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Balsamo sourit.

Eh! comtesse, scria le marchal, ce serait plutt vous de demander un million au comte. Lhomme qui sait ce quil sait, et surtout qui voit ce quil voit, ne dcouvre-t-il pas lor et les diamants dans les entrailles de la terre, comme il dcouvre la pense dans le cur des hommes?

Alors, comte, dit la comtesse, je me prosterne dans mon impuissance.

Non, comtesse, un jour vous vous acquitterez envers moi. Je vous en donnerai loccasion.

Comte, dit le duc Balsamo, je suis subjugu, vaincu, cras! Je crois.

Comme saint Thomas a cru, nest-ce pas, monsieur le duc? Cela ne sappelle pas croire, cela sappelle voir.

Appelez la chose comme vous voudrez; mais je fais amende honorable, et, quand on me parlera dsormais de sorciers, eh bien, je saurai ce que jai dire.

Balsamo sourit.

Maintenant, madame, dit-il la comtesse, voulez-vous permettre une chose?

Dites.

Mon esprit est fatigu: laissez-moi lui rendre sa libert par une formule magique.

Faites, monsieur.

Lorenza, dit Balsamo en arabe, merci; je taime; retourne ta chambre par le mme chemin que tu as pris en venant, et attends-moi. Va, ma bien aime!

Je suis bien fatigue, rpondit en italien la voix, plus douce encore que pendant lvocation; dpche-toi, Acharat.

Jy vais.

Et lon entendit avec le mme frlement les pas sloigner.

Puis Balsamo, aprs quelques minutes pendant lesquelles il se convainquit du dpart de Lorenza, salua profondment, mais avec une dignit majestueuse, les deux visiteurs, qui effars tous deux, tous deux absorbs par le flot de tumultueuses penses qui les envahissait, regagnrent leur fiacre plutt comme des gens ivres que comme des tres dous de raison.

Chapitre 86. Disgrce

Le lendemain, onze heures sonnaient la grande horloge de Versailles, quand le roi Louis XV, sortant de son appartement, traversa la galerie voisine de sa chambre, et appela dune voix haute et sche:

Monsieur de la Vrillire!

Le roi tait ple et semblait agit; plus il prenait de soin pour cacher cette proccupation, plus cela clatait dans lembarras de son regard et dans la tension des muscles ordinairement impassibles de son visage.

Un silence glac stablit aussitt dans les rangs des courtisans, parmi lesquels on remarquait M. le duc de Richelieu et le vicomte Jean du Barry, tous deux calmes et affectant lindiffrence et lignorance.

Le duc de la Vrillire sapprocha et prit des mains du roi une lettre de cachet que Sa Majest lui tendait.

M. le duc de Choiseul est-il Versailles? demanda le roi.

Sire, depuis hier; il est revenu de Paris deux heures de laprs-midi.

Est-il son htel? est-il au chteau?

Il est au chteau, sire.

Bien, dit le roi; portez-lui cet ordre, duc.

Un long frmissement courut dans les rangs des spectateurs, qui se courbrent tous en chuchotant comme les pis sous le souffle du vent dorage.

Le roi, fronant le sourcil, comme sil voulait ajouter par la terreur leffet de cette scne, rentra firement dans son cabinet, suivi de son capitaine des gardes et du commandant des chevau-lgers.

Tous les regards suivirent M. de la Vrillire, qui, inquiet lui-mme de la dmarche quil allait faire, traversait lentement la cour du chteau et se rendait lappartement de M. de Choiseul.

Pendant ce temps, toutes les conversations clataient, menaantes ou timides, autour du vieux marchal, qui faisait ltonn plus que les autres, mais dont, grce certain sourire prcieux, nul ntait dupe.

M. de la Vrillire revint et fut entour aussitt.

Eh bien? lui dit-on.

Eh bien, ctait un ordre dexil.

Dexil?

Oui, en bonne forme.

Vous lavez lu, duc?

Je lai lu.

Positif?

Jugez-en.

Et le duc de la Vrillire pronona les paroles suivantes, quil avait retenues avec cette mmoire implacable qui constitue les courtisans:

Mon cousin, le mcontentement que me causent vos services me force vous exiler Chanteloup, o vous vous rendrez dans les vingt-quatre heures. Je vous aurais envoy plus loin si ce ntait lestime particulire que jai pour madame de Choiseul, dont la sant mest fort intressante. Prenez garde que votre conduite ne me fasse prendre un autre parti.

Un long murmure courut dans le groupe qui enveloppait M. le duc de la Vrillire.

Et que vous a-t-il rpondu, monsieur de Saint-Florentin? demanda Richelieu affectant de ne donner au duc ni son nouveau titre ni son nouveau nom.

Il ma rpondu: Monsieur le duc, je suis persuad de tout le plaisir que vous avez mapporter cette lettre.

Ctait dur, mon pauvre duc, fit Jean.

Que voulez-vous, monsieur le vicomte! On ne reoit pas une pareille tuile sur la tte sans crier un peu.

Et que va-t-il faire? savez-vous? demanda Richelieu.

Mais, selon toute probabilit, il va obir.

Hum! fit le marchal.

Voici le duc! scria Jean, qui faisait sentinelle prs de la fentre.

Il vient ici! scria le duc de la Vrillire.

Quand je vous le disais, monsieur de Saint-Florentin.

Il traverse la cour, continua Jean.

Seul?

Absolument seul, son portefeuille sous le bras.

Ah! mon Dieu! murmura Richelieu, est-ce que la scne dhier va recommencer?

Ne men parlez pas, jen ai le frisson, rpondit Jean.

Il navait pas achev, que le duc de Choiseul, la tte haute, le regard assur, parut lentre de la galerie, foudroyant dun coup dil clair et calme tous ses ennemis ou ceux qui allaient se dclarer tels en cas de disgrce.

Nul ne sattendait cette dmarche aprs ce qui venait de se passer; nul ne sy opposa donc.

tes-vous sr davoir bien lu, duc? demanda Jean.

Parbleu!

Et il revient aprs une lettre comme celle que vous nous avez dite?

Je ny comprends plus rien, sur ma parole dhonneur!

Mais le roi va le faire jeter la Bastille!

Ce sera un scandale pouvantable!

Je le plaindrais presque.

Ah! le voil qui entre chez le roi. Cest inou.

En effet le duc, sans faire attention lespce de rsistance que lui opposait lhuissier la figure toute stupfaite, pntra jusque dans le cabinet du roi, qui poussa, en le voyant, une exclamation de surprise.

Le duc tenait la main sa lettre de cachet; il la montra au roi avec un visage presque souriant.

Sire, dit-il, ainsi que Votre Majest voulut bien men avertir hier, jai reu tout lheure une nouvelle lettre.

Oui, monsieur, rpliqua le roi.

Et, comme Votre Majest eut la bont de me dire hier de ne jamais regarder comme srieuse une lettre qui ne serait pas ratifie par la parole expresse du roi, je viens demander lexplication.

Elle sera courte, monsieur le duc, rpondit le roi. Aujourdhui, la lettre est valable.

Valable! dit le duc, une lettre aussi offensante pour un serviteur aussi dvou

Un serviteur dvou, monsieur, ne fait pas jouer son matre un rle ridicule.

Sire, dit le ministre avec hauteur, je croyais tre n assez prs du trne pour en comprendre la majest.

Monsieur, repartit le roi dune voix brve, je ne veux pas vous faire languir. Hier au soir, dans le cabinet de votre htel, Versailles, vous avez reu un courrier de madame de Grammont.

Cest vrai, sire.

Il vous a remis une lettre.

Est-il dfendu, sire, un frre et une sur de correspondre?

Attendez, sil vous plat Je sais le contenu de cette lettre

Oh! sire!

Le voici jai pris la peine de la transcrire de ma main.

Et le roi tendit au duc une copie exacte de la lettre quil avait reue.

Sire!

Ne niez pas, monsieur le duc; vous avez serr cette lettre en un coffret de fer plac dans la ruelle de votre lit.

Le duc devint ple comme un spectre.

Ce nest pas tout, continua impitoyablement le roi, vous avez rpondu madame de Grammont. Cette lettre, jen sais le contenu galement. Cette lettre, elle est l, dans votre portefeuille, et nattend pour partir quun post-scriptum, que vous devez ajouter en me quittant. Vous voyez que je suis instruit, nest-ce pas?