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Le voilà.

J’ai cru qu’il ne se montrerait jamais.

Il sort de chez lui, referme le portail à clef.

Je dois te laisser, mon amour. Je dois y aller. Il est l’heure, je crois.

Je sors de ma voiture, claque doucement la portière. Je traverse la rue pour me placer sur le même trottoir que lui. Bizarre qu’il ne se retourne pas. Il devrait se retourner, normalement. C’est comme ça que ça se passe dans les films.

Alors, je l’appelle par son prénom. Enfin, il se retourne et je vois bien qu’il est surpris.

Après l’étonnement, il sourit. Il ose me sourire. Il se croit fort ou me croit faible.

Il se trompe, quoi qu’il en soit.

Parce que son sourire, je vais l’effacer.

— Cloé ? Qu’est-ce que tu fais là ? Tu voulais me voir ?

— Oui. Je voulais te voir. Mort.

Lorsque mon bras droit se lève dans sa direction, il change de visage. Ses yeux s’arrondissent de stupeur, il lâche les clefs de sa voiture.

J’aurais cru que ma main tremblerait.

— Cloé… Qu’est-ce que… ?

— Fini de jouer, mon ange !

Mon doigt, sur la détente. Je n’ai pas oublié d’ôter la sécurité ni d’armer le pistolet, comme tu me l’as appris.

Oui, je vais appuyer, mon amour. Laisse-moi juste le temps. Le temps de jouir encore un peu de la terreur qui le défigure.

J’aurais voulu qu’il se pisse dessus. Comme moi, le premier soir.

Tant pis.

— Tu es folle !

— Toi, tu es mort.

— Cloé, parle-moi ! On peut…

— Je ne parle pas aux morts.

Mon doigt presse la détente. Le bruit me surprend, le recul aussi.

Il part en arrière, rebondit contre sa voiture et tombe à genoux, pressant une main sur son ventre. Comme s’il voulait recueillir dans sa paume le liquide chaud qui s’échappe de ses tripes ouvertes.

Je crois que j’ai touché le foie. Sans vraiment le faire exprès.

Tant mieux.

Je m’approche, mes talons résonnent sur le bitume. Et jusque dans mon cerveau. Chaque bruit est amplifié, chaque seconde est démultipliée. Je suis tellement près de lui que je pourrais toucher son front avec le canon de mon fidèle Walther.

— Cloé…

— Tu es mort, et je parle pas aux morts. Je te l’ai déjà dit, non ?

Je fais descendre l’arme au niveau de sa bouche et je tire, une seconde fois.

Je le lui avais dit. Que j’effacerais son sourire.

Il vient de heurter le trottoir. Quelques spasmes plus tard, il semble mort.

S’il ne l’est pas, ça ne tardera plus.

Alors je me détourne de sa monstrueuse dépouille et marche lentement jusqu’à ma voiture.

Je mets le contact, passe au ralenti près de la scène qui vient de se jouer.

C’était moi, l’héroïne.

J’accélère, les pneus crissent un peu. Je ne pensais pas que ce serait si facile.

J’ai du sang sur les mains. Mais le sang, ça se lave. Ça s’oublie. Par contre, celui qui a éclaboussé mon chemisier ne partira pas. J’aurais dû penser à m’habiller autrement.

Tout cela est sans importance.

Je viens de tuer un homme. Le maître de la Bête. Et sans son maître, elle n’est plus rien, j’en suis sûre.

Je la pourchasserai elle aussi. Et je la tuerai. Son tour viendra bientôt.

Repose en paix, mon amour.

Je profite de la tournée du facteur, me glisse derrière lui alors que la porte de l’immeuble est encore ouverte. Je monte les trois étages, mes jambes refusent un peu.

La fatigue, sans doute.

Ça semblait plus facile, tout à l’heure. Mais l’image de l’autre, à genoux devant sa bagnole, ne me quitte pas. L’image de son visage martyrisé, atrocement mutilé… Ça m’encombre la tête, on dirait une tache indélébile devant mes yeux.

Non, ne t’en fais pas, je vais réussir. Parce que tu es là, avec moi. Parce que ta voix me dit ce qu’il faut faire. Ta voix, ou la mienne, je ne sais plus très bien. Peu importe.

Mais cette voix, je l’entends. Ça, j’en suis sûre.

Je garde le doigt appuyé sur la sonnette. Et j’attends.

Il ouvre enfin, encore à moitié endormi. À moitié nu. Dire que j’ai aimé ce visage… Que j’ai serré ce corps contre le mien. Que je l’ai laissé se servir de moi.

Dire que je lui ai donné du plaisir.

Il me considère d’abord avec étonnement, puis avec colère.

— Cloé… Qu’est-ce que tu fous là ?

— Je voulais te voir.

— Pas moi.

Je l’empêche de refermer la porte et m’invite à l’intérieur sans lui demander son avis. J’ai envie de faire durer le moment, je crois. Ou peut-être que j’hésite.

En caleçon, les yeux gonflés de sommeil, il n’a plus l’air si dangereux. Juste furieux.

— Bon, maintenant tu sors de chez moi !

— Où est ton déguisement ? Ton sweat noir, ta cagoule… ?

La stupéfaction sur son visage pourrait paraître vraie. Et même cocasse. Si je ne savais pas qui il est. Ce qu’il est vraiment.

— Quel déguisement ? Putain, de quoi tu parles, Cloé ?

— Tu veux m’achever ? C’est bien ce que tu as dit cette nuit, non ?

— Cette nuit ? T’es folle, ma parole…

Je sors la main de la poche de ma veste, il se met à loucher sur le canon de mon P38.

— Tu vois, c’est moi qui suis revenue. Et c’est moi qui vais t’achever.

Il recule, j’avance.

— Cloé… Pose ce flingue tout de suite. Qu’est-ce qui te prend ?

J’ai ôté la sécurité et armé le chien. Je deviens une vraie pro.

— Cloé, arrête tes conneries, merde ! On va discuter. Calme-toi et pose cette arme !

— Je suis calme. Tu peux pas savoir comme je suis calme…

La terreur déforme sa voix, agrandit ses yeux. Ses magnifiques yeux verts.

Ils m’ont semblé bleus, cette nuit. Ou gris. Évidemment, il portait des verres de contact pour me tromper. Pour pas que je le reconnaisse.

Mais il y a longtemps que je l’ai démasqué.

— Fini de jouer… ! Maintenant, tu vas crever.

Les grandes phrases sont réservées aux grands moments.

Et là, c’en est un. L’Ombre va rejoindre les enfers. Là où est sa place.

— Arrête, Clo… Arrête, je t’en prie ! Tu ne sais plus ce que tu fais, je crois…

Je vise, j’appuie. Le recul ne me surprend plus. Il s’écrase contre le mur avant de s’écrouler sur le sol. J’ai visé la tête, mais j’ai raté mon coup. Je l’ai touché à la gorge.

Et je le regarde s’étouffer avec son propre sang.

Je croyais qu’une balle de pistolet, ça tuait net. Sur le coup, proprement. C’est ce qu’on veut nous faire croire à la télé, au ciné. Mais c’est faux : la mort prend tout son temps.

Aujourd’hui, je suis sa messagère. Je frappe, j’exécute.

Je suis la puissance.

La vengeance.

La justice.

Il essaie désespérément de respirer, il lutte. Il tend même un bras vers moi.

Je crois qu’il demande mon aide.

Il t’a enlevé à moi. Alors je n’aurai aucune pitié. Je ne l’achèverai même pas, le laissant lentement s’asphyxier.

Mais la mort n’en finit plus de jouer avec lui. Il ne peut plus parler, alors ses yeux me supplient.

Je fais quelques pas en arrière, mon cœur se soulève.

Ma vue se brouille. Je crois que je pleure.

Aide-moi, mon amour… Aide-moi !

Chapitre 61