous?

Oh! parfaitement.

Voulez-vous me suivre chez moi, le pouvez-vous?

Je le puis, si vous voulez me conduire par la pense.

Venez.

Ah! dit Andre, nous entrons dans Paris, nous suivons le boulevard, nous nous enfonons dans une rue qui nest claire que par une seule lanterne.

Cest cela: entrons, entrons.

Nous sommes dans une antichambre. Il y a un escalier droite; mais vous mentranez vers le mur: le mur souvre; des degrs se prsentent

Montez! montez! scria Balsamo, cest notre chemin.

Ah! nous voici dans une chambre; il y a des peaux de lion, des armes. Tiens, la plaque de la chemine souvre.

Passons; o tes-vous?

Dans une chambre singulire, dans une chambre sans issues, dont les fentres sont grilles; oh! comme tout est en dsordre dans cette chambre!

Mais, vide, vide, nest-ce pas?

Vide.

Pouvez-vous voir la personne qui lhabitait?

Oui, si lon me donne un objet qui lait touche, qui vienne delle ou qui lui appartienne.

Tenez; voici de ses cheveux.

Andre prit les cheveux et les approcha de sa personne.

Oh! je la reconnais, dit-elle, jai dj vu cette femme; elle fuyait vers Paris.

Cest cela, cest cela; pouvez-vous me dire ce quelle a fait depuis deux heures et comment elle sest enfuie?

Attendez, attendez; oui: elle est couche sur un sofa; elle a la poitrine moiti nue, avec une blessure au-dessous du sein.

Voyez, Andre, voyez, ne la quittez plus.

Elle tait endormie; elle se rveille; elle cherche autour delle; elle tire un mouchoir; elle monte sur une chaise; elle attache le mouchoir aux barreaux de sa fentre. Oh! mon Dieu!

Elle veut donc mourir rellement?

Oh! oui, elle est dcide. Mais cette mort lpouvante. Elle laisse le mouchoir attach aux barreaux. Descends, ah! pauvre femme!

Quoi?

Oh! comme elle pleure! Comme elle souffre! Comme elle se tord les bras; elle cherche un angle de muraille o se briser le front.

Oh! mon Dieu! mon Dieu! murmura Balsamo.

Oh! elle slance contre la chemine. La chemine reprsente deux lions de marbre; elle va se briser le front contre la tte du lion.

Aprs? aprs? Voyez, Andre, voyez, je le veux!

Elle sarrte.

Balsamo respira.

Elle regarde.

Que regarde-t-elle? demanda Balsamo.

Elle a aperu du sang sur lil du lion.

Mon Dieu! mon Dieu! murmura Balsamo.

Oui, du sang, et cependant elle ne sest pas frappe. Oh! cest trange! ce sang nest pas le sien, cest le vtre.

Ce sang est le mien! scria Balsamo, ivre dgarement.

Oui, le vtre, le vtre! Vous vous tes coup les doigts avec un couteau, avec un poignard, et vous avez appuy votre doigt ensanglant sur lil du lion. Je vous vois.

Cest vrai, cest vrai Mais comment senfuit-elle?

Attendez, attendez, je la vois examiner ce sang, rflchir, puis appuyer son doigt o vous avez appuy le vtre. Ah! lil du lion cde, un ressort agit. La plaque de la chemine souvre.

Imprudent! scrie Balsamo; malheureux imprudent! malheureux fou que je suis! Je me suis trahi moi-mme Et elle sort? continua Balsamo, elle fuit?

Oh! il faut lui pardonner, la pauvre femme; elle tait bien malheureuse.

O est-elle? O va-t-elle? Suivez-la, Andre, je le veux!

Attendez, elle sarrte un instant dans la chambre aux armes et aux fourrures; une armoire est ouverte; une cassette ordinairement enferme dans cette armoire est pose sur une table. Elle reconnat la cassette et la prend.

Que contient cette cassette?

Vos papiers, je crois.

Comment est-elle?

Recouverte de velours bleu avec des clous dargent, des fermoirs dargent, une serrure dargent.

Oh! dit Balsamo frappant du pied avec colre, cest donc elle qui a pris cette cassette?

Oui, oui, cest elle. Elle descend lescalier qui donne dans lantichambre, elle ouvre la porte, elle tire la chane qui fait ouvrir la porte de la rue, elle sort.

Est-il bien tard?

Il doit tre tard, car il fait nuit.

Tant mieux! elle sera partie peu de temps avant mon retour, et jaurai le temps de la rejoindre peut-tre; suivez-la, suivez-la, Andre.

Une fois hors de la maison, elle court comme une folle; comme une folle, elle gagne le boulevard Elle court elle court, sans sarrter.

De quel ct?

Du ct de la Bastille.

Vous la voyez toujours?

Oui, elle est comme une insense; elle se heurte aux passants. Elle sarrte enfin, elle cherche savoir o elle est Elle interroge.

Que dit-elle? coutez, Andre, coutez, et, au nom du Ciel, ne perdez pas une de ses paroles. Vous avez dit quelle interrogeait?

Oui, un homme vtu de noir.

Que lui demande-t-elle?

Elle lui demande ladresse du lieutenant de police.

Oh! ce ntait donc pas une vaine menace. La lui donne-t-on?

Oui.

Que fait-elle?

Elle revient sur ses pas, elle prend une rue qui va en biais; elle passe sur une grande place.

La place Royale, cest le chemin. Lisez-vous dans son intention?

Courez vite, courez vite! elle va vous dnoncer. Si elle arrive avant vous, si elle voit M. de Sartine, vous tes perdu!

Balsamo poussa un cri terrible, slana dans le taillis, franchit une petite porte quouvrit et referma une espce dombre, dun bond sauta sur son cheval Djrid, qui battait la terre la porte.

Lanimal, aiguillonn la fois par la voix et par lperon, partit comme une flche dans la direction de Paris, et lon nentendit plus que le froissement des pavs sur lesquels il volait.