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— Tu as une bien jolie robe, dis-moi.

Je lui souris, me penche pour l’embrasser sur le front. Elle est froide, comme la mort.

Tout ce que je touche est glacé comme la mort. Ça doit être ça, quand on passe de l’autre côté.

— Tu vois, je t’avais dit que je reviendrais. J’ai tenu promesse ! Je suis arrivée y a à peine deux heures chez papa et maman et je viens te rendre visite tout de suite.

Je m’assieds sur le lit défait, pose une main sur les genoux de Lisa.

Ma Lisa. Ma chère Lisa…

— Je suis en vacances, tu sais. Vacances prolongées. J’ai démissionné de l’Agence, j’en avais marre. Ils ont essayé de me retenir, bien sûr. Mais j’ai rien voulu entendre… Je suis libre, après tout. Qu’ils trouvent quelqu’un d’autre pour faire leur sale boulot !

Lisa, installée dans son fauteuil en faux cuir déchiré par endroits, a la tête qui penche dangereusement sur le côté.

C’est normal. C’est une poupée. Une poupée cassée.

C’est moi qui l’ai abîmée, c’est ma faute. Alors je suis venue réparer.

J’écoute le chant des oiseaux qui filtre par la fenêtre entrebâillée. Je regarde mes mains. J’y vois du sang. Je les cache bien vite entre mes cuisses.

Finalement, le sang ça ne part jamais. Même en frottant. Reste toujours l’odeur, la sensation.

— Et si on allait faire un tour dans le parc, comme la dernière fois ? Je suis sûre que t’aurais rien contre ! Bouge pas, je vais chercher ton taxi.

En inspectant les couloirs, je finis par trouver ce que je cherche près du bureau des infirmières. C’est alors que la chef des blouses blanches apparaît.

Si elle me cherche, je la tue.

— Madame ! Qu’est-ce que vous comptez faire avec ça ?

— Je compte emmener ma sœur dans le parc. Vous y voyez un inconvénient ?

Je dois avoir un regard particulièrement effrayant. Je le vois qui se reflète dans ses yeux. Elle a compris qu’il valait mieux battre en retraite. Elle a dû flairer le sang sur mes mains.

Elle sait que j’ai changé. Je ne suis plus la même Cloé. Je suis la vraie Cloé.

— Non… Non, bien sûr. Faites.

Dix minutes plus tard, nous sommes dehors, Lisa et moi.

Je reviendrai. Et je t’achèverai.

Bizarre que cette phrase résonne encore en moi. Alors que j’ai anéanti celui qui l’a prononcée.

Ça passera, avec le temps.

— Regarde comme il fait beau, ma Lisa !

Ils avaient raison, à la radio. Les températures sont douces pour la saison.

Tu ne reviendras pas. C’est moi qui suis venue jusqu’à toi. Et qui t’ai achevé.

— Tu veux qu’on aille au bord du bassin, comme la dernière fois ?

Avec Lisa, il faut faire les questions et les réponses. Elle n’est pas contrariante, au moins.

Les nénuphars sont toujours aussi mal en point, mais l’endroit reste agréable.

Je remonte la fine couverture sur les jambes de ma sœur. Son regard croise le mien, s’arrête un instant. Je viens de lui raconter toute l’histoire. Et je suis sûre qu’elle m’a écoutée.

Pourtant, elle ne semble pas me juger.

Ça fait tellement de bien, quelqu’un qui m’écoute, qui me croit. Enfin.

— J’aurais voulu que tu connaisses Alexandre… Je suis sûre que tu l’aurais aimé.

Je retiens mes larmes, je ne voudrais pas que Lisa me voie pleurer.

Oui, j’aurais voulu que tu connaisses Alex.

Et moi, j’aurais voulu te connaître, petite sœur. Connaître la femme que tu aurais pu devenir…

— Je t’ai apporté un cadeau.

J’ouvre mon sac à main, considère longuement le Walther P38.

Je l’ai apporté pour toi, ma Lisa.

La mort sera mon cadeau. Le plus beau que je puisse t’offrir, je crois.

Il faut juste que je trouve le courage de te le donner.

C’est si dur de trouver le courage. De réparer ses erreurs. Mais je vais y arriver, ne t’en fais pas. Je vais te libérer de ce corps qui n’est plus qu’un carcan. Ton âme s’envolera vers les cieux. Tel un oiseau, enfin libre de voler à sa guise.

Oui, je vais te libérer, ma Lisa. Je te dois bien ça.

— Je me suis brisée en même temps que toi, tu sais… Ça ne se voyait pas, bien sûr. J’ai recollé les morceaux comme j’ai pu. N’importe comment, en vérité. Depuis vingt-six ans, je suis morcelée, fragmentée. Comme un puzzle, tu vois ?

Déchirures au corps et à l’âme. Par lesquelles ma sève coule doucement.

Tant d’énergie dépensée pour colmater ces brèches !

— C’est pour ça que je ne venais jamais te voir, ma Lisa. Car à chacune de mes visites, les failles s’agrandissaient dangereusement. À chacune de mes visites, je risquais de me disloquer.

Mais ça, personne ne l’a compris. Personne ne l’a vu.

Sauf un homme. Qui s’appelait Alexandre.

J’essuie les larmes qui coulent sur mes joues. Finalement, je n’ai pas pu les cacher.

Je dois être forte. Puisque c’est ma faute, mon crime.

Je vais partir avec elle, je le sais. Juste après elle, en fait. Les pièces du puzzle s’éparpilleront au vent. Il y aura deux oiseaux dans le ciel, libres de voler à leur guise.

De toute façon, je suis déjà morte dans cette usine. La vraie Cloé a disparu ce jour-là. Et il est temps de mettre fin à cette odieuse mascarade.

Je caresse le visage de ma petite sœur, lui souris tendrement.

— Laisse-moi un peu de temps, s’il te plaît. Je ne suis pas tout à fait prête.

Elle me regarde à nouveau. Elle a compris, je le sais. Je le sens. Elle m’appelle, m’encourage. Je plonge la main dans mon sac, mes doigts serrent la crosse.

Deux oiseaux libres de voler à leur guise.

C’est alors que j’entends des pas dans mon dos. Je me retourne aussitôt.

Je reviendrai. Et je t’achèverai.

Non, ça ne peut pas être lui. Puisque je l’ai tué. Je les ai tués, tous les deux.

Je referme mon sac à la va-vite.

— Mademoiselle Beauchamp ? Police judiciaire.

Deux types. Habillés comme monsieur Tout-le-monde.

— Police ?

Je n’ai pas seulement l’air étonnée. Je le suis vraiment. Déjà ?

Le premier brandit sa carte, son collègue fait de même. Un capitaine et un lieutenant.

— Vous pourriez revenir plus tard ? Je suis avec ma sœur, là…

— Nous avons prévenu les infirmières, rétorque le capitaine. Elles vont venir la chercher. Je vais vous demander de nous suivre, mademoiselle Beauchamp.

Je me tourne à nouveau vers Lisa, tente de lui sourire. Mais ça ne marche plus.

Mon Dieu, Lisa… Ma chère Élisabeth. Je n’aurai pas le temps !

— Faut que je te laisse. Ils vont te ramener dans ta chambre, ne t’inquiète pas.

Je l’embrasse sur la joue, reste quelques secondes collée à elle. Je sens que sa respiration s’accélère.

— Ne t’inquiète pas, je reviendrai.

Il nous faudra encore souffrir. Encore attendre.

Finalement, je la serre dans mes bras, la soulève presque du fauteuil.

Impossible qu’ils aient compris. Qu’ils sachent. La peur fait trembler mes lèvres.

Je viens d’échouer, une seconde fois. Je viens de condamner ma sœur, une seconde fois.

— Pardonne-moi, Lisa !

Le lieutenant pose une main sur mon épaule, je sursaute.

— Faut y aller, mademoiselle.